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Full text of "Le 20 juin 1792"

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LE- 



20 JUIN 1792 



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MORTIMER TERNAUX 




PARIS 



MICHEL LÉVY FRKRKS, LIBRAIRES EDITECRS 

RUK VIVIKNNE, 2 BIS, ET UOULRVARD D F. S ITAMK.NS, 15 

A LA LIBRAIRIE NOUVELLE 
• — *. 

1864 




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LE 20 JDliN 4792 



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rAUliS. - IMl'RlMIiUlH 1)K J» CLAVli 
liVB SA1NT>D1ÎN0IT, 7 



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LE 



20 JUIN 1792 



PAR 

MORTIMËR TëRJNAUX 




PARIS 

MICHEL LËVY PBËBBS, LIBRAIRES ÉDITEURS 

RUE VlVlJiiMilS, 2 UiB, Li UOULJ:;VAliD D£S llJkLlEl<&i Là 
A LA tIBRAIRlB NOUVBLLB 

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Tons droits iCMcrv^s. 



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L AU 



DON 



* I 



AVIS DES EDITELHIS 



L'Hûloire de la Terreur, de M. Moi limer Ter- 
iiaux, a obtenu, dès son apparition, un succès que 
n'ont point épuisé deux éditions publiées presque 
coup sur coup. 

Par les recherches laborieuses qu'il a néces- 
sitées, par rabuiidaucc des documenîs qu'il met 
en lumière < par le tour vif et énergique dîi récit, 
par la portée et la juslesse des appréciations de 
l'auteur, cet ouvrage, quoique inachevé encore, 
compte déjà parmi ceux qui font autorité pour 
l'histoire de la Révolution française. 

M. Mortimer Ternaux a bien voulu nous per- 
mettre de détacher successivement de son grand 
ouvrage les épisodes les plus intéressants et les 
plus dianuitiqucs, de manière à offrir au public 
une série de volumes de 250 à 300 pages in-1 8 , 



Digrtizeij Ly <jOOgIe 



VI AVib DLS ÉDITELUS. 

rormanl chacun un ouvrage sépare, cl se rallachant 
tous néanmoins h une pensée commune. 

Sous ce titre général : les Grandes Journées de 
la Terreur^ nous donnerons des relations détail- 
lées et authentiques du 20 juin, du 10 août 
et du 2 septembre 1792; du 21 janvier et du 
31 mai 1793, etc., etc.; c'est-à-dire de toutes 
les crises qui préci[)itèrent le mouvement rcvulu- 
lionnaire, jusqu'au 9 thermidor, où le régime de 
la Terreur succomba sous la réprobation univer- 
selle. 

Dans chacun de ces récits , on trouve non-seu- 
lement la peinture fidèle et complète de la journée 
même, mais aussi Texposé de ses causes directes 
et de SOS oITets immédiats ; seulement , le récit se 
présente dégagé de la plupart des pièces justifica- 
lives et des éclaircissements historiques qui enri- 
chissent Tœuvre de M. Mortimer Ternaux. 

Les lecteurs curieux d'embrasser Tcnsemble des 
événements de la Révolution française et de les 
suivre dans tout leur développement, comme ceux 
qui veulent toucher eux-mêmes et vérifier les 
preuves de chaque assertion de l'écrivain, seront 
obligés de recourir à V Histoire de la Terreur, qui , 
du reste , a déjà pris place dans les bibliothèques 
publiques et dans le cabinet des hommes d'étude. 

l^es lecteurs qui , au contraire , 8*inquiètent 



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AVIS DES ÉDITEy US. 



VII 



moins des recherches liistoriqucs que de leurs 
résultats, qui ne peuvent consacrer que peu de 
temps à l'étude des faits culminants de Tépoque 
révululiuiiiiaire , puiseront, en quelques heures, 
dans notre nouvelle publication, une connaissance 
exacte et précise des événements dont le contre- 
coup se fait sentir, chaque jour encore, dans toutes 
les crises de la politique contemporaine. 

Par cette combinaison, nous croNons rendre un 
véritable service à cet immense pubhc qui veut 
s'instruire, mais s'instruire rapidement, et qui - 
trouvera dans les véridiques récits de M* Mortimer 
Tcrnaux ce que, d'ordinaire, on cherche dans les 
seuls romans : un intérêt soutenu et de vives émo- 
tions. 



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LE 

20 JUIN 1792 



I. 

Au commencement de 1792 , la France se trouvait 
dans cette période d'anaisscmeiit qui, ciiez une na- 
tion comme chez un individu, suit tout grand effort 
physique ou moral. Le parti constitutionnel avait 
perdu ses illusions ; le parti royaliste avait recouvré 
ses espérances; le parti démagogique, croyant tou- 
cher au but de ses désirs, redoublait d'ardeur et 
d'audace. Chacun pressentait qu'on était à la veille 
de voir s'opérer de nouveaux déchirements. Mais au 
profit de quel pard ces déchirements tourneraient- 
ils? Là était toute la quesdoni 

La constitution de 1791 « mise en pratique depuis 

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i 



LK 20 JUJN 1792. 



quelques mois, était jugée tellement défectueuse 
que ses auteurs mêmes reconnaissaient Tindispen- 
sable nécessité de la modifier. Il fallait revenir en 
arrière ou marcher en avant. Mais, dans le premier 
cas, à quelle limite s'arrêter? Faudrait-il remonter 
au point de départ, à cet ancien régime que Ton 
avait détruit aux applaudissements presque una- 
nimes de la nation? Adopterait-on le système des 
deux chambres que Ton avait rejeté comme trop aris- 
tocratique ? Ou bien n' v avait-il qu'à conserver la con- 
stitution en donnant plus de force et d'autorité au 
pouvoir exécutif complètement désarmé? Ceux qui 
voulaient revenir en arrière étaient divisés entre eux 
par mille nuances diverses ; ceux qui voulaient mar- 
cher en avant étaient, au contraire, tous d'accord sur 
le premier artide de leur programme : renverser la 
monarchie, sauf à s*entre-déchirer dès qu il s'agirait 
d*en partager les dépouilles. 

Malgré les espérances que le parti de l'ancien ré- 
gime puisait dans les échecs successifs que venaient 
d'éprouver les constitutionnels, il fallail qu'il fût bien 
aveugle pour croire que la monarchie de Louis XIV 
pût être restaurée en 1792. Où étaient les éléments 
constitutifs de l'état de choses que la révolution avait 
renversé? Qu'étaient devenues les trois colonnes fon- 
damentales du vieil édifice monarchique : les par- 
lements, la noblesse, le clergé ? Abattues , brisées, 
elles gisaient sur le sol, et nulle puissance humaine 
n'aurait réussi à les relever* 



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'6 



Mais, s'il était impossible de restaurer i'aacieane 
monarcfaîe , n*était-il pas au moins possible d*empé- 
cher la nouvelle de touiber? 11 eût fallu pour cela 
que le roi comprît la véritable situation des choses 
et fût doué d'une grande fermeté de caractère. Or, 
le jour même de son avènement au trAne, Louis XVI 
avait commencé cette longue série de terf^iversatiuiis 
qui, après tant de projets tour à tour adoptés, reje- 
tés, repris, modifiés, après tant de consentements 
d(HUiés, interprétés, rétractés, amena la chute de la 
monarchie et conduisit le monarque au Temple, où 
il n*eut plus qu'une pensée, celle de mourir en chré- 
tien. 

Louis XVI fut toujours de bonne foi dans les réso- 
lutions si diverses qu*il prit durant les dix-huit an*- 
nées de son règne; mais son peu de persévérance 
dans ses desseins fut, pour lui et ses amis, plus 
funeste cent fois que la plus macliiavélique duplicité. 

Pendant les quinze années que Louis XVI exerça le 
pouvoir absolu, pendant les trois ans qu'il rùgna 
comme roi constitutionnel, la même cause amena le 
même résultat, celui de frapper d'impuissance tous 
les dévouements, d'user en un instant tous les 
hommes et tous les systèmes. Galonné tombait deux 
jours après avoir fait destituer son adversaire, le 
garde des sceaux Miromesnil (avril 1787); Dumouriez 
se voyait refuser raccompiissement des promesses 
qu'on lui avait faites quarante-huit heures aupara- 
vant, pour le déterminer à renvoyer avec éclat Ro- 



4 LE 20 JUIN ilW'i, 

iaud, Servan et Clavières (juin 17d2). Louis XVI se 
détachait aussi facilement, à quinze ans d'intervalle, 
de Turgot que de Narbonae, les deux seuls hoiames 
peut-être qui eussent pu conjurer la tempête. 

Avec ces changements continuels de noms, de per- 
sonnes et de systèmes, il était impossible d'avoir un 
plan sagement étudié, profondément mûri, suivi civec 
persistance et énergie. Cependant, comment résister 
à la tourmente au milieu de laquelle la royauté était 
déjà si fortement engagée ? comment , à travers tant 
d'écueils, atteindre un port quelconque? et même 
quel élail le port dans lequel la royauté aurait pu 
chercher un refuge? Personne ne Teût pu dire, et le 
monarque moins que ioai autre. Sans boussole, sans 
guide, Louis XVi tantôt s'abandonnait, les yeux fer- 
més, au flot toujours montant de la révolution, et 
tantôt essayait de lutter contre lui. Les mesures qu'il 
avait obstinément rejetées la veille, il les acceptait 
le lendemain, pourvu qu'elles lui fussent présentées 
sous une autre forme; il suivait tour à tour les direc- 
tions les plus opposées, souscrivait aux solutions les 
plus contradictoires, mais surtout, par ses hési- 
tations prolongées, empirait les situations les plus 
graves. 

A cette perpétuelle incertitude, l'inioriuné mo- 
narque joignait une timidité insurmontable qui était 
bien de naLure à glacer, dans le Cfcur de ses plus 
fidèles serviteurs, le dévouement le plus chaleureux. 
Aussi ses intentions, ses démardies étaient-elles faci- 



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tE iO JUIN 1792. :• 

lement calomniées; sa honié naturelle, son amour 
sincère pour le peuple étaient-ils niés et tournés en 
ridicule par des écrivains qui , plus tard, donnèrent 
le nom de tyran au meilleur des hommes et au plus 
humain des rois. 

La reine Marie-Antoinette ne ressemblait en r i< n à 
son époux ; mais on a voulu trop souvent lui attri* 
buer, dans le grand (lr;iiiie de la Rcvolutioa fran- 
çaise, le rôle qu'avait joué quarante ans auparavant, 
auprès de la diète de Hongrie, l'héroïque Marie-Thé- 
rèse, sa mère. Elle l'aurait voulu, qu'il n'aurait pas 
été en son pouvoir de s'en saisir. Marie-Thérèse 
tenait ses droits d elle-même, et pouvait elle-même 
les revendiquer. Marie-*Antoinette était étrangère, 
Autiiclnenne, suspecte dès 1ers par son origine à une 
partie de la cour et de la nation. Cette princesse, 
qui devait épuiser jusqu'à la lie toutes les amertumes 
et toutes les douleurs, qui, après avoir été la plus 
adulée des reines, devait être la plus infortunée des 
épouses et des mères, n'était pas la femme forte que 
l'ima^nation des poètes et des historiens a rêvée. 
Douée d'une âme sensible et tendre, elle avait be- 
soin des épanchements de l'amitié, elle se laissait 
aller trop facilement aux confidences les plus intimes 
et souvent les plus compromettantes. Dévouée à ses 
amis, elle ne connaissait aucun obstacle poui" les 
servir, et elle ignorait tous les dangers des coteries 
princières, les pires de toutes, parce qu'elles sont 
les plus exclusives* Conseillée par des amis impru- 



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dents qui ne comprenaient ni les hommes ni les évé- 
nements de leur époque, elle s abandoiinait sans 
mesure et sans prudence aux regrets que lui inspi- 
raient la chute du pouvoir absolu et Téloignenient de 
ses amis les plus intimes. Ëlle était» comme le roi, 
en proie aux plus cruelles incertitudes, mais ces 
incertitudes ne portaient pas sur le même objet ; 
Louis XVI ne savait pas s'il devait ou non être roi 
constitutionnel; Marie-Antoinette savait qu'elle ne 
voulait pas qu'il le fût. Hésitant quelquefois sur les 
moyens, jamais sur le fond des choses, elle n'avait 
aucun système arrêté; elle ne fut ferme que dans ses 
répugnances et dans ses ressentiments. Elle ne pouvait 
surtout pardonner aux grands seigneurs qui avaient 
embrassé le parti populaire, et, à son sens, trahi leur 
caste , crime irrémissible à ses yeux. Elle usa de 
toute l'influence que la cour pouvait avoir encore 
dans Paris pour faire élever Pétion à la place de 
maire, lorsque Bailly donna sa démission et que 
les constitutionnels voulurent le remplacer par La 
Fayette. Nous verrons bientôt comment Pétion la 
récompensa du concours qu'elle lui avait prêté dans 
cette circonstance, où royalistes et jacobins votèrent 
avec les mêmes bulletins. Elle donna un instant 
à Barnave, et encore peut-être parce qu'il était 
né plébéien, une confiance qu'elle avait refusée à 
Mirabeau, et qu'au dernier moment elle refusa à Du* 
mouriez. Elle rejeta les offres du duc de Liancourt 
qui lui promettait, à Rouen, un asile assuré, et cela 



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parce qu*îl avait été de la minorité de la noblesse en 
1789. Cai% il faut le reconnaître, les dernières tiiiiins 
qui furent tendues à la reine avant la crise fatale qui 
emporta le trône furent des mains constitutioiinclles; 
à cause de cela même elle les dédaigna. Elle crai- 
gnait tous les secours venant de l'intérieur, parce 
qu'il aurait fallu compter plus tard avec ceux qui les 
auraient donnés; elle tournait les yeux vers les ar- 
mées de la coalition, sans se rendie un compte bien 
exact de ce qu'elle désirait. 

Après le retour de Yarennes, le parti républicain 
fit son apparition sur la scène révolutionnaire. Abattu 
un instant par lavigoureusè répi essieu des constitu- 
tionnels (journée du 17 juillet 1791, au Champ de 
Mars) , il avait bientôt refonné ses rangs ; ses écri- 
vains, un instant terrifiés, avaient repris leurs plumes ; 
ses orateurs, qui s'étaieni cachés, étaient retournés 
pérorer à la tribune des Jacobins et des Cordeiiers. 

Tous ces chefs, tous ces écrivons, tous ces orateurs 
paraissent unis dans les mômes pensées; mais déjà 
secrètement ils se jalousent, ils se détestent ; les gens 
clairvoyants peuvent déjà apercevoir les nuances qui 
vont bientôt séparer tous ces hommes et en faire des 
ennemis irréconciliables. Plusieurs sont sincères dans 
leurs illusions; ils rêvent la république de Sparte 
avec les mœurs d'Athènes; ils croient qu'ils pourront 
renverser un trône, se donner des magistrats vertueux, 
incorruptibles, exempts de toute ambition, puis aller 
dans un festin se couronner de roses et s'endormir 



H LE iO JUIN I70*i. 

dans les loisirs d'une élégante volupté. Infortunés I 
qui ne lurent que des artistes politiques, qu'on ap- 
pellera plus tard Girondins , et que Marat désignera 
par ironie sous le nom d'hommes d'ÉtatI Ils ne se 
réveillèrent qu'au pied de la guillotine. 

Parmi les chefs qui marchent déjà sous une autre 
bannière, les uns, comme Danton et ses amis, cher- 
chent la satisfaction de leurs appétits brutaux ; ils 
veulent à tout prix acquérir ces honneurs et ces ri- 
chesses qui doivent être pour eux la source de toutes 
les jouissances. Les autres, comme Robespierre et 
Marat 9 sacrifiant à des dieux différents, ne voient, 
dans le cataclysiiie qui se prépare , que le triomphe 
de leur orgueil. Ils aspirent à la toute-puissance, afin 
d'écraser leurs ennemis sous leurs pieds et de goûter 
le suprême plaisir de la vengeance. Plus ils ont été 
jusqu'ici bafoués, honnis, ridiculisés, plus ils veulent 
faire repentir l'humanité du crime impardonnable 
dont elle s'est rendue coupable en les méconnaissant. 

Au-dessous de ces chefs , se cachent des hommes 
que la peur seule fait agir. Us se sont réfutés dans 
les rangs du parli jacobin pour que l'on ne songe 
pas à leur reprocher leurs défaillances passées, leurs 
antécédents suspects, les souvenirs des castes nobi- 
liaires ou sacerdotales auxquelles ils ont appartenu. 
Ils veulent donner des gages irrécusables de leur 
dévouement à la démagogie, et croient qu'ils ne 
peuvent effacer le péché originel dont ils sont enta- 
chés que par un baptême de sang. 



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LE 20 JUIN 1792. 



9 



Plus bas encore, s'agite cette masse flottante d'in- 
dividus qui, n'ayant pu trouver place ni parmi les 
réactionnaires ni parmi les constitutionnels, veulent 
à toute force jouer un rôle. Ces hommes-là n'ont ni 
but politique t ni principe déterminé; ils ne forment 
pas une faction, pas même une conspiration net- 
tement définie, francbement organisée. C'est une 

tourbe, moutant résolument il l'assaut du pouvoir 

parce qu'elle espère, une fois maîtresse de la place, 
s*y livrer impunément au vol et au pillage 

Le parti démagogique, grâce à l'apathie et à 
rindifférence qui s'étaient emparées de la masse 
de la population parisienne, débusquait successive- 
ment ses adversaires de toutes les positions qu'ils 
avaient d'abord occupées sans conteste. 

Au commencement de novembre 1701, Bailly avait 
donné sa démission de la place de maire de Paris , 
qu'il occupait depuis deux ans et demi, et sur 
80,000 citoyens appelés à voter, 10,300 seulement 
avaient pris part au scrutin ouvert pour son rempla- 
cement. 

Pétion avait été élu par 6,600 voix contre 3,000 
données à La Fayette. 

4 . « Beaucoup de gens , avides des feveurs de la fortune et 

cherchant k les extorquer à tout prix, s'étaient jetés dans le 
parti populaire contre la cour, prêts à servir celle-ci pour son 
argent, prêts à la trahir si elle devenait la plus faible. « i Mé- 
moires de Madame Roland, p. 56 de ia V* partie, 4" édi- 
tion.) 

i. 



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10 



I.K 20 JUIN 1792 



A la même époque, Manuel, homme de lettres 
plus que médiocre, avait été élu procureur-syndic 
de la Commune ; près de lui était venu siéger Danton 
qui, appelé, quelques mois auparavant, au conseil 
général du département, préféra la place plus lucra- 
tive et plus influente de subsliLut du procureur-syndic 
de la Commune ^. La loi avait fixé aux derniers joiurs - 
de 1791 le renouvellement de la moitié de la muni- 
cipalité parisienne, et ce renouvellement y avait 
amené des individus pris dans d'autres classes, dans 
d'autres conditions sociales , et imbus naturellement 
d^autres idées que ceux qui composaient le corps 
municipal au moment de sa première formation, en 

4 » Danton avait été élu au commencement de septembre 1790, 
par la section du Théâtre-Français, membre du conseil général " 

de la Commune. Sur les 144 membres élus à cette époque, il 
fut le seul écarté par la majorité des sériions, en vertu d'un 
droit d'ostracisme que la loi leur conférait sur leurs choix réci- 
proques; trois sections se déclarèrent pour lui : celles du 
Théâtre-Français, «du Luxembourg et de Mauconseil. Ce furent, 
pendant tout le temps de la Révolution, ces sections qui pro- 
fessèrent les principes et souiinrenL les hommes les plus exa- 
gérés. Danton prit bientôt sa revanche, et, par un revirement 
singulier d'opinion, celui dont la majorité des électeurs pri- 
maires n'avait pas voulu comme simple membre du conseil 
général de la Commune fut élu, cinq mois plus tard , par les 
électeurs du deuxième degré , ay conseil général du départe- 
ment (février 179t ). Il y formait à peu près à lui seul la mi- 
norité. L'année suivante (janvier 1792), il fut présenté en 
concurrence avec Manuel pour être procureur-syndic de la 
Commune. Manuel ayant été élu, il se conlenta de la place de 



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LE 20 JUIN 1792. 



It 



1790« Le niveau de T intelligence et du savoir s'était 

abaissé dans ce conseil, que la force tles circon- 
stances allait appeler à jouer un si grand rôle dans 
les événements qui se préparaient. Les élections 
faites dans le sein du corps municipal avaient placé 
à la tète de la police deux hommes nouveaux, Vîuus 
et Sergent, Tun avocat sans causes « Tautre artiste 
sans talent. Leurs noms , aujourd'hui entourés d'une 
eliroyable célébrité, étaient alors inconnus et n exci- 
taient aucun ombrage. Ces deux hommes ne tardèrent 
pas à s'emparer de rimuieuse iniluence que doiiiie le 
maniement de la police dans une ville comme Paris, 
et tini;ent à Técart leurs deux collègues plus anciens, 

substitut. 11 y fut nommé au deuxième tour do scrutin par 
4,462 voix sur 80,000 électeurs inscrits t Nouvelle preuve du 
funeste système d'abstention que les modérés praiiqtiaient à 

ceUe époque, au ^rand détriment de la chose publique. Au 
début de >a carrière polilique, c o uilmn ( t liHjre avait, seinble- 
t-il, des velléités aristocratiques assez prononcées. Nous av(<ns 
entre les mains un recueil de pièces imprimées par ordre du dis- 
trict des Gordeliers, au sujet du décret de prise de corps lancé 
contre Marat par le Châtelet, le S novembre 4789; le nom et la 
signature do Diialon reviennent à cliaque instant dans ces pièces 
et sont toujours écrits avec une apostrophe qui sépare la première 
de la seconde lettre de ce nom fameux dans les fastes démago- 
giques. L'écrit sort des presses de Momoro, qui s'intitulait 
premier imprimeur de la Liberté nationale et qui était alors 
Tami intime de Danton; il est imprimé par ordre du district 
des Gordeliers, où Danton régnait déjà presque en maître; le 
consentement du tribun à cette manière d'orthographier son 
nom n'est donc pas douteux. 



12 



LE 20 JUIN 1792. 



Vigner et Perron, en attendant qu'ils fissent destituer 

Fun et égorger l'autre*. 

De toutes les autorités qui siégeaient dans la capi- 
tale, une seule était franchement constitutionnelle : 
c'était le conseil général du département, que Ton 
appehût alors le département de Paris. 

Le département ayait déjà , dans plusieurs circon- 
stances mémorables, résisté à Tentraînement de la 
municipalité parisienne. Il avait notamment élevé ia 
voix en faveur de la liberté religieuse et contre la 
surveillance inquisitoriale exercée sur la famille 
royale. Le directoire , pris dans le conseil et saisi de 

4 . Perron, qui siégeait au département de police depuis 4790, 
et qui n'avait pas su toujoui s résister, dans les derniers temps, 
aux exigences de ses collègues Panis et Sergent, fut sacrifié 
par eux aussitôt qu'il marqua quelque hésitation à les suivre 
dans la route qu'ils s'étaient tracée. Conservé dans sa place 
d'administrateur le 40 aoiit, jour ou on avait encore besoin de 
sa sif^nature pour l'expédition de certains ordres et surtout 
pour la délivrance des poudres, il fut arrêté le 21 par les ordres 
du nouveau Comité do surveillance et de salut public, conduit 
à l'Abbaye et égorgé le 4 septembre. Voici le texte de l'écroa 
et de t'arrèt de mort du malheureux Perron. 

Extrait du registre d'écrous de la prison de VAhba'^e* 

On fit ao&t Vm* Da 4 an 5 •eptembi» 119fi. 

Le sieur Perron a été écroué par Mort. Le sieur Perron a 
ordre des membre> du Comité de été jup:6 par le y)ouj)!e et 
surveillance et de salut. exécuté sur-le-champ*. 

* CeUe mention est entièrement de la main de Maillard. 



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LiL 20 JUhN i79«. 13 

toutes les mesures d'administration, était présidé 
par le vénérable duc de La Rochefoucauld-d'Amville« 
et comptait dans ses rangs Anson, Talleyrand, Des- 
meuûiers, Beaumetz, quatie ancienâ coustituauts. 
Le procureur général syndic était Rœderer. Celui-ci 
prêchait la tolérance, la conciliation même, lorsque 
déjà elles n'étaient plus possibles. 

A mesure que Tannée 1792 s'avançait, les déma- 
gogues redoublaient d'audace dans leurs essais de 
destruction . Uien ne servit mieux leurs desseins 
que le triomphe des Suisses de Cbâteauvieux , pro- 
menés dans Paris comme des martyrs de la liberté 
(15 avril), et l'envahissemeut du château des Tuile- 
ries par les émeutiers des faubourgs Saint-Antoine et 
Saint-Marceau (20 juin). 

Dans la journée du 15 avril , on vit la démago^e 
célébrer le mépris des lois , la violation de la disci- 
pline militaire comme des vertus civiques, dignes de 
l'admiration universelle, déifier, sous les yeux d'une 
foule ignorante, ce que jusqu'alors tout le monde 
avait considéré comme infamant : le bonnet et la 
rame du galérien ! 

Dans la journée du 20 juin, la démagogie, *de plus 
en plus audacieuse, osa envahir l'asile inviolable du 
représentant héréditaire de la nation, se mesurer 
face à lace avec la royauté, et coiffer du bonnet rouge 
la tète de Louis XVI, cet infortuné monarque qu'elle 
devait, sept mois plus tard, conduire de la prison 
du Temple à Téchafaud. 



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* 



li LE 20 JUIN 1792. 

Ces deux journées se tiennent; la première n est 
que le prologue de la seconde. 



II. 

Les ennemis du roi et de la liberté constitutionnelle 
avaient compris quMls devaient avant tout détruire 
la discipline de Tarmée» déjà très-fortement ébran- 
lée depuis trois ans. Pour réaliser le plan secret de 
leur politique désorganisatrice, il fallait que l'alliance 
« de la soldatesque et de la populace fut cimentée à ia 
face du pay s par une grande démonstration » que les 
pouvoirs constitués parussent y donner leur assenti- 
ment, que la nation entière eût Tair d'en être la 
complice ; il fallait habituer aux fêtes patriotiques et 
aux processions séditieuses les masses qui adorent 
tout ce qui est théâtral et emphatique , les y faire 
intervenir juste assez pour les mettre en goût d'é- 
meute et d'agitation , et de manière cependant à ne 
pas trop efTrayer les gens à courte vue qui ne croient 
au danger que lorsqu'il n'est plus temps de le con- 
jurer. 

On inventa donc» comme machine de guerre, la 
grande infortune des Suisses de Château vieux, et Fon 
fit passer pour des iiéros quarante malheureux sol- 
dats qui avaient été envoyés aux galères pour des 



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LK 20 JUIN 1792. 



15 



faits patents de révolte, de meurtre et de pillage. 
k&n de mettre nos lectears à même de juger si 

ces héros méritaient l'admaation publique, nous 
rappellerons en peu de mots leur histoire* 

Sous Fancien régime, les régiments français et 
étrangers se recrutaient à prix d'argent dans les ta- 
vernes et les bouges des grandes villes. Cet ignoble 
trafic se faisait non-seulement par des sous-officiers 
qui , pour arriver à leurs fins , employaient souvent 
la fraude et la violence, mais encore par les oflTiciers 
eux-mêmes , qui ne pouvaient obtenir de congés de 
semestre que sous la condition de ramener au moins 
deux hommes de recrue avec eux. Les officiers, 

qui avaieiu acheté leurs brevets à prix d'argent, 
spéculaient parfois, il faut le reconnaître, sur la paye 
et les menues dépenses de leurs subordonnés. Dans 
une organisation pareille, que de motifs de récrimi- 
nations , que de causes de conflits ! 

Le mouvement qui agitait tous les esprits en 1 789 
devait avoir et eut, en effet, un contre -coup iné- 
vitable dans l'armée; des symptômes effrayants 
d'insubordination se manifestèrent parmi un grand 
nombre de régiments. Les gardes françaises don- 
nèrent Texemple à Paris; il fut suivi par d'autres 
corps à Marseille , à Grenoble , à Metz. Bientôt , 
dans la plupart des régiments, se formèrent des 
comités composés de sous-officiers et de soldats qui , 
après avoir discuté sur leurs droits, mirent bientôt 
en question ceux de leurs supérieurs. 



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ifi 



LE ^0 JUIN i70ï. 



Pent-étre serait-on pairenu à couper par la racine 

toutes les causes, sans cesse renaissantes, de récri- 
minations, à éteindre d'un seul coup tous les ressen- 
timents, toutes les rancunes, si Ton avait suivi le 
conseil donné par Mirabeau, lorsqu'il proposait d'o- 
pérer une refonte générale de tous les régiments. 
Msds le ministre de la guerre, obéissant à certaines 
arrière-pensées, ne voulut point entendre parler de 
ce projet; les événements se chargèrent de démon- 
trer combien était profond le mal auquel on avait 
hésité à porter un remède héroïque. 

Ce fut à Nancy, dans les premiers jours d'août 
1790, qu'éclatèrent les désordres dont tous les actes 
d'indiscipline antérieurs n'avaient été que le prélude* 
La garnison de l'ancienne capitale de la Lorraine se 
composait d'un régiment de cavalerie (mestre de 

camp), de deux régiments d'infanterie, ïiin français 
(le régiment du roi) , l'autre suisse (celui de Château- 
vieux). Le 2 août, le régiment du roi se soulève en 
prenant lait et cause pour un soldat que l'on veut 
envoyer en prison. A la prière de la municipalité, le 
commandant militaire révoque les ordres sévères qu'il 
a donnés. Hais la faiblesse encourage l'indiscipline*; 
quelques jours après, le régiment formule de nou- 
velles exigences , et l'insubordination reste impunie. 

1. (( Faiblesse imprudente, dit lui-môme à cette occasion 
M. Lnii Blanc {Histoire de ïa Hovolntion) , premier ébranle- 
ment donné à la discipline, qui meurt si elle cesse un instant 
d'être écrasante et inexorable. » 



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LE :20 JUIN 1792. 



17 



Pendant ce temps, TAssemblée constituante, avertie 
par le ministre des tristes faits d'indiscipline qui 
éclataient de toutes parts, s'empresse, sur la pro- 
position d'Emmery, rapporteur ordinaire du comité 
de la guerre, de décréter que toute association établie 
dans les régiments devra cesser à Tinstant même ; 
que le roi sera supplié de nommer des oflTiciers gé- 
néraux pour apurer, en présence des officiers res- 
ponsables et d'un certain nombre de soldats, les 
comptes des régiments depuis six années; qu'il est 
libre à tout officier, sous-officier et soldat de laire 
parvenir directement ses plaintes aux officiers supé- 
rieurs, au ministre et à TAssemblée nationale; mais 
que toute nouvelle sédition, tout mouvement concerté 
entre les divers régiments au préjudice de la disci- 
pline militaire, sera poursuivi arec la dernière sévé- 
rité. 

Ce décret, rendu le 6 août, est bientôt connu en 

substance à Nancy, mais il ne satisfait pas les sol- 
dats indisciplinés de cette garnison. Le 10 , le régi* 
ment du roi réclame ses comptes, et parvient à ar- 
racher un premier payement de 150,000 livres. Le 1 1« 
Chftteauvieux délègue deux soldats vers le major pour 
exiger l'argent qu'il prétend lui être dû. Les deux 
pétitionnaires sont emprisonnés et passés par les 
courroies. A cette nouvelle , les régiments du roi et 
mestre de camp prennent les armes, délivrent les 
prisonniers, et, l'épée au poing, obligent le colonel à 
les réhabiliter. Le lendemain, devait être solennelle- 



18 



LK 20 JUIN l'itlt. 



ment proclamé le décret de l'Assemblée nationale; 

mais, en raison des événements intervenus, le com- 
mandant de place remet la cérémonie et consigne les 
régiments dans leurs casernes. Les deux régiments 
ne tiennent compte de cet ordre, et viennent se 
ranger en bataille sur la place Royale, ayant chacun 
dans ses rangs un des deux prisonniers suisses. Le 
commandant a la faiblesse de céder aux vœux des 
rebelles ; il proclame le décret du d août, à la face 
de la révolte S et fait accorder cent louis de dédom* 
magement à chacun des deux soldats qui avaient 
été passés par les courroies; bien plus» 27,000 livres 
sont payées au régiment de Châteauvieux et dépen- 
sées le soir même dans un grand banquet offert par 
lui aux deux autres régiments, qui Tavaient soutenu 
fraternellement contre ses cbe&. 

En apprenant ces faits déplorables, TAsseinblée 
nationale comprend les conséquences terribles qu'ils 
peuvent entraîner. Sur la proposition d*Emmery, 
paiiant au nom des comités de la guerre, des recber* 
ches et des rapports, elle décrète unanimement 
(16 août) : que la violation à main armée des décrets 
de l'Assemblée, sanctionnés par le roi, est un crime 
de lèse-nation au premier chef; que ceux qui ont pris 
pai*t à la révolte devront, dans les vingt-quatre beures, 
confesser, môme par écrit si leurs chefs l'exigent, 

1. « Le décret du 6 fut proclamé, dit M. Louis Blanc, mais 
la discipline était irrévocablement anéantie. » 



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hV. 20 JUIN 170^. 



leur -erreur et leur repentir^ sinon être punis avec 

toute la rigueur des lois militaires. 

Au mépris de ce décret « la rébellion continue. 
On poursuit, ou menace de mort le commandant Dé- 
noue et roflficier général de Malseigne, envoyés pour 
examiner les réclamations des soldats et rétablir 
Tordre. Les scènes de violence se succèdent à iNancy 
et à Lunévitle. 

Cependant Bouille avait été cliaigé d'exécuter le 
décret du 6 août , en sa qualité de commandant de 
toute la frontière de TEst. Il prend avec lui des gardes 
nationaux de Metz et de Toul et plusieurs régiments 
sur lesquels il croit pouvoir compter. Il airive aux 
portes de Nancy dans la matinée du $i et reçoit une 
députation des révoltés qu'il renvoie aussitôt avec 
une sommation de reconnaître immédiatement et sans 
condition Tautorité légitime. 

Les deux régiments français « celui du roi et mestre 
de camp, obéissent, quittent la ville et se retirent 
dans une plaine située près de Nancy, où ils se rangent, 
armes au repos. Les deux officiers généraux Dénoue 
et Malseigne, retenus prisonniers depuis quelques 
jours et accablés de mauvais traitements, sont déli- 
vrés. 

On pouvait espérer que la rébellion s'éteindrait 
sans effusion de sang. Mais les Suisses de Chà- 
teauvieux gai*dent encore la porte par laquelle 
doivent entrer les troupes de Bouillé, et braquent 
contre son avant -garde un canon chargé à mi- 



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!20 



LR !20 JUIN 170^. 



traille. Un jeune officier du régiment du roi, Ré- 
silies, se précipite à la gueule de la pièce et crie aux 
Suisses : a Non, vous ne tirerez pas! n On se jette 
sur lui, on parvient à l'arracher de ce poste où il 
veut mourir. Mais bientôt il revient, se jette à genoux 
entre ceux c(ui vont combattre, supplie les soldats 
révoltés d'obéir à la loi ; tout à coup le canon tonne, 
la fusillade retentit, et l'héroïque officier tombe avec 
trente-cinq gardes nationaux de Metz et de foui. Les 
troupes de Bouillé se précipitent sur les défenseurs 
de la porte, pénètrent dans la ville et sont accueillis 
par des coups de fusil qui partent des toits, des fe- 
nêtres et des caves ; car aux Suisses de Gbâteauvieux 
s'étaient joints un grand nombre d'émeutiers et quel- 
ques soldats des autres régiments. 

Cependant, après une très-vive résistance, force 
reste à la loi ; mats, dans l'armée de Bouillé, qua- 
rante officiers et quatre cents soldats avaient été 
tués ou blessés. Les insurgés avaient fnit des pertes 
encore plus considérables; les rues de i\ancy étaient 
inondées de sang. 

Un conseil de guerre est immédiatement formé 
pour juger les rebelles : conformément aux capitu- 
lations suisses, il était composé entièrement d'offi- 
ciers et de soldats de leur nation. Neuf soldats sont 
condamnés à mort, quarante à trente ans de galères. 
L'exécution des premiers eut lieu dans les vingt- 
quatre heures, les seconds furent dirigés sur le bagne 
de Brest. La punition fut sévère peut-étie, mais ceux 



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LE 20 JUl.N li^i. 



SI 



qui ravalent attirée sur leurs tètes u etaieiit certes 
pas des innocents^ ils étaient encore moins des héros^ 



Aussitôt après l'acceptation de la Constitution 
par le rot (1& septembre 1791), une amnistie géné- 
rale avait été accordée pour tous les faits relatits à 
la révolution. La question s'éleva de savoir si les 
Suisses de Châteauvieux étaient ou non coiupns dans 
cette amnistie. D'une part, on alléguait que ces sol- 
dats avaient été condamnés cuuiiae rebelles à la dis- 

4. Le rapport fait par Mailhe, le tt décembre 4791 , k l'As- 
sembléo législative, dix-huit mois apivs los événements de 
Nancy, reconnaît que les Suisses de GUàteauvieux étaient re- 
beJles à la loi, qu'ils étaient coupables, mais qu ils avaient été 
entratnéà, et conclut à ce que rÂssemblée sollicite leur grâce 
auprès des officiers des régiments de Gastella et de Yigier qui 
les avaient condamnés (Moniteur de 4791, p* 4505). Mailbe ne 
peut être suspect en cette occasion, puisqu*îl était membre de 
la société des Jacobins, siéi^eaiL à l'extrême gauche de l'As- 
semblée législative et fut pluh lard conventionnel et régicide. 

En quelques mois le langage des démagogues changea com- 
plètement. Âu mois de décembre 1794, les Suisses de Châ- 
teauvieux étaient des coupables égarés; au mois de mars 4792, 
ils étaient des héros et des martyrs. Hais, le lendemain de 
leur triomphe, on ne s'occupa plus d'eux. La comédie était 
jouée 1 



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cipUne française et qu'ils subissaient leur peine sur 
le territoire français. D*autre part, on répondait qu'ils 
avaient été condamnés en vertu d'une capitulation 
étrangère par des juges étrangers, et que les cantons 
suiases pouvaient seuls prononcer sur leur sort. Or, 
les cantons, par Torgane du grand conseil, deuian-^ 
daient formellement que Ton maintînt aux galères les 
Suisses de Ghâteauvieux ^ Cette discussion pour ou 
contre leur mise en liberté dura avec des phases di- 
verses pendant la plus grande partie de Thiver de 
1791 à 1792. Le parti jacobin employa , pour inté- 
resser les Parisiens en faveur de ses protégés, une 
tactique que nous avons vue plus d'une fois réussir 
entre les mains d'habiles chercheurs d'une popula- 
rité factice : des écrivains affidés firent représenter 
sur les théâtres populaires })lusieurs pièces dont ces 
soldats, encore aux galères, étaient les héros et dans 
lesquelles on les offrait à Tadmiration des spectateurs 
comme les victimes de la tyrannie et les martyrs de Ja 
liberté'. 

Dans les bas-fonds de la société des jacobins s'agi- 
tait un homme qui, à tout prix, voulait jouer un rôle, 
et qui bientôt après devait s'acquérir une éclatante 
et effroyable renommée. CoUot-d'Uerbois, histrion 

sifflé^ écrivain médiocre, dèclamateur furibond, se 

4. ManileuréQ 4791, p. 4504. 

I. Le Suisse de ChâieotwUux, pièce ea deux actes, par 
Dorvigny, représentée sur le théfttre Molière; le Mariage de 
Rosette ou la Suite du Suisse de Châteaupieux, elc. 



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LE 20 JUIN 1Î92. n 

déclara le défeQ:ieur olBcieux des SuUâes de Château- 
vieux ; il fut appuyé par d'autres démagogues de son 
espèce qui trouvaient ainsi le moyen de raviver la 
haine que Bouillé et La Fayette leur inspiraient, l'un 
depuis la fuite de Vaiennes, l'autre depuis l'affaire 
du Champ de Mars. A force d'écrits* de discours, 

de pétitions, GoUot-d'llerbois finit par obtenir de 
l'Assemblée législative uu décret en vertu duquel * 
malgré ropposition des cantons suisses, le béné- 
lice de ramaisiie était étendu aux soldats de Chà- 
teaufieux. 

tt Avant-liier soir, dit-il, annonçant lui-même la 
grande nouvelle aux Jacobins, le pouvoir exécutif a 
sanctionné le décret qui rend la liberté auiL niailieu- 
relises victimes de Nancy ; il ne manque à mon bon- 
heur que de vous les présenter, et ce bonheur n'est 
pas éloigné* » On applaudit beaucoup et on décida 
qu'une réception brillante serait faite aux clients de 
l'orateur ; mais on se garda bien d'annoncer quels 
en serdent le caractère et le but. Tout d*abord une 
souscription fut ouverte, aiin de subvenir aux pre- 
miers besoins des Suisses qui allaient quitter Brest 
sans ressources. Cette œuvre de bienfaisance devait 
recevoir un bon accueil; parmi ceux qui y prirent 
part on remarqua la famille roy ale elle-même, dont 
le bataillon des Feuillants (section des Tuileries) 
transmit l'offrande aux Jacobins le h mars. Danton 
eût voulu que l'argent du iyran fut refusé, mais Ro- 
bespierre s'écria : « Ce que la famille royale fait 



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Li:. 20 JLIA 17 92. 



comme individu ne noua regarde pan y » et lea luiids 
royaux furent acceptés. 

Si la souscription en faveur des malheureux pri- 
sonniers put réunir un moment les esprits les plus 
opposés, une véritable tempête éclata dans là presse, 
dès que fut publié le programme de la fête préparée 
parles Jacobins. Ce programme était intitulé : « Ordre 
et marche de l'entrée triomphale des mai'tyrs de la 
liberté du régiment de Ghâteauvieux dans la ville de 
Paris; )> il était signé par Tallien, président de la 
commission. Ce n'était, à première vue, que l'ordre 
et la marche d'une burlesque mascarade; mais, en 
réfléchissant im instant sur la signification des sym- 
boles et des emblèmes qui allaient être promenés i 
tiavers les rues de la capitale, on s'apercevait biei^ 
vite de toute la portée politique que les organisateurs 
de cette féte prétendaient lui donner. ^ 

Ce programme contenait la pensée mère de toutes 
les fêtes soi-disant patriotiques, qui, pendant pla- 
ideurs années, allaient être étalées successivement 
aux yeux des Parisiens, par ordre de la Coininuiie 
ou du Comité de salut public, de ces fêtes où de 
misérables prostituées, offertes aux hommages et au 
respect de la foule, jouaient le rùie de la Renommée, 
de la Raison ou de la Liberté. Cette fois, c* étant la* 
ville de Paiis qui devait recevoir la ville de Brest ; 
elles étaient personnifiées par deux femmes revêtues 
de costumes antiques. La i)remière, montée sur un 
char, irait à la barrière du Trône, à la rencontre de 



Lt: 20 JUhN i79îï. 



25 



nd sœur. Le char de triomphe de cette déité serait 
suivi par les ofiiciers muaicipaux, dont on disposait 
sans leur assentiment, et qui devaient donner ainsi 
un caractère oiliciel à cette singulière exhibition. 
Dans le cortège figureraient, pour qu'il n'y eût aucune 
équivoque sui' le sens de la mauiieiiiauuu jacobuie, 
« des bas-reliefs analogues à l'affaire de Nancy et 
aux crimes de Bouille, des inscriptions où seraient 
rappelés les événements où le sang des patriotes 
avait coulé, Naacy, Vincennes, La Chapelle et le 
Champ de Mars^ » 

Le cortège de la ville de Drest se coiii[)oserait de 
ColIot-d'Herbûis et des quarante soldats de Château- 
vieux, «revêtus de Tuniforme de leur régiment; 
quarante hommes les accompagneraient portant les 
chaînes et la dépouille de galérien de chacun de ces 
martyrs de la liberté. » 

Les deux femmes s'étant embrassées et félicitées, 
Paris inviterait Brest à monter sur le char, ainsi que* 
les quarante soldats et leur inévitable défenseur. Le 
cortège se remettrait en marche, les iiiuiiicipaux 
toujours suivant à pied, Coilot et ses clients se pava- 
nant sur le char. On visiterait ainsi les ruines de la 
Bastille, on parcomTait les boulevards, et Ton se ren- 
drait à TAssemblée nationale. Là, CoUot, les délégués 

4. Par exactitude il'liisiorieii uou> sommes oblii^é (i'em- 
prunier les expressions mômes de ïallien, quoiqu'elles soient 
d'un fiançais plus qu'équivoque. 



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26 



LE 20 JUIN !7y2. 



de Brest et les quarante soldats descendraient du 
char et iraient présenter leurs hommages aux légis- 
lateurs de la France. Le programme épargnait du 
moins à l'Assemblée la vue des deux déités et leur 
apparition scandaleuse dans le sanctuaire des lois. 

Après cette visite, que les organisateurs de la fête 
imposaient, de leur pleine autorité et sans les avoir 
consultés, aux représentants du peuple français, le 
cortège devait se diriger, par les places Vendôme et 
Louis XY, u où l'efligie des despotes serait voilée', » 
vers le Champ de Mars, où des cantates en Thonneur 
des Suisses monteraient au ciel parmi des flots d'en- 
cens. 

Cette céiTémonie, destinée, disait le programme, à 
purifier le champ de la Fédération, étant termmée, on 
déchirerait le crêpe qui jusqu'alors aurait couvert le 
drapeau national, et on se livrerait à des festins 
civiques et à des danses qui devaient durer, suivant 
rexpressioû du poétique programme, autant que le 
jour, trop prompt à fuir, le permettrait. » 

Toutes les sections de Paris avaient été invitées à 
nommer des commissaires pour assister à la fête. La 
section Sainte-Geneviève élut Boucher, le poëte des 
JUoiSf qui soutenait avec courage, dans le Journal 
de PariSj les principes constitutionnels. « J*acceptei 

4. La statue de Louis XIY existait sur la placô Vendôme, et 
c.elle de Louiâ XV sur ta place de ce nom, aujourd'hui place de 
la CoQcorde. 



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LE 2U JUIN M9t. 



écrivit Boucher (31 mars), mais à la condition que 
le buste du générera Desilles sera swr le" char de 
triomphe, afin que le peuple contemple l'assassiné 
au milieu des assassins ! n Cette lettre souleva des 
transports de colère parmi les Jacobins. Un certain 
Mehée de La Touche, lui-même commissaire de la 
fête, y répondit, dans les Annules patriotiques^ 
en insultant grossièrement Roucher et en lui jetant 
à la face, dans un poist-scriptum, une accusation de 
vol formulée en ces termes : a Nous savons qu'il y a 
de par le monde une certaine caisse financière qui 
de pleine se trouva vide. » Boucher, montrant dans 
cette circonstance une énergie et une résolution qui 
doivent être données comme exemple, annonça qu il 
allait porter plainte contre l'auteur de cette ignoble 
calonmie. 

« U est temps, s*écriait-il à la fin de sa vive 

réplique, qu'un homme probe obtienne une répa- 
ration qui, par un juste eOroi, purge enfin la so- 
ciété de ce qu'elle a de plus impur, des libellistes, 
de leurs fauteurs, complices et adhérents. » 

Sur la menace d*un procès en diffamation, les 
Annales patriotiques reculèrent lâchement. Elles s'y 
reprirent à deux fois pour déclarer que l'insertion 
de la note dont lioucher se plaignait avait été faite 
par suite d'une faute d'impression ; elles ajoutèrent 
même à cette excuse, aussi plate que mensongère, 
cette rétractation formelle : « Nous ne nous conso- 
lerions pas d avoir pu fournir une occasion & la 



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LK 20 JLIN 1792.. 



moindre interprétation qui fut injurieuse à M. Rou- 
cher, si nous n'étions bien sûrs que son excellente 
réputation éloignera toujours de lui, aux yeux de 
tous les gens de bien, l'ombre même du soupçon. » 

On ne pouvait s'humilier davantage. Rouclier se hàla 
de faire réimprimer les deux rétractations des An- 
rudes dans le Journal de Paris en les accompagnant 
de ces réilexions, qui sont de tous les temps : « Je 
demande aux bons citoyens d'avoir le courage de 
leur vertu ; ces factieux, ces calomniateurs, ces bri- 
gands qui nous agitent, nous diffament et nous 
égorgent, ne sont forts que de notre faiblesse. Es^ 
sayons de leur faire téte, et l'audace à l'instant ne 
sera plus que de la lâcheté. » 

Les démagogues tentèrent de prendre leur re- 
vanche de cette déconvenue, et GolIot-d'Herbois vint 
lire aux Jacobins un écrit intitulé : La vérité sur les 
soldats de Châteamieux, Ce dithyrambe en faveur 
de i insubordination fut imprimé, distribué aux so- 
ciétés affiliées, et placardé sur les murs de la capi- 
tale par ordre du club. Le Journal de Paris (4 avril) 
y répondit par une réfutation pleine de force, de 
verve et d'ironie. Cette réfutation est sigiiée d'un 
nom glorieux entre tous, celui d'André Cbénier. 

Les poëtes ancieiis avaienl, dit-on, le don de la 
divination; André Ghénier, qui savait si bien les imi- 
ter, semble avoir eu le môme privilège. Sous Taîr 
paterne que prenait l'auteur de XAlmanach du père 
Gérard^ il pressentit le proconsul qui devait épou- 



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LE 20 J0IN 1793. 



♦ 

29 



vanter Lyon de ses fureurs ^ Mais l'admirable phi- 
lippique n'était pas seulement dirigée contre l'in- 
digne Collot; le poëte -journaliste y dénonçait à 
l'indignation de tous les gens de bien la scandaleuse 
bacchanale qui se préparait, les invitant à la laisser 
passer dans les rues désertes et devant les fenêtres 
fernQées. A cette vive attaque, Collot-d'Herbois répli- 
qua par des injures et des banalités, accusant les 
constitutionnels d'avoir u orp^anisé l'horrible aiïaire 
de Nancy » et d'en vouloir une seconde. Après avoir 
essayé de laver ses clients de tonte espèce de crime, 
même du meurtre de Desilles, il terminait sa nou- 
velle harangue en s'écriant : « Dites-moi si ces sol- 
dats ne sont pas au contraire les plus surs vengeurs 
de la liberté 1 » 

Boucher lui rappela que naguère il s'était « pro- 
sterné en esclave aux pieds de Monsieur, frère du 
roi. » GolIoL-d'lIerbois, un moment déconcerté par 
cette indiscrète révélation, n'en continua pas moins 
d'exhaler son sentimentalisme prétendu patriotique. 
Mais un autre histrion, plus vil et plus misérable, 
Marat, s'irrita de ce qu'un nouveau-venu lui déro- 

1. Les niai- se Ici lisaient au contraire prendre aux tendresses 
bucoliques que débitait le sentimental comédien; c'est ainsi que 
Lecointe-Puyraveau s'écriait, le 40 juillet, à la tribune de l'As- 
semblée nationale : 

« Quel est le département, la ville, le canton où le nom de 
M. Collot-d'Herbois ne soit connu et chéri ? » 

Lee Brotteanx surent bientôt qui avait deviné juste d*Aiidr6 
Cbénier ou de Leco^nte-Puyiaveau. 

2. 



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30 



LE 2U JUIN 1792. 



bât le titre et le rôle de seul et unique ami du 
peuple. Marat fit semblant d'être indigné de cette 
sensiblerie de commande, de cette plaidoirie sur 
circonstances atténuantes, et accusa CoUot d'avoir 
voulu déguiser les titres que les soldats de Château- 
vieux avaient à la faveur de ce qu*il appelait les 

patriotes. L'écrit de son rival en po[)Lilaritc n'était, 
selon lui, que le « verbiage d*un rbéteur pusilla* 
nime, » et, se hâtant d'y substituer « les aveux ingé- 
nus d'un citoyen éclairé et les vérités lumineuses 
d'un politique hardi et profond » (c'est ainsi que ce 
misérable parlait de lui-même), il dévoilait aux yeux 
des moins clairvoyants toute la portée de la féte qui 
se préparait. 

« Oui, s'écriait-il avec son impudence ordinaire, 
oui , les soldats de Châteauvieux étaient insubordon- 
nés à des officiers fripons qui les opprimaient... Oui, 
les soldats de Châteauvieux ont résisté à un décret 
barbare qui allait les livrer au fer d'une armée d'as- 
sassins... Oui, les soldats de Châteauvieux se sont 
mis en défense contxe les aveugles satellites qui s'a- 
vançaient sous les ordres d'un conspirateur sangui- 
naire, pour les asservir ou les massacrer... Oui, les 
soldats de Châteauvieux ont fait mordre la poussière 
à quinze cents féroces satellites soudoyés et volon- 
taires nationaux qui accouraient pour les égorger I 
Que leur reproche-t-on ? D'avoir violé quelques dé- 
crets iniques d'un législateur corrompu? Mais c'était 
pour obéir aux plus saintes lois de la natui e et de la 



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LK 20 JUIN 1792. 



31 



société, devant lesquelles toute autorité doit fléchir. 
Loin de leur faire un crime de leur courageuse résis- 
tance à leurs oppresseurs, à leurs assassins, on doit 
leur en faire un mérite... La saine doctrine de la 
résistance aux mauvais décrets peut seule sauver 
rÉtat; VAmi du peuple la prèchera-t*ilàdes sourds'?» 



lY. 



La question étant ainsi posée, quiconque respec- 
tait la loi et idmait Tordre ne pouvait voir de sang- 
froid les préparatifs de Fignoble paràde. La polé- 
mique des journaux s'envenima de plus en plus; les 
murailles se couvrirent de placards de toutes cou- 
leurs, où la fête projetée était attaquée et défendue 
sur tous les tons et sous toutes les formes. 

La municipalité envoya aux quarante-huit sections 
et aux soixante bataillons, avec prière de raffîcher, 
une lettre dans laquelle Pétion expliquait ce que de- 
vait être cette fétê qui excitait tant de rumeurs. « De 
quoi s'agit-il? disait le maire avec sa bonhomie de 
convention. Des soldats, qui, les premiers avec les 
gardes-françaises, ont brisé nos fers S qui ensuite en 

\ . HAmi du peuple, n*" 637. 

^. Les partisans de la féte prétendaient que les Suisses de 
CbÀieaiivieux avaient refu^. en juillet 4789, de- tirer sur le 



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32 LE 20 JUIN 1792. 

ont été surchargés, arrivent dans nos murs. Des ci- 
toyens projettent d' aller à leur rencontre, de les re- 
cevoir ayec fraternité. Ces citoyens suivent un mou- 
vement naturel, ils usent d'un droit qui appartient à 
tous. Us invitent leurs concitoyens, ils invitent leurs 
magistrats à s'y trouver. Les magistrats ne voient 
rien là que de simple, que d'innocent. Ils voient des 
citoyens qui s'abandonnent à la joie, à l'allégresse; 
chacun est libre de participer ou de ne pas participer 

à cette fête; ce n'est pas rautorité cfui la provoque, 
c'est le vœu des citoyens qui la donne. Si personne 
n*eùt vu que ce qui est, tout se ser»t passé sans 
bruit, tout se serait fait à Paris comme dans les villes 
que les soldats de Châteauvieux ont traversées et où 
ils ont été bien accueillis. » 

Gela dit sur le ton le plus naïf, le maire regrettait 
le bruit inutile et dangereux fait par les malinten- 
tionnés : 

«C'est mensongèreraent , aHîrmait-il, que ion a 
insinué que des inscriptions injurieuses pour la garde 
nationale seraient portées dans le cortège, que le 
drapeau tricolore serait couvert d'un voile funèbre 
et que l'on procéderait à la purification solennelle du 

peuple. Ce régiment, aiosi que plusieurs autres, était campé au 
Champ de Mars et n'avait pas eu occasion d'opposer un refus 

à des ordres qu'on ne lui avait pas «ionnes. Mais peu imporUiit, 
en 17112, aux Jacobins; les besoins de la circonstance exi- 
geaient que les Suisses de Châteauvieux fussent représentés 
comme des victimes de leur dévouement À la cause du peuple. 



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LB 20 JUIN nu'i. 



Champ de Mars. Dans le plan comi^uiuiqué à la ma* 
nicipalité, rien de tout cela n'existe! )> 

Cette affirmation roulait sur une misérable équi- 
voque. Toutes ces énormités se trouvaient , comme 
nous l'ayons vu, dans le plan primitif. Mais quinze 
jours s*ét£dent écoulés; les ordonnateurs de la fête* 
qui tenaient beaucoup à traîner la municipalité pari- 
sienne» ou au moins une grande partie de ses mem- 
bres, à la suite du cortège, avaient eux-mêmes com- 
pris qu'ils devaient modiiier leur programme. C'est 
ce qu'ils avaient fait, et c'est ce qui permettait au 
maire de Paris d'opposer un démenti aux réclama- 
tions qu'Acloque, commandant général de la garde 
nationale pour le mois d'avril, avait adressées au 
procureur général syndic Kœderer, au nom de tous 
ses camarades. 

. Quelques jours après, le maire écrivit une nouvelle 
lettre, cette fois adressée au directoire du départe- 
ment, et dans laquelle il cherchait à excuser la muni- 
cipalité de la part qu'elle avait cru devoir prendre 
indirectement à la fête projetée. 

« Lorsque des pétitionnaires se sont présentés au 
conseil général pour le prier d'assister à celte céré- 
monie, lorsque les sections ont fait le même vœu, on 
ne pouvait pas s'attendre qu'un esprit de vertige 
s'emparerait d'un grand nombre de têtes, que des 
intrigants travailleraient les esprits et que cette fête 
deviendrait une aflaire de parti et un sujet de récla- 
mations... 



LK '20 JUIN 17112. 



« Le conseil général ne vit rien (|ue de très-simple 
et de très-licite dans une semblable fête. Il promit 
de s'y trouver, et il crut même que sa présence était 
un acte de prudence et de sagesse « qu'elle serait 
propre à contenir les citoyens dans les justes bornes 
des convenances et à maintenir entre eux la paix et 
la fraternité. 

« Bienpius,ajoutaitle maire, aliii d'enlever toutpré- 
texte aux intrigants, il avait été décidé depuis que la 
municipalité n'assisterait pas à la cérémonie en corps, 
et que môme ses membres y paraîtraient sans écbarpe 
et comme de simples citoyens. A cette résolution le 
département n'avait trouvé aucun inconvénient; une 
seule chose l'offusquait encore le dessein annoncé 
de voiler lea»statues qui ornaient les places Vendôme 
et Louis XV ; mais les ordonnateurs de la fête avalent 
renoncé à cette partie du programme, » 

Ici, Pétion, plus véridique que dans sa lettre aux 
sections, avouait que Ton avait imprimé et placardé 
un projet de fête qui avait froissé beaucoup de ci* 
toyens, et qui contenait en effet des choses propres à 
les irriter; mais ce projet ne devait pas être suivi et 
il fallait revenir à la question, qui se posait ainsi : 

(i Des citoyens peuvent-ils aller au-devant des sol- 
dats de Châteauvieux, les accueillir, leur donner des 
repas, se livrer à toutes sortes d'amusements, de té- 
moignages de joie et d'allégresse? Je pense que oui, 
à moins qu'un décret n'ordonne qu'aucun citoyen ne 
puisse, le jour de leur arrivée et pendant le temps 



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de leur séjour, sortir de chez lui. Je ue vois pas com- 
ment il serait possible d'empécber cent, deux cent 
mille citoyens de se porter au-devant d'eux, et de 
leur faire toute sorte d'accueil. La féte en question 
n est point une féte publique ; le nombre des citoyens 
n'y fait rien. U n'y a de fôtes publiques que celles 
qui sont données par les autorités constituées, et, ici, 
aucune autorité ne s'en mêle. » 

Ainsi, ce n*étdent plus de simples particuliers qui 
préconisaient cette féte; le premier magistrat de la 
première yiUe de France se mettait de la partie; dans 
des lettres explicatives qui n'expliquaient rien, il dé- 
veloppait la singulière théorie, si souvent mise en 
pratique, de régulariser et d'autoriser ce que l'on ne 
peut empêcher. Ces lettres méritaient de vigoureuses 
réponses ; elles ne leur manquèrent pas. André Ghé- 
nier releva dans le Journal de Paris l'épitbète 

intrigants que, dans sa lettre au directoire du dé- 
partement de Taris, Pétion avait appliquée aux con- 
tempteurs des Suisses de Ghâteauvieux et de leurs 
amis, u Monsieur Pétion, dit-il, les intrigants sont ceux 
qui se dévouent aux intérêts d'un parti pour obtenir 
des applaudissements ou des dignités. Les intrigants 
sont ceux qui font plier ou qui laissent plier les lois 
sous la volonté des gens à qui ils se croient redeva- 
bles. Les intrigants sont ceux qui, étant magistrats' 
publics, flattent lâchement les passions de la multi- 
tude qui régue et les fait régner, etc. ; voilà quels 
sont les intrigants.. » 



LE 20 JUIN 1703. 



Pendant ce temps, des pétitions se couvraient de 
signatureddaus tous les quartiers de la capitale contre 
la fête parliculiire donnée publiquement aux Suisses 
de Châteauvieux. 

En présence de pareilles démonstrations, en pré- 
sence des liésitations de la municipalité et de Top- 
position presque formelle du directoire du départe- 
ment, les meneurs virent qu'il fallait modifier leur 
projet* 

Tallien et Collot-d'Herbois se crurent obligés de 
déclarer au club des Jacobins que la fête annoncée 
serait dédiée à la Liberté. C'était le seul moyen de 
faire taire les scrupules des gens timorés* 



V. 



Pendant que l'on discutait ainsi à Paris sur le pro- 
graoune, les triompbaieurs futurs quittaient le bagne 
de Brest, et s'avançaient à petites journées, fêtés 

par les sociétés jacobines, couronnés de fleuis, pro- 
clamés « victimes de la liberté ^ » Arrivés à Versailles, 
ils furent entourés par les jacobins de cette ville et 
conduits le soir même au théâtre, où Ton représen- 

4. ^eiiou, leUre k Dupoot de Memours. 



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LE iU JUiiN ivri. 



31 



tait la tragédie de Bnitus. Le lendemain on les mena 
daûs la salle du Jeu de Paume, ce berceau de la 
tiberté française; comme si ces quarante soldats 
avaient pu avoir quelque chose de commua avec les 
hommes qui, le 20 juin 1789, rendirent ce lieu à 
jamais célèbre î 

Un banquet avait été préparé dans un bâtiment 
voisin de la salle; Guachon, l'orateur ordinaire du 
faubourg Saint-Antoine, était accouru de Paris avec 
une bande d ulottes, pour féliciter de leur 

' délivrance les héros de la fête, et leur libérateur, 
CoUot-d'Herbois, de son patriotisme. 

Après le banquet, les Suisses prenneut la route de 
la capitale, où ils arrivent suivis d'une foule nom* 
breuse, qui force les particuliers qu'elle rencontre à 
descendre de voiture et à se découvrir pour honorer 
les enneiuis du despotisme. Les Suisses sont conduits 
immédiatement à l'Assemblée nationale, et leur dé- 
fenseur demande au président F autorisation de pa- 
raître avec eux à la barre. 

Cette demande soulève, cumiiic on devait s'y ai- 
tendre , r opposition de la droite, u Si les Suisses de 
Châteauvieux ne se présentent que pour témoigner à 
r Assemblée leur reconnaissance, qu'ils soient reçus 
à la barre et entendus, s* écrie Jaucourt; mais qu'ils 
ne soient pas admis à la séance 1 ils doivent être 
exclus de cet honneur. » 

Les tribunes avaient été soigneusement remplies 
d'amis de GoUot et des Jacobins : à cette proposition 

3 



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38 LE sa JUIN 1792. 

elles répondent par des cris redoublés : « A bas ! à 

bas ! » Jaucourt, sans s'eO'rayer des interruptions, pose 
très-nettement la question : « One amnistie n'est ni 
un triomphe ni une couroune civique; je veux croire 
que les soldais de Château vieux ont été égarés; mais 
la garde nationale, mais les soldats de la troupe de 
ligne, qu ils ont combattus aux portes de Nancy, se 
sont dévoués à la défense delà loi, et eux seulement 
sont morts pour la patrie; lorsqu'on a honoré leur 
mort d un deuil public, lorsque ce deuil a été porté 
par toutes les gardes nationales de France, était-ce 
pour qu'on décernât, un an après, les mêmes hon- 
neurs à ceux sous les coups desquels sont tombées 
tant d'infortunées victimes de la loi? » 

Ces paroles soulèvent des applaudissements à 
droite, mais les murmures redoublent à gauche et 
dans les tribunes. 

« Qu'il soit permis, reprend Jaucourt, quil soit 
permis à un militaire qui fut, avec son régiment, 
commandé pour cette expédition, de vous représenter 
que votre décision peut faire une grande impression 
sur r armée ; les honneurs que vous rendez aux soldats 
de Ghâteauvieuxles feront considérer^ non pas comme 
des hommes qui ont été trop punis, mais comme des 
victimes innocentes... » 

« Oui, oui , » crient la gauche et les tribunes* 
Pendant que Jaucourt retourne à son banc, son col- 
lègue et son ami, Gouvion, monte à la tribune, et 
•ia d une voix emue : 



LE iO JliliN 1792. 



39 



IX J*avais un frère, bon patriote... toujours prêt à 
se sacrifier pour la loi; c'est au nom de la loi qu'il a 
été requis de marcher sur Nancy avec les braves 
gardes nationales. Là il est tombé percé de cinq coups 
de fusil. Je deniande si je puis voir traai^uiiiement 
les assassins de mon frère... » 

« Eh bien! monsieur , sortez! » lui crie-t-on in- 
solemment des bancs de la gauche. A ces mots» 
quelques spectateurs applaudissent; maisFAssemblée, 
presque tout entière , manifeste la plus vive indigna- 
tion. Un grand nombre de députés réclament la cen- 
sure contre l'interrupteur, quelques-uns même de- 
mandent qu'il soit envoyé à TAbbaye. 

« Je traite, s'écrie Gouvion, je traite avec tout le 
mépris qu'il mérite le lâche qui a été assez bas... » 
■ « A la question 1 » hurlent les amis des Jacobins. 

Ghoudieu a l'impudence de se lever et de déclarer 
que c'est lui qui a interrompu Gouvion. 

Cette brutalité lui mérite naturellement les applau* 
Ossements des tribunes. 

u Le malheureux! reprend froidement Gouvion, il 
n*a donc jamais eu de frère 1 » Et il quitte F Assemblée 
pour n'y plus reparaitie 

4. « Ea quittant la tribune, le général Gouvion sortit de la 
salle par le coté d'où ie mot injurieux était parti; je me hâtai 
de raccompagner. Dans le peu d'instants que nous restâmes 
ensemble sur la terrasse des Feuillants, Gouvion me dit : « Je 
« ne remettrai jamais les pieds dans cette salle. » Il rentra chez 
lui, et, lorsque j'allai le retrouver après la séance, il avait déjà 



40 



LË !2U iUIM 1192. 



Le paralytique Goatbon lui succède à la tribune et 

prend la défense des Suisses de Châteauvîeux. 11 
demande qne l'Assemblée « leur fasse oublier les 
maux qu'ils ont bOuircrLs, eL liouore en eux le trioniphe 
de la liberté; n il appuie son raisonnement d'un aveu 
précieux à recueillir, car il montre bien que les 
Jacobins eux-mêmes étaient loin de voir des béros 
dans les révoltés de Nancy, et qu'ils ne les exaltaient 
que pour les besoins de leur politique. 

(( Quand même on aurait quelques reproches à 
leur faire y qiuind même ils auraient été égarés y il 
faudrait être bien ésclavê des vieux préjugés, pour 
vouloir déshonorer des iioiiiuies que la loi a inno- 
centés. Les soldats amnistiés sont rentrés dans le 
diOiL couunun; par conséquent l'Assemblée doit leur 
accorder, comme à tous, les honneurs de la séance. » 

« Eh bien ! alors, s'écrie un membre de la droite 
(de Uaussy) , je demande que le buste de Desilies soit 
placé sur le bureau. » 

Après un violent tumulte , excité par ces paroles , 
on passe au vote sur ces deux questions : Faut-il 
admettre les Suisses à la barre ? Faut-il leur accorder 

adressé sa démission au président. « J'attendrai pendant vingt- 
« quatre heures, me dit-îl, celui que J*aî traité de lâche, et 
« demain au soir jo [>artirai pour rarmée. Là sans doute je 

« trouverai une glorieuse fin à tout ceci. » Je ne pus le per- 

sudiitT de reaonecr à (les>"iii; (;l ()eu de jours après, au\ 
avaDt-posles do l'avant-izardo du général La Fay«'lte, le brave 
Gouvion elait tonibu, trappe du premier boulet eonemi. » [Hovr 
venin de Matthieu Damas, 1. 11, p. 130.) 



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LË 20 JUIN 1702. 



41 



les honneurs de la séance ? La première est adoptée 

h runanimité. Quant à la seconde, le président, sur 
Tavis des secrétaires , la déclare résolue aiiirmative- 
ment par la majorité. Mais, pendant que les tribunes 
applaudissent, un grand nombre de membres de la 
droite descendent de leurs bancs et réclament F appel 
npriiinal. Le plus grand désordre règne dans l'As- 
semblée : les députés échangent, d'un bout à Tautre 
de la salle, des paroles insultantes et des menaces. 
Enfin le président, sommé par Lacombe de faire 
iiiiiiiedi.itement procéder à l'appel nominal, s'y dé- 
cide. La plupart des députés répondent de leur banc 
par un oui ou par un non. Gouvion appelé ne répond 
pas. « Il pleure son frère, » s écrie Gbéron. — « A 
Tordre! à Tordre I » répond la gauche*. 

L* appel nominal donne le résultat suivant : 

Votants : 5 Ad; oui, 281; non, 265 voix. 

A une majorité de 8 voix, les amis de Collot- 
d*HerboisTavaient emporté. En conséquence, le pré- 
sident déclare que les soldats de Ghàteauvieux, qui 
ont été autorisés à se présenter à l'Assemblée, seront 
admis aux lioiiiiE urs de la séance. 

Les tribunes saluent leur victoire par de triples 
acclamations. 

Aussitôt les quarante Suisses paraissent à la barre, 
.sons la conduite de leur défenseur officieux, Collot- 
d'Herbois. Celui-ci remercie l'Assemblée de les avoir 

4. Journal des Débats et Décrets, p. 102. 



LB '20 JUIN 1702 



amnistiés et rend compte du vif intérêt qa*ils ont 

rencontré. « Intérêt accordé pour leur patriotisme, 
s'écrie-t-il, et, si j'ose dire, pour leur innocence... 
Puissent leurs fers que vous avez brisés, législateurs, 
être les derniers dont le despotisme enchaîne jamais 
les ardents amis, les défenseurs déterminés de la 
liberté! n 

La gauche et les spectateurs applaudissent, le pré- 
sident Dorizy répond sèchement : 

« L'Assemblée a prononcé en votre faveur une 
amnistie; elle a ajouté à ce premier bienfait la per- 
mission de vous présenter à la barre , pour recevoir 
les témoignages de votre reçonnaissauce. £Ue s'est 
empressée de briser vos fers, jouissez de sa bienfai- 
sance, et qu'elle soit pour vous un motif puissant 
d'amour pour vos devoirs et d'obéissance aux lois. 
L'Assemblée nationale vous accorde les honneurs de 
la séance. » 

Les amis des Jacobins, contents de leur triomphe, 
ne relèvent pas ce que contient d'amère ironie cette 
dernière phrase, où le président parlait de devoir et 
de respect des lois à des individus qui les avaient si 
ouvertement méconnus; on se contente d'applaudir 
avec frénésie les quarante Suisses, au moment où, 
avec leur défenseur, ils prennent place dans l'inté- 
rieur de la salle. Aussitôt commence le défile de l'es- 
corte qui les accompagnait depuis Versailles; car, 
par une suite de concessions arrachées à sa faiblesse, 
l'Assemblée admettait à défiler devant elle des gardes 



Lt; 2U JUIN 1792. 



43 



nationaux, des bataillons de voluniait es, et jusqu'à 
des députations de sociétés populaires. Ëlle perdait 
ainsi une paitie de ses séances à entendre des ha- 
rangues où la raison , le bon sens et la langue fran- 
çaise étaient violemment outiagés, où des menaces 
et des insultes lui étaient souvent prodiguées; elle 
n'avait pas même le courage de faire respecter sa 
propre dignité, en imposant sileuce aux manifesta- 
tions intempestives et aux vociférations tumultueuses 
de ces singuliers visiteurs. 

Des détachements de la garde nationale de Ver- 
sailles ouvrent la marche avec leurs tambours battant 
aux champs; puis viennent des gardes nationaux et 
d'anciens gardes -françaises sans armes, criant à 
tne*téte: « Vive la nation l o Us sont suivis d'un 
nombreux cortège de cito} ens et de citoyennes, armés 
de piques, coiffés du bonnet rouge, et de représen- 
tants des diverses sociétés populaires de Paris et de 
Versailles. 

Gonchon parait à la barre , tenant à la main une 

pique surmouiee d'un bonnet phrygien. Après avoir 
juré de défendre l'Assemblée, la liberté et la Consti- 
tution, il termine sa harangue en s'écriant; « Nous 
vous en dirions bien davantage, mais nous avons déjà 
tant crié: vive la liberté, vive la Constitution, vive 
l'Assemblée nationale, que nous en sommes en- 
roués ^ » 

4. Gonchon est un de ces types qui méritent de nous arrêter 



44 



LB 20 JUIN 1792. 



Ainsi se termina le premier acte de la comédie 

préparée par les Jacobins. La séance de T Assemblée 
fut levée aussitôt après le défilé. Dans la soirée , les 
Suisses furent promenés dans tout Paris par GoUot- 

quelques instants. C'était un très -habile oavrier dessinateur 
pour les articles de soieries, qiu, i^agnanl largement sa vie, 
consacrait par semaine deux journées à l'entrotien do sa famille, 
et les autres au service de la Kevolution, comme il le disait lui- 
même, plus tard, dans une de ses lettres au Comité de sûreté 
générale. Il fut un instant caressé, adulé par les plus hauts pep- 
sonnages du parti girondin. Gondorcet lui dédiait un mémoire 
philosophique sur l'art de rendre les peuples heureux {Moniteur 
du 94 décembre 4792); Roland lui confiait des missions payées 
sur les fonds secrets mis à sa disposition : ce fut ainsi que Gon- 
chon parcourut, sous 1 li.ibil d un colporteur, toute la province 
de Liège, au moment de son annexion éphémère (h !a fin de 
4792), et qu'il fit plusieurs voyages à Lyon et en Savoie (//i.s- 
toire secrète de la Révolution, par Camille DesmouHns, p. 55). 

Après le 34 mai, (îonchon devint suspect aux Jacobins, mais 
on n'osa pas d*abord Tarrèter, % raison de la popularité dont il 
jouissait dans le faubourg Saint- Antoine. Pendant quelque 
temps il fut à moitié libre sous la garde d'un gendarme qui le 
suivait comme son ombre à travers Paris; mais, dénoncé 
nominativement au club des Jacobins, le 24 septembre 4793, 
il fut arrùic par ordre de Robespierre; relâché un instant après 
le 9 thermidor, repris de nouveau sur la déooncialion de Du- 
bois4^rancé, il ne sortit définitivement de prison qu*en vendé- 
miaire an III, après une captivité de onze mois.Gonchon rentra 
dès lors pour toujours dans Tobscurité, d^oik son désir de se 
poser en public comme le modèle des sans- culottes, Torateur 
du faubourg Saint-Antoine, le délégué perpétuel des ouvriers 
parisiens, l'avait fait sortir un instant. Pendant sa captivité, sa 
femme et ses enfants étaient sans pnin, s;iiis ro-^oiirco. et pas- 
saient les nuits à la porte du Comité de sûreté générale à sol- 
liciter la mise en liberté de leur unique soutien. 



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LE 20 JUIN 1792. 



45 



d*Herbois, leur inséparable patron, et présentés 
particulièrement aux citoyens du faubourg Saint- 
Antoine, line centaine d*homaies les suivaient, dont 
une partie vêtus en gardes nationaux, criant sans 

cesse : a Vive Ghâteauvieux! Pendez La Fayette et 
BaiUy!* » 

4 . Lettre de Dupont de Nemours à Pétîon. — Il faut lire 
dans YHistoire parlemenUdre de Bûchez et Roux cette lettre 
si remarquable où Ton trouve cette belle définition du peuple: 

ff Vous dites, mon>ieiir, que celle fête est donnée par le 
peuple. Qu'appelt'z-vous le peuple? Avez-vous ipcréé par 
votre nutorité les ordres que In Consliiution a f]étruit'> pour 
jamais ? Y a-t-il en Franco un autre peuple que la collection 
des bons citoyens? Â-t-il une autre manière d'exprimer sa 
volonté que par Torgane de ses représentanls? Peut-il, dans 
un gouyemement représentatif, retenir l'autorité qu'il leur a 
confiée? Hors de l'Assemblée nationale, il n*y a que des indi» 
vidus qui n'ont le droit de s'exprimer que par des pétitions- 
Le peuple est, souverain qu.md il élit; il jouit de sa souverai- 
neté quand ?ps r(^presenlanls décrètent. » 

Il faut aussi lire à la suite de cette lettre de Dupont de Ne- 
mours la réponse que Pétion publia après révénement (Histoire 
parlementaire, U XIY, p. 90 à 402). Ce morceau donne une 
idée parfaite de ce personnage, qui s'encensait tui-môme avec 
une fatuité ingénue, qui se déclarait à chacune de ses phrases 
un magistrat modèle, un administrateur habile, prévoyant et 
disert. On ne saurait trop étudier ce type de l'avocat do pro- 
vince, enivré de ses succès au présidial de Chartres, de ses 
triomphes dans les salons et dans les boudoirs de sa petite 
ville, et qui, transplanté tout d'un coup sur un plus grand 
théâtre, se croit destiné à jouer tout à la fois le rôle de LauzuUf 
de Sully et de Guise. Mais , ce qui peut le mieux donner une 
Idée exacte de son incroyable outrecuidance, c'est le récit qu'il 
a laissé du retour de Yarenues, l'une des pièces les plus ca- 

3. 



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Lf? 20 JUIN 1792, 



L'arrivée des Suisses à Paiis détermina la muûici* 
palité à faire de nouvelles démarches auprès du dé- 
partement, qui ne lui avait point encore permis de 
publier son arrêté relatif à la fête. Pour vaincre les 
dernières résistances de l'autorité départementale, 
les meneurs adoptèrent la motion incidemment faite 
au club des Jacobins par Tallien, et reprise par 
Collot-d'Herbois. En fixant la date de la cérémonie 
au dimanche 15 avril, on déclara qu'elle aurait pour 
objet principal la liberté, et non plus les Suisses 
libérés des galères. D'autre part, afin de contre- 
balancer rinfluence des protestations qui arrivaient 
de toutes parts, Pétîon écrivit de nouveau au direc- 
toire « qu'il Y aurait mille fois plus de danger à em- 
pêcher la fête qu'on préparait qu'à la laisser aller à 
son cours naturel et paisible. » 

ri(3u>os quo nos recherchos nou^ aient fait rencontrer; nous la 
donn-ins à la fin de ce volume. vaniîoux ol ridicuio officier 
municipal insinue que cette sainte, que l'on appelait madame 
Ëlisaboih, a voulu le séduire et jouer avec lui le rôle deCircé; 
il parle de cette femme si pure et si chaste en des termes que 
ron croirait empruntés aux pass^t^es les plus érotiques de la 
Nouvelle ttéloise. 



LL iU JUIN 17U^i. 



47 



Le département céda de guerre lasse. Par son 
arrêté du 12 avril, il chargea la municipalité de 
Paris de continuer de veiller avec la plus p^rande 
attention à ce que, à Toccaston du rassemblement 
projeté pour le 15 de ce mois, il ne se passât rien 
qui pût blesser le respect dû aux lois, aux autorités 
constituées, à la dicrnité et à la sûreté des citoyens ^ 

5aiis plus tarder, la municipalité envoya aux 
soixante bataillons et aux quarante-huit sections un 
arrêté signé PàtioUy maire, et Dvjoly^ secrétaire- 
greffier, par lequel étaient réglées les mesures 
d'ordre nécessitées par la léte. Elle se contentait 
d'interdire toute exhibition d*armes dans « cette belle 
journée, » où le peuple, comme elle disait, ne devrait 
se réunir que pour « se livrer aux sentiments de la 
joie et de l'alléc^resse. » 

Les journaux anarchistes en étaient donc arrivés à 
leurs fins; ils devaient naturellement célébrer leur 
victoire par un redoublement de violence, li s' agis- 
sait pour eux de servir aux passions populaires, 
fortement excitées par l'ardente polémique des der- 
nières semaines, un breuvage d'une phis âcre 
saveur que de coutume. Ils ne s'en firent fruité. 
Voici quelques-unes des pages que l'auteur du Père 
Duchcsnc consacra à célébrer ti ioniplie des Suisses 
de Cbàteauvieux. Par cette seule citation, on pourra 

4. Àrrèlé signé : La Rochefoucauld, prêi»idont; BIondeK 
secrétaire. — Cilé in extenso dans y Histoire parlementaire , 
t. XIV, p. 403-nO. 



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48 



LE 20 JUIN 179S, 



jager à quel paroxysme de fureur et de dévergon- 
dage en étaient déjà arrivés à cette époque les gaze- 
tiers ultra-révolutionnaires. 

(( Malgré Veto, nous avons brisé leurs fers; à 
sa barbe et à son nez, les soldats de Gh&teauvieux 
vont être conduits en triomphe. Je ci ois rapcrccvolr 
à travers sa jalousie comme le jour de la fête de 
Voltaire ; c'est alors qu'elle rugira comme un tigre 
encbainé, de ne pouvoir s'abreuver de notre sang. 

« Les voilà, s'écriera-t-elle, ces victimes échappées 
à ma rage. En vain mon fidèle Blondinets d'accord 
avec son cousin Bouillé, aiu*a-t>il manigancé le mas- ^ 
sacre de Nancy, en vain m'aura-t-il promis de faire 
expirer sur la roue tous ces Suisses rebelles à mes 
volontés, et qui refusèrent de massacrer le peuple 
de Paris, ce peuple que j'abhorre et dont j'ai tant 
de fois juré inutilement la perte. 

u Voilà, f..., n'en doutez pas, les gentillesses qui 
sortiront de la g de M"* Veto quand elle con- 
templera la fête que nous préparons aux Suisses de 
Ghâteauvieux ; mais pour la faire crever de dépit, il 
faut nous surpasser dans cette journée, f.». I Dans 
l'ancien régime, quand il naissait un petit louve- 
teau, c'était un remue-ménage de b... dans Paris. 
Ce n'étaient que fontaines de vinaigre, que cervelas 
de cheval. La famille Veto, qui faisait alors son 
jouet du peuple, quoiqu'il fût son maître, son sou- 

4 . Blondinet veut dire La Favelle. 

■ 



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LE 20 JUIN 1792. 



49 



verain, riiumlliaU tant qu elle pouvait; mais, f..., le 
peuple a repris sa revanche, c'est à nous maintenant 
à faire danser les rois. 

o Si ces braves soldats , ainsi que les gardes- 
françaises, n'avaient pas refusé de faire feu sur le 
peuple, c'était f... de nous; Paris aurait été saccagé 
et H**^ Veto serait dans la jubilation ; elle marcherait 
sur la cendre avec le héros de Bagatelle* et la... 
Poiignac et se croirait au comble du bonheur en 
s* écriant : Ici fut Paris ! là était le faubourg Saint- 
Antoine 1 Aux piques! f..., braves sans-culottes, 
aiguisez- les pour exterminer les aristocrates qui 
osent broncher; que ce beau jour soit le dernier de 
leur règne ; nous n'aurons de repos que quand la 
dernière tête d'aristocrate sera tombée. 

« Quant à ce Desilles , dont Taristocratie a voulu 
faire un béxos, il est faux, f..., que ce soient les 
Suisses de Châteauvieux qui l'aient envoyé voir 
Henri lY. Ce sont soldats qu'il commandait; il 
n*y a pas gros f... à parier qu'il se serait mis à la 
gueule d'un canon, s'il avait prévu qu on y f... la 
mèche; d'ailleurs, f.«., en supposant que ce b...-là 
ait eu le courage de braver la mort, est-ce pour la 
cause du peuple? Mon» f..., c'était au contraire pour 
le mannequin que les aristocrates appellent leur 
auguste maître » 

4. Hébert se plaisait à donaer ce sobriquet au comte d'Ar- 
tois. 

5. Voir les numéros 4110 et \n du Fêre Duekeme, M* Louis 



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LE 20 JUIN 1 70ti. 



VII. 



A propos de cette fête on avait, depuis un mois, 
tant parié dans les clubs et sur les places publiques, 
on avait couvert les murailles de tant de placards, 
on avait sur tous les tons, dans les vingt journaux 
jacobins qui se partageaient la faveur des ultra- 
révolutionnaires, si bien chanté les louanges des 
Suisses de Gbâteauvieux, que tout le monde vouldt 
voir ce qui avait été Tobjet d'un si formidable 
tapage. 

Les ordonnateurs de la fête axaient naturellement 
choisi un dimanche; ce jour-là, et surtout dans les 
premiers beaux jours du ])rinteinps, les masses 
désœuvrées sont toujours très-avides d'un spectacle 
qui ne doit rien leur coûter, et dont le récit et les 
incidents feront le sujet de toutes les conversations 
pendant la semaine. Le programme, tel que nous 
Favons donné plus haut, était complètement changé. 

Blanc donne fl »ns son Ifi^fnire de la Rf'volulion (t. VT, 
p. 314) un oxtrait d(» cos nitMiios aiticips, ot flôtrit à cctto oc- 
casion ff rignobl^ Hi'»horl et son journal ordurier, qu il faut 
bien citer quelquefois, dit-il, pour être juste et malgré le dé- 
goût qu*OD éprouve. » 



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LE 20 JUIN 179^. 



M 



Il n*y avait plus ces tableaux vivants qui d*avaTice 
avaient si fort scandalisé les aniis de la décence 
publique; ils ne furent écartés cette fois que pour 
reparaître plus brillants et plus nombreux « lorsque 
le triompbe de Tanarchie fut complètement assuré. 
En revanche, et pour que le public n'y perdit rien, 
les quarante hommes qui devaient porter les chaînes 
des galériens étaient remplacés par « quarante vier- 
ges, » lisait-on dans le nouveau programme. 

Au jour indiqué, amis et ennemis des Jacobins, 
oisifs et curieux, obser\'ateurs silencieux et désolés, 
démagogies avinés, braillards et turbulents de toute 
espèce, s'étaient donné rendez-vous dans les rues 
que devaient parcourir ces triomphateurs destinés 
à retomber le lendemain dans la plus complète 
obscurité. 

Le cortège se trouva réuni vers midi à la Bastille. 
Ses stations principales furent : F Hôtel de Ville, où 
il recueillit le maire et un grand nombre d'ofticiers 
municipaux ; TOpéra, qui occupait alors la salle de 
la Porte-Saint-Marlin, et dont Torchestre, placé sur 
une estrade, exécuta le chœur de la Liberté et la 
ronde nationale; la place Louis XV, où quelques dé- 
putés se mirent dans les rangs, et entin le Champ 
de Mars, terrain choisi pour la cérémonie principale 
et les réjouissances populaires. 

La marche était ouverte par un groupe portant les 
bustes de Voltaire, de Rousseau, de Franklin et de 
Sidney» II éXsii formé, prétendait-on, d'Américains 



52 



LE 20 JUIN 1792. 



et d'Anglais, sans doute les mêmes qui avaient servi 

de comparses à Anachaisis Clootz dans la ridicule 
eihibition qu'il avait faite à la barre de FAssemblée 
constituante ^ 

Ensuite paraissaient deux sarcophages réunis Tun 
à l'autre au moyen d'une banderole sur laquelle 
étaient inscrits ces mots : « Bouillé et ses complices 
sont mih eoupahles! » Sur ces sarcophages on lisait 
les noms des gardes nationaux ou Suisses qui avaient 
péri à l'affaire de Nancy. 

Une bande de quatre-vingt-trois sans-culottes 
suivait, faisant flotter des bannières, sur chacune 
desquelles on lisait le nom de l'un des départements 
qui, de la sorte représentés, donnaient à la cérémo- 
nie jacobine le caractère d'une fête nationale. Der- 
rière ces sans-culottes se pressait une multitude de 
citoyens et de citoyennes des diverses sections , en- 

4 . Il paraît que Clootz voulut renouveler celte même parade 

devant rAssemblée lé^rislaiive. Nous avons trouvé la lettre 
suivante, qui peint admirablement le personnage et démontre 
sa folie. Cet homme tut cependant pris au sérieux par la 
France d'alors, puisque deux départements ( Saône-et-Loire 
et Oise) le nommèrent,» quelques mois plus tard , leur repré* 
sentant à la Convention nationale. 

« AU CHBP-LIEU DU GLOBE, LB 2i AVRIL DE L'AN IV. 

c Législateurs, 

cr n s*agit de la liberté du ^nre humain, permettez à son 

« orateur de se présenter devani vous : je serai laconique^ car 
« le temps est venu de parler, 

« Anaghaesis CiiOotz, orateur du genre humain* » 



biyilizûu by 



LE 20 JUIN 



cadrés dans deux files de gardes nationaux sans 
armes, msus qui, conformément au programme, 
tenaient à îa malu an épi de blé. Ces épis n'étaient 
pas plus mûrs pour la moisson que ceux qui les por- 
taient n'étaient mûrs pour la véritable liberté. La fête 
dont ils étaient les acteurs n'était en effet que le 
prologue de Tanarcbie. Les hommes de bon sens s'en 
aperçurent tout de suite; trop tard le reconnurent 
bon nombre de ceux qui battaient des mains au 
défilé de toutes ces idylles en action , inventées et 
préconisées par les Hébert, les Collot et les Robes- 
pierre. 

Puis Tenaient le Livre de la Comiitutiofiy la Table 

de la dérluration des droits^ portés entre deux ran- 
gées de soldats-citoyens. Par cet étalage de la léga- 
lité matérielle, on mettait à couvert la responsabilité 
des magistrats municipaux qui suivaient Timage du 
pacte fondamental sous la conduite du maire de Pa- 
ris. Sans doute, ces magistrats, auxquels s étaient 
mêlés quelques députés, n'étaient point revêtus de 
leurs insignes, mais leur présence seule montrait en 
quel mépris la loi , qu'on proclamait inviolable, était 
déjà tombée. Les représentants des sociétés patrio- 
tiques, des Jacobins, des Cordeliers, les précédaient, 
les entouraient et paraissaient les absorber, ce qui 
n'était pas encore absolument vrai, mais ce qui allait 
bientôt l'être. 

Cette longue file d'autorités légales et illégales 
était suivie de l'objet principalement offert à l'admi- 



LK 20 JUIN 1792. 



ration du peuple : une galère. Car, dans cette fureur 
d'abatUe tout ce qui avait été houoré jusque-là et 
de réhabiliter tout ce qui avait été méprisé, on avait 
résolu de donner la place d'honneur au signe de Tin- 
famie. 

Âutoui* de cette galère s'enroulaient, « comme une 
couronne de fleurs» » suivant les expressions du poé- 
tique Tallien, « les quarante vierges » qu'il avait choi- 
sies. Les soldats de Ghâteauvieux les suivaient. Us 
étaient mêlés à dessein avec des ci-devant gardes- 
françaises qui, pour exciter de plus chaleureuses 
démonstrations , avaient endossé leur ancien uni- 
forme, et portaient le drapeau, les clefs et des pierres 
de la Bastille. 

La marche était fermée par un char que traînaient 
vingt-quatre chevaux blancs et cpii se terminait en 
forme de proue (toujours pour rappeler la galère). 
Une statue colossale de la Liberté y était assise sur 
une chaise curule. Devant elle, comme devant les 
idoles antiques, Fencens fumait. De la main droite 
elle monUail au peuple le bonnet louge ; de Taiitre, 
que tenait-elle? un bouquet d'épis de blé? Tépée de 
la loi? non ; une masmet N'était-ce point assez sîgni- 
hcatif? Sous ses pieds, selon la coutume, un joug 
était brisé. Au-dessus d*elle planait la Rçnommée 
annonçant au monde : La France est libre l 

Le cortège s'arrêta au Champ de Mars; la foule 
des spectateurs qui s'y était accumulée ne manqua 
pas d'exprimer, par de chaleureux applaudissements. 



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LE 2U JUIN 179i, 



«M 



combien sa curiosité s'estimait satisfaite. La Table 
de la déclaration fut posée sur Tautel de la Patrie; 
auprès d'elle oa rangea les divers drapeaux et em- 
blèmes; le char de la Liberté fut traîné au son de la 
musique autour de Tautel. Kniin, l'ordre de la marche 
fut rompu, et les citoyens et les citoyeanes exécu* 
tërent les danses et les farandoles les plus patrio- 
tiques. 



VIIL 



Marie-Joseph Chénier était Fauteur des devises et 

des inscriptions offertes aux regards de la foule; il 
avait versifié les chœurs patriotiques qui avaient été 
chantés aux diverses stations de cette procession d*un 
nouveau genre, destinée à* inaugurer un nouveau 
culte, celui de la licence. Au même moment, son 
frère, André Chénier, dénonçait Tanéantissement des 
lois dans des ïambes où Tironie la plus sanglante se 
mêle à la poésie la plus sublime. La fête soi-disant 
patriotique ne dura que quelques heures, les ïambes 
sont restés immortels et vengeront amplement, dans 
les siècles futurs, la morale, la raison et la justice 
si indignement outragées ce jour-là par Gollot-d'Her- 
bois et ses acolytes. Aux yeux des littérateurs et des 



Digrtizeij Ly <jOOgIe 



Ô6 LE 20 JUIN 1792. 

poètes, ils rappellent les chefs-d'œuvre dont Archi- 
loque et Juvénal ont enrichi Tantiquité; aux yeux 
de l'historien , ils sont un admirable résumé de la 
situation que subissaient, en 1792« les vrais amis de 
la liberté. C'est le dernier cri de douleur d'une ftme 
libre qui voit s'évanouir ses illusions , à la lueur de 
l'incendie allumé par Tégale fureur des deux partis 
extrêmes qu'elle s* est épuisée à combattre. 

Hélas! pourquoi faut-il se rappeler que ces vers 
jiiagnifiques coûtèrent la vie à leur auteur, et que les 
modernes tyrans se vengèrent, comme les tyrans de 
l'antiquité, en envoyant à la mort le poëte qui les 
avait bafoués I 

Salut, divin triomphe I entre dans nos murailles, 

Rends-nous eus guerriers illustrés 
Par le sang de Desille et par les funérailles 

De tant de Français massacrés. 
Jamais rien de grand n'embellit ton entrée : 

Ni quand l'ombre de Mirabeau 
S'achemina jadis vers la >foùte sacrée 

Où la gloire donne un tombeau ; 
Ni quand Voltaire mort et sa cendre baaiiie 

Rentrèrent aux murs de Paris, 
Vainqueurs du fanatisme et de la calomnie 

Prosternés devant ses écrits. 
Un seul jour peut atteindre à tant de renommée, 

£t ce beau jour luira bientôt : 
Cest quand tu conduiras Jourdan ^ à notre année 

4* Il s'agît ici de Jourdan Goiipe-(étd, le chef des assassins 



Digrtizeij Ly <jOOgIe 



120 JUIN 179!2 



57 



Et La Fayette à Féchafaud. 

Quelle rage à Cobîentz , quel deuil pour tous ces princes. 

Qui , partout dilIamaDt nos lois. 
Excitent contre nous et contre nos provinces 

Et les esclaves et les rois ! « 
Ils voulaieni nous voir tous à la folie en proie; 

Que leur front doit être abattu , 
Tandis que, parmi nous, quel orgueil, quelle joie. 

Pour les amis de la vertu , 
Pour vous tous, ô moriels qui rougissez encore 

£t qui savez baisser les yeux , 
De voir deâ échevins que la Râpée honore^. 

Asseoir sur un cliar radieux 
Ces héros que, jadis, sur un banc des galères 

Assît un arrêt outrageant. 
Et qui n'ont (-'^-^orgt' que très-peu de nos frères 

Et volé que très-peu d'argent l 
Eh bien l que tardez*vous, harmonieux Orphées ? 

Si , sur la tombe des Persans , 
Jadis Pindare, Escii^ie, ont tlressé des tropiiecs, 

11 faut de plus nobles accents. 
Quarante meurtriers, chéris de Robespierre, 

Vont s'élever sur nos autels. 
Beaux-arts, qui faites vivre et la toile et la pierre, 
Uàtez*vous, rendez immortels 

delà glacière d'Avignon; il fut condamné à mort par le tribunal 
révolutionnaire I le 8 prairial an ii, comme voleur et conçus* 
sioDuaire. 

1. L'un des jours qui avaient précédé la ÎHp de Ciiiiieau- 
vieux, Pt'liun avait dîné à la Râpée, avec des oHicieis munici- 
paux seulement, disait-il; — avec les meneurs jacobins, affir- 
maient Dupont de Nemours et André Ghénier. 



5S 



LE 20 JUIK 17\ȉ, 



Le grand Gollot-d'Herbois, ses clients helvétiques^ 

Ce front que donne à des héros 
La vertu , la taverne et le secours des piques ; 

Peuplez le ciel d'astres nouveaux. 
0 vous, enfants d'Eudoxe et d'Hipparque et d'Euclide, 

C'est par vous que les blonds cheveux, 
Qai tombèrent du front d'une reine timide, 

Sont tressés en célestes feux; 
Par vous riieureux vaisseau des premiers Argonautes 

Floue encor dans l'azur des airs ; 
Faites gémir Atlas sous de plus nobles hôtes. 

Comme eux dominateurs des mers; 
Que la nuit de leurs noms enibelhsse ses voiles, 

Et que le nocher aux abois 
Invoque en leur galère, ornement des étoiles, 

Les Suisses de Coilol-d'ilerbois K 

4. Nous ne pouvons nous séparer d'André Gbénîer, dont là 

belle et noble figure appaïaît un instant dans ce récit, sans 
payer à sa mémoire la dette de la patrie en deuil, sans livrer 
ses bourreaux au mépris de la postérité. On trouvera à la fin 
de ce volume rintonoi^aloire que les agents du Comité de 
sûreté générale tirent subir à André Gtiénier^ lorsque, deux 
ans après la fête des Suisses de Château vieu s, il fut arrêté sor- 
tant de la maison de son ami M. Pastoret. Jamais rignorance et 
la stupidité n'ont été poussées plus loin que par les sicaires 
qui se saisirent brutalement de l'un des plus grands poètes 
dont s'honure la Fiance, et quelques jours après renvoyèreal 
au tribunal révolutionnaire, c'e;st-à-dire à i'echalaud. 



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LE 30 JUIN 1792 



50 



IX. 



Le ministère girondin qui avait été imposé à 
Louis XVI après le renvoi de Narbonne , ministre de 
la guerre, et la mise en accusation de Delessart, 
ministre des affaires étrangères, subsistait depuis 
trois mois. Il s'était montré très-favorable à la ma- 
nifestation démagogique du 15 avril, qui avait suivi 
de près soii avènement au pouvoir. Depuis lors, grâce 
à ses excitations tacites, l'Assemblée législative avait 
continué à saper les fondements du troue. 

Les deuJL hommes les plus importants de ce mi« 
nistère étaient Dumouriez et Roland. 

Le premier, intrigant habile, roué émérite, aven- 
turier infatigable , avait été employé dans la diplo- 
matie occulte de Louis XV. 11 brûlait du désir de se 
faire une place et un nom dans Thistoire de son pays ; 
mais ce nom, cette place, peu lui importait de quelle 
manière il les obtiendrait. Le jour de sa nomination 
au ministère, il accourut au club des Jacobins, vou- 
lant que le véritable souverain du jour sanctionnât 
le choix que le roi uominal avait fait de sa personne; 
il alla jusqu'à se coiffer du bonnet rouge, pour faire 



60 LE ^0 JUIN 1792. 

acte complet d'adhésion aux mœurs et aux idées du 

lieu; mais, secrètement, il ne demandait pas mieux 
que de se prêter aux menées les plus contre-révolu- 

tionnaircb, pour\u qu'elles eussent des chances de 
réussite, et que, dans le plan de restauration de la 
monarchie plus ou moins absolue , il pût jouer le rôle 
de Monkb Pas plus que Uirabeau, il n'avait une con- 
science bien délicate ni une vertu bien ferme; mais, 
comme le grand orateur, il possédait l'instinct véri- 
table des nécessités du gouvernement dans le temps 
où il vivait; il avait l'audace et la promptitude du 
coup d*œil qui permettent de faire tourner les évé- 
neiiieiits au gré de ses desseins. 11 avait, de plus que 
Mirabeau, le génie de la guerre , et, dans son appa- 
rition sur le premier plan , — apparition qui ne fut 
qu'un instant dans cette vie si longue dont le com- 
mencement avait été absorbé par d*obscures intri- 
gues et dont la lia s' écoula dans T exil etla proscription, 
— il eut la gloire immortelle de sauver son pays de 
r invasion étrangère. 

Roland présentait le contraste le plus frappant 
de toutes les qualités, comme de tous les défauts 
du brillant Dumouriez. Ils avaient à peu près le 
même âge* ; mais cette vie, que l'un avait dépensée 
à visiter les divers pays de l'Europe, à nouer des 
intrigues, à former des projets cliimériques, à courir 

4. Uoland, ne en avait cinquante-huit aus; Dumou- 

riez, né en 4739, en avait cioquaate-lrois. 



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LK 20 JUIN 1702. 



Cl 



après la fortune, l'autre Tavait passée au fond de 
son cabinet à écrire des mémoires sur des sujets de 
philosophie et d' économie politique, à s'admirer dans 
ses œuvres, à s'enivrer de son propre mérite. Ses 
liaisoûs avec la gauche de T Assemblée législative le 
firent sortir tout d'un coup de l'obscurité et le trans* 
plantèrent, d'un pciïL appartement de la rue de la 
Harpe, dans les salons du ministère de rintérieur« le 
plus important et le plus difficile de tous les minis- 
tères, aux temps de troubles et d'agitations. Il s* y 
montra rogue, hautain, d'un esprit sans portée et 
sana initiative, croyant avoir tout fait lorsqu'il avait, 
comme à l'époque où il était à Amiens ou à Lyon 
inspecteur des manufactures, écrit un rapport ou 
élaboré une circulaire; il se drapa continuellement 
dans sa vertu, mais il ne sut pas s exposer au danger 
lorsque son devoir le lui commandait, lorsque son ' 
honneur Texigeait'. 

4 . Yoict le portrait qu'a tracé de Roland le girondin Daunou 
dans un fragment de ses Mémoires, en date d'août 4794 : 

a Roland, magistral probe, instruit, couriigoiix, mais auquel 
on reprochait lo pédantisme de toutes les vertus qu'il avait, 
ferme et vii^ilant, uiais aii;re et maladroit, trop épineux dans 
les détails de son adminislraliou pour conserver longtemps un 
assez grand nombre d'amis. 9 

Roland méritait tous les reproches, mais non certes tous les 
éloges que nous trouvons sous la plume de Daunou , car il ne 
fut souvent ni' ferme, ni vigilant, ni courageux, si le courage 
consiste, comme nous le croyons, à se précipiter au milieu du 
danger plutôt qu'a écrire du fond de son cabinet des piirases 
plus ou moins [pompeuses. 

4 



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62 



L£ 20 JUIN 1792. 



Le cabiuet gu'ondin c était divisé eu deux parties 
égales : Servan et Glaviëres, ministres de la gueire et 
des iiiiaiices, suivaient lloiaad ; Dumouriez était sou- 
tenu par les ministres de la justice et de la marine « 

Durantlion et Lacoste, lesquels, il est vrai, n'avaieiU 
aucune influence ; mais la personnalité de Dumou- 
riez était par elle-même assez forte pour faire échec 
à ses collègues, eussent-ils été réunis contre lui. 

Ce ministère, que le roi subissait avec impatience, 
devait se dissoudre à la première occasion. Le mi- 
nistre de la guerre, Servan , provoqua la crise» 

Le 4 juin, sans en avoir prévenu ni le roi m ses 
collègues, il vint à l'Assemblée nationale proposer la 
formation, sous les murs de Paris, d'un camp de 
vingt mille fédérés. 

* La Législative accueillit cette idée avec faveur, et, 
dès le 6, malgré l'opposition de la droite, qui de- 
mandait que l'on répondît par la question préalable 
à une proposition ministérielle faite d'une manière si 
insolite, elle vota un décret en sept articles, qui con- 
sacrait la formation d'un camp de vingt mille fédérés, 
recrutés dans toute la France, à raison de cinq 
hommes par canton, l'envoi immédiat aux frontières 
de toutes les troupes de ligne qui se trouvaient à ce 
moment dans la capitale, et la réunion de ces vingt 
mille volontaires, pour le ià juillet prochain, à l'eifet 
de lornier une fédération nouvelle et de resserrer 
ainsi, disait le décret, les liens de fraternité entre 
les départements et Paris. 



...... ^le 



LE 20 JUIN 1792. 



La proposition de Servan et le vote approbatif de 
r Assemblée furent, dans le coDseil des ministres « le 
signal des récriiiiiiiations les plus vives. La querelle 
s'échauIEar tellement entre Dumouriez et Servan, qu'ils 
mirent tous les deux la main sur la garde de leur 
épée et que , sans la présence du roi , le sang eût 
coulé. 

Cn autre sujet de discussions perpétuelles entre 
Louis XTI et ses ministres, était la question de savoir 
si la sanction royale serait donnée aux mesures de 
rigueur que TAssemblée venait d'édicter contre les 
prêtres insermentés. 

Le serment civique imposé aux prêtres et ses con* 
séquences légales agitaient la France depuis deux 
ans et ne contribuaient pas peu à faire dévier la ré- 
volution de la marche normale qu'elle avait prise aux 
beaux jours de 1789. Ce fut la faute capitale de la 
Constituante, la faute qui pesa sur son œuvre entière 
et ruina les plus solides espérances des vrais amis de 
la liberté et de l'égalité. Voulant diminuer l'influence 
de cette partie du clergé qui n'acceptait pas les ré- 
formes politiques et sociales, notre première Assem- 
blée nationale ne s'était d'abord permis que de régle- 
menter certains points de discipline qu'elle croyait 
pouvoir considérer comme étant de la coiupétence de 
l'autorité séculière. Mais bientôt, se laissant emporter 
par l'ardeur et l'éloquence de quelques-uns des mem- 
bres de son comité ecclésiastique, elle alla beaucoup 
plus loin qu elle ne l'avait voulu d'abord, et adopta 



Digiliz 



LE 20 JUIi\ nft2. 



des mesures dont elle ne comprit que trop tard la 
portée : sans le savoir, elle avait alarmé les con- 
sciences et semé, parmi les populations des cam- 
pagnes, des ferments de haine et de discorde, d'où 
devait naître le plus épouvantable des fléaux, la 
guerre civile. 

Lorsque , six mois après Tadoption de la constita- 
tion da clergé, T Assemblée constituante prescrivit à 
tous les ecclésiastiques remplissant des fonctions pu- 
bliques d'avoir à prêter le serment constitutionnel, 
sous peine de se voir destitués et enlevés violemment 
à leur diocèse Ou à leur paroisse , une scission bien 
plus profonde se manifesta dans le clergé : tous les 
évêques qui faisaient partie de l'Assemblée, sauf 
deux, refusèrent le serment; tous les évêques de 
France , hormis trois , imitèrent leur exemple. 

Loin de chercher à calmer l'irritation produite par 
la question religieuse , la Législative ne sut qu'exa- 
gérer la violence de la Constituante contre le clergé 
récalcitrant. Elle priva les prêtres qui se refusaient à 
prêter serment de tout traitement, de toute indem- 
nité, elle les déclara suspects de révolte contre la 
constitution et de mauvaises intentions contre la 
patrie; elle prononça contre eux la déportation, non 
comme une peine, mais comme une mesure de sûreté 
générale , et donna aux directoires de départements 
le pouvoir exorbitant de mettre hors la loi commune 
un certain nombre de Français; enfm, se défiant de 
la mansuétude des autorités départementales, elle 



LE 80 JUIN 1792. 



décréta que la dénonciation de vingt citoyens actifs 
suflirait pour obliger ces autorités à faire usage de 
ce droit vraiment draconien. 

Depuis plusieurs semaines , le dernier de ces dé- 
crets était, chaque jour, placé sur la table du conseil 
des ministres pour que Louis XVI y apposât sa signa- 
ture, et chaque jour le monarque y jetait un coup 
d'œil, puis l'écartait silencieusement. 

Une pareille situation ne pouvait durer longtemps, 
et Roland finît par écrire au roi cette fameuse lettre 
qui est restée dans Thistoire comme T ultimatum 
adressé par les Girondins à la royauté. 

Louis XVI ne put lire sans colère les conseils, ou 
plutôt les injonctions de son ministre de l'intérieur. 
11 lit appeler Dumouriez; la reine était présente ; ce 
fut elle qui entama la conversation : 

« Croyez-vous, monsieur, que le roi doive sup- 
porter plus longtemps les menaces et les insolences 
de Roland, les fourberies de Servan et de Clavi^res? 

— Non, madame, répondit le général, j'en suis 
indigné; j'admire la patience du roi, et j'ose le 
supplier de changer entièrement son ministère. 

— Je veux que vous restiez, reprit le roi, vous, 
ainsi que Lacoste et le bonliomme Durantbon ; rendez- 
moi le service de me débarrasser de ces trois factieux 
insolents , car ma patience est à bout, n 

Dumouriez accepta, mais à la condition que le rot 
sanctionnerait les deux décrets. Le roi consentit, non 
sans peine, à promettre de lever le veto qui pesait 

4. 



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«6 



LE 20 JUIN 171*2 



sur la fondation du carap des vingt mille; il céda 
même , à ce que prétend Dumouriez , relativement à 

la déportation des prêtres. Mais il est dilïicile de le 
croire. 

Quoi qu'il en soit, le message royal qui retirait le 
ministère de la guerre à Servan lui fut porté, le 
i2 juin, par le ministre des affaires étrangères, et, 
le lendemain matin, Roland et Glavières reçurent 
leurs démissions. 



Les trois ministres renvoyés n'imitèrent pas la con- 
duite que Necker avait tenue dans une circonstance à 
peu pits semblable. Ils résolurent d'en appeler à 
l'Assemblée delà mesure, parfaitement constitution* 
nelle, que venait de prendre le roi. 

Servan avait été le premier renvoyé. Ce fut aussi 
sa lettre qui parvint la première à la Législative. 
« Au moment, y était-il dit, où, encouragé par mes 
concitoyens, je commençais à jouir de !a flatteuse 
espérance de pouvoir être utile à ma patrie, j'ai reçu 
l'ordre du roi de remettre le portefeuille au ministre 
des aft'aires étrangères... Ma conscience me dit que je 
n'en dois pas moins compter sur les bontés de l'As- 



LE 20 JUIN 1792 



67 



semblée pour moi, et j'espère qu'elle voudra bien 
permettre que j'aille m'acquitter de mes devoirs de 
soldat, dès que j'aurai déposé mes comptes entre ses 
mains. » La lecture de cette lettre est couverte des 
applaudissements réitérés des tribunes etd'une grande 
partie des députés* « Oui , oui , crie-t-on à gauche ; 
M. Servan emporte nos justes regrets ! » 

Dussaulx propose de rendre un décret qui consacre 
le vœu de la majorité: à la presque unanimité, il est 
décrété que Servan, ministre de ia guerre, emporte 
Vestime et les regrets de la nation. 

Le bruit des applaudissements, par lesquels les 
tribunes saluent ce décret, retentit encore, lorsque 
le président annonce qu il vient de recevoir une lettre 
dn roi qui notifie la nomination des trois nouveaux 
ministres. A peine y fait-on attention , on se hâte de 
lire les lettres que le président vient de recevoir de 
Clavières et de Roland. La lettre de ce dernier ren- 
fermait la copie de celle qu'il avait écrite au roi trois 
jours auparavant ^ Dans ce prop^ramme des volontés 
de la Gironde, on mettait le marché à la main à 
Louis XVI; on lui déclarait qu'en refusant de sanc- 
tionner les décrets rendus récemment par l'Assemblée 

4. Roinnd, pn mît-il, ne se résolut qu'au dernier moment à 
communiquer à l'Assembléo la lettre qu'il avait écrite au roi, 
car il en envoya an président la minute même. Nous avons eu 
cette pièce entre les mains et noas avons constaté qu'elle porte 
des ratures et des additions, destinées à la rendre en tout sem- 
blable au texte mémo qui avait été envoyé à Louis XVI. 



08 



LE 20 JUIN 1792. 



il suscitait contre lui « les implacables défiances d'un 
peuple corUristéy qui ne verrait plus dans son roi que 
l'ami et le complice des conspirateurs. » — « Il n'est 
, plus temps de reculer, disait Koland, il n'y a même 
plus moyen de temporiser; la révolution est faite 
dans les esprits; elle s'achèvera au prix du sang et 
sera cimentée par le sang, si la sagesse ne prévient 
pas les malheurs qu'il est encore possible d'éviter. » 

La lecture de la lettre de Roland reçoit, à plu- 
sieurs reprises , les marques de la plus vive appro- 
bation. 

Sur ces entrefaites paraît Dumouriez. Des mur- 
mures et même des huées l'accueillent, le ministre 
n'y fait pas attention; il annonce qu'il aune commu- 
nication à faire à l'Assemblée. 

Mais celle-ci tient à le rendre témoin des mar- 
ques de sympatlûe qu'elle prodigue à ceux qu'il 
vient de contribuer à faire renvoyer; avant de lui 
accorder ia parole, on vote successivement les décrets 
qui associent Roland et Claviëres aux regrets déjà 
exprimés à roccasion de la Klralte do Servan, et or- 
donnent l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois 
départements de la lettre de Roland au roi. 

iiafin, Dumouriez obtient la parole. 11 rend compte 
d'un engagement d'avant-garde , dans lequel vient 
de succomber le générai Gouvion qui, deux mois 
auparavant, comme nous l'avons vu, avait quitté 
l'Assemblée dans l'iuteution de se faire tuer glorieu- 
sement à la première occasion. Il expose ensuite, dans 



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un long mémoire , la situation de Tarmée , se plaint 
de Tétat déplorable dans lequel il la trouve en entrant 
au ministère , et accnse hautement rimpéritie de ses 
prédécesseurs, Degrave et bervan. 

La gauche interrompt souvent cette lecture, accuse 
le ministre de trahison et menace d'envoyer Fauteur 
du mémoire par-devant la haute cour d'Orléans. 

Dumouriez signe froidement le manuscrit, le dépose 
sur le bureau et sort de la salle. 

Son départ est le signal de récriuiiiiMtiona nou- 
velles ; le nom de traître et de calomniateur lui est 
prodigué, et un décret ordonne à Dumouriez de dé- 
poser dans les vingt-quatre heures les pièces justifi- 
catives des faits contenus dans son rapport. 

La colère de l'Assemblée ne lut rien encore auprès 
de la violence que déployèrent les Jacobins et la 
presse. Pendant trois jours, le général fut en butte à 
toutes les injures, à toutes les menaces, à toutes les 
fureurs du parti ultra-révolutionnaire. 

Quelque hauteur qu'il eût mise» s'il faut Fen croire, 
à ailronter les colères de ces mêmes Jacobins, dont il 
avait naguère recherché si avidement les faveurs, il 
était loin d'être rassuré. Le roi tîendrait-il la pro- 
messe moyennant laquelle il avait accepté la succes- 
sion de ses anciens amis et l'impopularité qui avait 
été la suite inévitable de sa conduite ? Toute la question 
était là pour lui. 

Aussi s'empressa-t-il de demander au roi de sanc- 
tionner les décrets; mais, après deux jours de solli- 



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70 



LE 20 JUIN 1 792. 



citations extrêmement pressantes, il s'aperçut qu'il 
était impossible de rien obtenir, et il ofirit sa démis- 
sion. Peut-être un peu contre son attente, le roi 
l'accepta sur-le-champ. Dumouriez se vit ainsi ren- 
voyé trois jours après ses collègues, au moment où 
il croyait avoir consolidé pour longtemps sa position 
par la preuve éclatante de dévouement qu'il venait 
de donner à Louis XYI. 

Le ministère girondin fut remplacé par un cabinet 
composé de noms à peu près inconnus. Le jour môme 
où la formation de ce cabinet était notifiée à l'As- 
semblée, celle-ci recevait du général La Fayette une 
lettre qui devait avoir un immense retentissement. 
Ce n'était rien moins que le manifeste du parti 
constitutionnel , comme la lettre de Roland avait été 
le manifeste du parti révolutionnaire. 

Dans sa lettre, LaFayette accusait, devant l'Assem- 
blée nationale, devant la France entière, les Jacobins 
d'être les auteurs de tous les désordres, 11 représen- 
tait leur société comme un empire qui avait sa mé* 
tropole et ses affiliations, comme une corporation 
distincte au milieu du peuple français dont elle usur- 
pait les pouvoirs et subjuguait les représentants. 

Les applaudissements avaient interrompu plusieurs 
fois la lecture de cette lettre. L'impression est aussi- 
tôt ordonnée à une très-grande majorité ; bien plus, 
on demande l'envoi aux quatre-vingt-trois départe- 
ments. C'était ap})rouver d'une manière éclatante, 
absolue, et les opinions et la conduite du général. 



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LB 20 JUIN 1792. 



71 



Vergniaud s'élance à la tribune : u Lorsqu'un simple 
citoyen» dit-il, vous adresse une pétition et vous 
offre un conseil, vous devez l'entendre ; mais lors- 
qu'un général d'armée veut vous donner des avis, il 
ne peut le faire que par l'organe des ministres; s'il 
en était autrement, ce serait fait de la liberté. Que 
sont les consens d'un chef d'armée, sinon des ordres? 
Les inlentions du général La Fayette peuvent être 
pures , mais il faut obéir aux principes , et ce serait 
les violer que de sembler approuver la conduite du 
général en envoyant oi&ciellement sa lettre aux qua- 
tre-vingt-trois départements. Je demaride Tordre du 
jour. » La proposition de Vergniaud est mise aux 
voix et ii'cbL pas adoptée. La gauche redouble alors 
ses cris, ses interpellations, prétend que la lettre du 
général La Fayette ne doit pas émaner de lui, puis- 
qu'il y parle, à la date du 16 juin, d'événements 
qu'il ne pouvait pas connaître encore ; que si elle est 
revêtue de sa signature, c'est que cette signature a 
été donnée en blanc sur une lettre fabriquée à Paris. 
Mais toutes ces objections dilatoires n'empêchent pas 
la droite d'insôster pour Tenvoi aux départements. 
Les interpellations les plus violentes s' entre-croisent, 
le tumulte arrive à son comble, quand Guadet, qui 
a réussi à s'emparer de la tribune, s'écrie : « Si un 
général peut nous dicter des lois, nous n'avons plus 
de Constitution : lorsque Gromwell tenait un pareil 
langage, la liberté était perdue en Angleterre. Je 
demande que la lettre du général soit renvoyée à la 



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72 



L£ 20 JUiiN 1792 



commission des Douze. — M. de La Fayette ne de- 
mande qae cela» » lui répond-on à droite. 

Le lunvoi est ordoinié à T unanimité, et la coiiimis- 
sion est ciiargée d'en rendre compte dans quatre 
jours au plus tard , c'est-à-dire le vendredi 22 juin. 
Puis l'Assemblée, qui un instant auparavant avait 
repoussé la motion de Vergniaud, se donne à elle- 
même un démenti en votant la question préalable sur 
la proposition d'envoyer la lettre du général aux dé- 
partements. 

L*émption des représentants se communiqua à 

riustani dans Paris. Llle eut naturellement son re- 
tentissement le soir même au club des Jacobins» qui» 
directement attaqué dans la lettre du général, sentit 
que c'était entre eux un duel à mort qui commen- 
çait. Tous les coryphées du parti , Robespierre » Ca- 
mille Desmoulins, Cuiiot-d'lierbois , Danton, Fabre 
d'Églantine» Chabot» Bazire» s'étaient donné rendez- 
vous dans la salle de la rue Saint-iionoré pour dé- 
noncer le nouveau Monk. a II a levé le masque » 
s'écriait-on de toutes parts; il faut l'appeler à la 
barre de l'Assemblée et l'envoyer à la haute cour 
d'Orléans. » 

Le lendemain» le ministre Durantiion vint annoncer 
officiellement à la Législative que le roi apposait son 
veto constitutionnel aux deux décrets sur le camp 
des vingt mille hommes et la déportation des prêtres 
insermentés. 



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Lt, 20 JUliN 11112. 



73 



XL 



Les chefs du parti démagogique saisirent avec 
empressement le prétexte d'agitation populaire qui 
leur était iouioi par le refus de sanctiou des déaets 
et le renvoi du ministère girondin. Depuis longtemps 
ils rêvaient et organisaient une journée^ non pas en- 
core insurrectionnelle, mais qui préparerait Tinsur- 
rectioû, et les mettrait à même de faire la revue des 
forces dont ils pourraient disposer à l'heure suprême. 
La date était prise, c'était l'anniversaire du serment 
du Jeu de Paume; les rôles distribués, les complicités 
convenues et acceptées. Le résultat seul restait incer- 
tain : il dépendait du degré d'entraînement et d'exas- 
pération auquel on pourrait amener les masses. Quant 
au programme, les incidents que nous venons de 
raconter ne firent qu'y apporta quelques modifica* 
tions. 

Depuis plus d'un mois le faubourg Saint-Antoine 

était agité par San terre et ses amis, qui, dès le 
2 juin, avaient établi dans Téglise des Ënfants- 
Trouvés une chaire permanente de doctrines démago- 
giques; cette création avait été favorisée par le maire 

Pélion. 



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74 



LE 20 JUIN 



Les conspirateurs tenaient leur conciliabule tantôt 
dans la maison du brasseur Santerre* laûtôt dans la 
salle du comité de la section des Quinze-Vingts. On 
allait prendre le mot d* ordre chez Danton et chez les 
principaux meneurs, qui, comme toujours, restaient 
dans r ombre et laissaient agir les enfants perdus du 
parti. A la téte de ceux-ci se plaçaient Santerre et 
Alexandre, commandants des bataillons des Enfants- 
Trouvés etde Saint-*Marcel, qui répondaient, disaient- 
ils,de leurs laubuuigs^ Après eux venaient : Thomme 
des coups de main et des massacres, Fournier, dit 
rAméricain, quoiqu'il fût Auvergnat, parce qu'il 
avait longtemps habité Saint-Domingue » où ses ins- 
tincts féroces avaient pu se développer ; le marquis 

4 . Lorsque les événements eurent porté leurs amis att pou- 
voir, SiinLorrc cl Alexandre ne s'oublièrent point. 

Alexandre se 11 1 il louer (septembre 179îj une indemnité de 
douze mille livres pour les services es»t^iiUeis (ju il avait rendus 
à la chose publi(|ue avant et après le 4 0 août. Santerre obtint 
décharge d'une somme de 49,603 livres qu'il devait à la ferme 
générale, depuis 4789 et 4790, pour les droits qui auraient dû 
être perçus sur la bière par lui fabriquée. Le rapport du mi-* 
nistre des finances (47 avril 4793) déclare que cette bière 
ayant été consommée en très-grande partie dans un but patrie* 
ticjue, il y a lieu de faire au brasseur républicain remise de sa 
dette. 

Santerre, avant le -èOjuin, avait impioré la protection des 
ministres de Louis XVI, Ned^er et Delessarl. Plus lard, après 
la crise révolutionnaire, il implora celle du premier consul 
Bonaparte. (Voir les lettres de Santerre à la fin du volume.) 

Alexandre fut ministre de la guerre pendant cinq minutes 
'^ ii juin 4793], ei, après être resté commiseflfîre des.guerrei 



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L£ 20 JUliN i7d2. 



75 



de Saint-Hui'uge, perdu de dettes et de débauches, 
qui, de noble renié par sa caste, s'était fût plébéien 
iuribond; le futur général Rossignol, alors simple 
ouvrier bijoutier; le boucher Legendre» type de 
beaucoup de révolutiouuaires de cette époque , 
homme à Téloquence abrupte, qui, s'enivrant de ses 
propres paroles, se laissait aller aux plus effroyables 
exagérations de langage, passait du dernier pa- 
roxysme de la fureur à une véritable et sincère sen- 
sibilité, et qui donna l'exemple, tantôt du courage le 
plus énergique, tantôt de la plus insigne lâcheté; 
tnùn le Polonais Lazowski, ancien protégé de la 
cour, qui, après avoir échoué dans ses vues ambi- 
tieuses en jouant le geutdliomuie, avait cherché for- 
tune en exagérant le costume et les mœurs de la 
plus vile canaille, et s'était ainsi acquis la faveur du 
faubourg Saint-Marcel , où il était capitaine de ca- 
ûoaniers 

fK^ndant huit années, devint membre du Tribunal sous la 
constîluLion consulaire. 

4 . Lazomki avait été^ avant la Révolution, l'anii, le commensal 
du duc de la Rochefoucauld-Liancourt. Par le crédit de oelui-ci 

il avait été nommé inspecteur des manufactures et était devenu 
le collègue do Roland. Dans le récit de ses Voyages en Franco 
pendant les années 1787 , 1788 et {789, lo célèbro ai^ronume 
anglais, Arthur Youni,', parle de sa liaison intime avec un 
gentleman accompli, M. de l^zowski. C'(>st ce môme individu 
qui, trois ans plus tard , était à la tête des émeutiers du fau- 
bourg Saint-Marcel, se faisait le promoteur de la journée du 
fO juin et mourait, au commencement de 4793, de débauches 
et d'excès de tout genre. Il fut presque canonisé comme un 



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76 LE JUIJN 1792. 

Ce dernier fut choisi , avec neuf autres citoyens 
parfaitement obscurs, pour aller à TUôtel de Ville faire 
connaître la préleiidue intention des faubourgs de se 
lever en masse, d'aller, armes sur T épaule, plan- 
ter r arbre de la liberté dans le jardin des Tuileries, 
et déposer une adresse entre les mains du président 
de TAssemblée nationale. La requête de ces pétition- 
naires sans mandat lut soumise, le 16 juin, au con- 
seil général, qui, malgré tout le désir qu'il avait de 
leur être agréable, ne pouvait évidemment pas, sous s 
prétexte de fête ou de pétitionnement, autoriser une 
pareille démonstration. C'est ce que fit remarquer 
Tofficier municipal Borie; et, sur sa motion, La- 
zowski et ses neuf coiijpagiiOiis fureal écoiiduils par 
un ordre du jour ainsi motivé : 

u MUrdCiPALiTÉ D£ PAKiS. 

«Du 46 juin 4792. 

« MM. Lazowski, capitaine des canonniers du ba- 
taillon de Saint-Marcel, Duclos, Pavie, Lebon , La- 
chapelle, Lejeune, Vasson, citoyens de la section 
des Quinze-Vingts, Geney, Deliens et Bertrand, ci- 
toyens de la section des Gobelins, ont annoncé au 
conseil général que les citoyens des faubourgs Saint- 
Autoine et Saint-Marcel avaient résolu de présenter, 
mercredi 20 du courant , à l'Assemblée nationale et 

saint par ses frères et amis jacobins. (Voir les Mémoires de 
M"'« Roland, j 



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LK 20 JUJN 17tt!2. 



77 



au roi, des pétitions relatives aux circonstances et de 
planter l'arbre de la liberté sor la terrasse des Feuil- 
lants, en niéiaoire de la séance du Jeu de l- aume. 

« Us ont demandé que le conseil général les auto- 
risât à se revêtir des habits qu'ils portaient en 1789, 
en même temps que de leurs armes. 

« Le conseil général, après avoir délibéré sur 
cette pétition verbale, et le procureur de la commune 
entendu : 

« Considérant que la loi proscrit tout rassemble- 
ment armé, s'il ne fait partie de la force publique 
légalement requise, a arrêté de passer à Tordre du 
jour. 

« Le conseil général a ordonné que le présent ar- 
rêté serait envoyé au directoire du département et 
au département de police , et qu'il en serait donné 
commmiication au corps municipal. 

« Signé : Lebreton, doyen d'âge, président; 
Roter \ secrétaire. » 

En entendant lire cet arrêté, les prétendus délé- 
gués des faubourgs entrèrent dans une violente co- 
lère et s'écrièrent S dans la salle même du conseil 
général, que rien ne les empêcherait d'exécuter leur 

projet, qu'ils iraient chez le roi et à l'Assemblée en 

4. Le secrétaire-greffier-adjoint de la commune était un 
jeune homme courageux et énergique, qai devait plus tard se * 
rendre célèbre sous le nom de Royer-Collard. 

%, Déclaration de J.-J. Leroux. 



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78 



L£ 20 JUIN 1792 



dépit de tous les arrêtés. Retournés dans leurs fau- 
bourgs, ils y propagèrent Ta^tation. Durant les 
journées des 17, 18 et 19 juin, chacun put voir 
grossir un mouyement populaire ' qu'il eût été facile 
de prévenir en déployant un peu d'énergie dès le 
début. 



XII. 



Pétîon désirait fort que le peuple exerçât tine 
pression violente et sur l'Assemblée nationale et sur 
le monarque ; mais, premier magistrat de la ville 
de Paris, il était obligé de sauver les apparences, 
tenant à rester populaire si l'aifaire réussisssdt, et, 
si elle écliouait, à ne point perdre la mairie. 

Ainsi, le 16, lorsque les pétitionnaires des fau- 
bourgs se présentèrent à THotel de Ville, le maire 
avait eu soin de se trouver absent et il put avoir Tair 
d'ignorer rarrété du conseil général, qui ne lui fut 
effectivement adressé en double expédition que le 18, 
par le secrétaire-greffier de la commune. 

Outre Texcuse tirée de son ignorance, Pétion en 
avait une autre toute prête que ses défenseurs ne 
. manquèrent pas de mettre en avant, lorsque, plus 

4 . Rapport, du commandant général RamainviUiers. 



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LE 20 JUIM 1792. 79 

tard» il fut accusé d'avoir failli à ses devoirs ; la voici 
dans toute sa naïveté : « Les pétitionnaires du 
16 juin ue paraissaient être que des individus dési- 
rant marcher sans être ralliés sous le drapeau de la 
force armée et sans être dirigés par les chefs recon- 
nus par la loi ; à cause de cela, le conseil général 
avait dû leur opposer un ordre du jour, mais ce 
n'avait été c[u'un simple appel à la loi, qui, dans 
les circonstances ordinaires, ne méritait pas d'être 
notifié à l'autorité supérieure et ne nécessitait en 
lui-même aucune action répressive; par conséquent, 
avant de requérir la force contre les citoyens des 
deux faubourgs, qui donnaient des témoignages de 
patriotisme pur et vif, il était indispensable d'at- 
tendre qu'ils eussent laissé voir qu'ils enfreignaient 
effectivement la loi qui leur avait été rappelée ^ ! » 

Le maire de Paris n'était pas, on le voit, très- 
disposé à prendre des mesures pour prévenir l'é- 
meute qui se préparait. Maïs le directoire du dépar- 
tement était loin de partager la quiétude de Pétion. 
Ne possédant aucun moyen légal d'agir directement, 
il n'avait qu'une chose à faire, et il la fit : c'était de 
rappeler au maire et à la municipalité les devoirs 
que la loi leur imposait. Lettres, arrêtés, confé- 
rences, il n'épargna rien pour assurer le maintien 
de la tranquillité publique. Le maire et les admi- 
nistrateurs de police furent invités à venir rendre 

I. Exposé de la conduite tenue par le maire Pétion. 



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LE 20 JUIN 1792. 



compte de la situation de la capitale et des mesurés 
qu'ils avaient prises ou étaient disposés à prendre. 
La conférence eut lieu, le 19 juin, entre deux et 
trois iieures de raprès-midi ; elle fut longue, ani- 
mée, pleine de reproches et de récriminations. En- 
fin, le directoire insistant, le maire écrivit, sur le bu- 
reau même du président, au commandant général de 
la garde nationale afin (ju'il eût à « tenir les postes 
au complet, doubler ceux des Tuileries et de TAs- 
semblée nationale, avoir des réserves d'infanterie et 
de cavalerie, prendre toutes les dispositions ana- 
logues aux circonstances et propres au maintien de 
la tianquillité publique. » La lettre finissait ainsi : 
« Si vous avez besoin de troupes de ligne, vous pou- 
vez, en vertu de mon autorisation générale, en faire 
la réquisition, n 

Le directoire, en présence de Pétion, prit un 
arrêté dont il lui fut tout de suite remis une amplia- 
tion et dont une autre copie fut adressée sans retard 
au ministre de T intérieur» pour être transmise à 
l'Assemblée nationale. 

Dans cet arrêté, le directoire déclarait : qu'il était 
instruit par des rapports multipliés que des malveil- 
lants, nonobstantrarrété du conseil général de la com- 
mune, avaient l'intention de former des rassemble- 
ments armés, sousprétexte deprésenter des pétitions ; 
qu'il croyait devoir rappeler la loi générale qui in- 
terdit aux citoyens de se réunir en armes sans réqui- 
sition préalable, ainsi que la loi municipale qui. 



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LE 20 JUIN 1792. 



81 



tout en leur permettant de se réunir paisiblement et 
sans armes pour rédiger des pétitions, ne les auto- 
rise néanmoins qu'à députer vingt citoyens seule- 
ment pour présenter ces pétitions ; qu'afin d'éviter 
un outrage au conseil général, qui avait rejeté la 
demande des faubourgs, et aussi afin que la tran- 
quillité de Paris ne fût pas troublée par des rassem- 
blements illégaux, ni la majesté des représentants 
du peuple outragée, il ordonnait au maire, à la mu- 
nicipalité et au commandant général de prendre 
sans délai les mesures indispensables pour empêcher 
tout rassemblement qui pourrait blesser la loi, pour 
contenir et réprimer les perturbateurs du repos pu- 
blic, etc. 

L'Assemblée nationale tenait sa séance du soir, 
lorsqu'elle reçut l'arrêté du directoire du départe- 
ment de Paris. Une députation de citoyens de Mar- 
seille était à la barre et y lisait une pétition des plus 
violentes : 

c( Législateurs, la liberté française est en péril, les 
hommes du Midi se sont tous levés pour la défendre. 

jour de la colère du peuple est arrivé. Le 
peuple, qu'on a toujours voulu égorger et enchaîner, 
las de parer les coups, à son tour est près d'en por- 
ter; las de déjouer les conspirations, il a jeté tm 
regard terrible sur les conspirateurs,,. Le lion géné- 
reux, mais aujourd'hui trop courroucé^ va sortir de 
son repos pour s élaaœr contre la meule de ses 
ennemis. Représentants du peuple, la force popu* 

5. 



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$2 



LE 20 JUIN 1792. 



laîre fait toute votre force. Vous Tavez en main, 

einpioyez-la.,. Uue lutte entre le despotisme et la 
liberté ne peut être qu'un combat à mort... Repré* 
sentants, le peuple veut absolument finir une révolu- 
tiony qm est son salut et sa gloire, qui est l'honneur 
de Tesprit humain; il veut se sauver et vous sauver. 
Devez-vom empêcher ce mouvement sublime? Le 
pouvez -vous, législateurs?... » 

C'était le 10 août annoncé la veille du 20 juin. 

Un pareil appel fait à la force brutale soulève na- 
turellement à gauche des transports d'enthousiasme, 
à droite des transports de colère, a L'impression 
et l'envoi aux départements 1 » crie-t-on d'un côté. 
« Cette adi*esse est incendiaire et inconstitution* 
nelle, » réplique-t-on des bancs opposés. Lecointe- 
Puyraveau rejette la violence du style des Marseil- 
lais sur (( leur ciel brûlant » et n'en demande pas 
moins l'impression de leur adresse patriotique ; après 
une épreuve contestée, la gauciie, sur la vive iosis- 
tance de l'Assemblée, finit par décréter l'impression 
et l'envoi des menaces marseillaises aux quatre-vingt- 
trois départements ^ 

L'émotion soulevée par cette lecture et par ce vote 
n'était pas encore apaisée, quand le président annonce 
qu'il vient de recevoir l'arrêté départemental. « Qu'on 
ne le lise pas, s'écrie Saiadin, nous n'avons pas de 

4. Séance du 49 juin; Moniteur et Journal des Débais et 
Décrets. 



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LE 20 JUIN 1793 



83 



temps à perdre. » Mais la majorité décide que lecture 

de l'arrêté du directoire sera faite; elle l'écoute en 
silence et passe à Tordre du jour. Était-ce une ap- 
probation tacite , une indifférence calculée , un blâme 
déguisé? Chacun put interpréter à sa guise cette 
décision. Les chefs du mouvement projeté y virent 
la preuve évidente que l'Assemblée n'était pas dé- 
terminée à suivre le département dans sa ligne de 
conduite énergique et courageuse; ils agirent en 
conséquence. 



XIII 



Cependant Tagitation augmentait dans les fau* 

bourgs. 

Les meneurs y représentaient la journée du len- 
demain comme une fête : « Il n'y a rien à craindre 
en se mêlant aux rassemblements^ disaient-ils; Pétion 

sera avec nous! » Ils excitaient la curiosité populaire, 
dépeignant d'avance à la foule le plaisir qu'elle 
éprouverait à visiter les Tuileries, qui lui étaient 
inconnues, avoir chez eux monsieur et madame Veto ^ . 

1. C'est ainsi que les jouriiaux démagogiques désignaient 
habiluellement le roi et la reine. 



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84 



LE 20 JUIN 1792 



Si quelques individus timorés manifestaient certaines 
appréhensioiis, on leur montrait les canons des ba^ 
taillons révolutionnaires, et Santerre disait tout haut 
qu'en dépit de l'arrêté départemental la garde natio- 
nale n'aurait pas d'ordres. 

Les sections des Quinze-Vingts, de Popincourt, 
des Gobelins et plusieurs autres encore siégèrent 
toute la nuit; la fièvre démagogique y fut entrete- 
nue par l'envoi et la réception des députations fra- 
ternelles» qu'elles échangeaient entre elles à chaque 
instant. 

Pétion avait cru devoir convoquer à la mairie , à 
neuf heures du soir, les chefs de la garde nationale 
des fauboui'gs agités, pour, disait la lettre de convo- 
cation, tt traiter avec lui d'un objet important. » 
Les quatre administrateurs de police, Panis, Sergent, 
Vigner, Perron, étaient présents à cette conférence 

Interrogé sur Fétat des esprits dans son quartier, 
le chef du bataillon des Enfants-Trouvés, Santerre, 
assure que rien ne pounaiL empêcher les citoyens et 
les gardes nationaux d'exécuter la promenade en 
armes décidée pour le lendemain. 

Alexandre, chel du bataillon de baint-Marcel, dé- 
clare que les dispositions de son quartier sont les 
mêmes que celles du faubourg Saint-Antoine; qu'il y 
aurait peut-être un grand danger à vouloir opposer 
la force à l'exécution de ce qui est fermement résolu. 

4. Rapporb de^ aiiauitisUaieurs de police. 



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LE 26 JUIN 1192 



85 



Quant à lui, ne voulant pas aigrir ses concitoyens, 
il marchera avec eux , afin de les empêcher de se 
porter à aucun excès, et aussi alin de u modérer ieui* 
courage et leur impatience , si on vient à les provo- 
quer ^ )) 

Le chef du bataillon de Sainte-Marguerite, Bon- 

neau , honnête chirurgien de la rue de Montieuil, 
mais faible et timide, se hasarde bien à présenter 
quelques observations, mais il iinit par reconnaître 
que les gardes nationaux sont fort divisés et que la 
fermentation est grande (huis son quartier. 

La conférence allait se dissoudre sans que Ton eût 
rien résolu, lorsque, un peu après onze heures, 
arrive le commandant du bataillon du Val-de-Grâce , 
l'acteur Saint-Prix , qui avait reçu fort tard sa lettre 
de convocation. « Dites - nous à votre tour, lui 
demande le maire , quelles sont les dispositions de 
votre bataillon? — Les esprits, répond Saint-Prix, 
étaient paisibles jusqu'à l'ouverture d'un club à la' 
porte Saint-MarceP. Maintenant ils sont tous excités 
et divisés. Ce club , qui est entré en correspondance 
avecSanterre, engage les citoyens à se porter demain 
en armes à l'Assemblée nationale, chez le roi, malgré 
les arrêtés des autorités constituées » 

Pétion était évidemment embarrassé. U n'osait se 

4. Rapport Alexandre. 

t. La porte Saint-Marcel était située au coin de la rue des 
Fossés-Sai n t- V ic r' . 
3 Rapport Saint-Prii^. 



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80 LE 20 JUIN 1192. 

constituer en révolte ouverte contre la loi« il cherchait 
un biais, un faux-fuyant, et il n'en trouvait pas. La 
pétition préparée dans la brasserie du faubourg Saint* 
Antoine, et dont on lui avait fait par avance la lec- 
ture, quelque violente, quelque illégale qu'elle fût, 
était loin d'exciter sa colère. Au lieu de chercher à 
ramener les chefs évidents du mouvement, Alexandre 
et Santerre, il demandait leurs conseils. Il demandait 
aussi ceux de leurs collègues, qui, eux, n'étant pas 
dans le secret, parlaient et agissaient avec la plus 
complète bonne foi. 

Ce fut alors que le chef de bataillon du Valide- 
Grâce émit une opinion qui devint un trait de lumière 
pour Pétion. Saint-Prix était un homme d'ordre, il 
respectait sincèrement le roi et la constitution; c'était 
aussi un artiste éminent, qui jouait admirablement 
les rois sur la scène du Tliéâtre-Français, mais ce 
n'était ni un profond politique, ni un savant juris- 
'consulte: « Permettez-moi, monsieur le maire, dit- 
il, un conseil qui me parait dicté par la prudence; 
puisque vous connaissez la pétition et le point de 
réunion, rendez-vous avec la municipalité au lieu du 
rassemblement, lisez l'arrêté du département, re- 
présentez, par une proclamation, au peuple qu'une 
pétition ne peut ni ne doit se faire en armes, que la 
démarche est illégale ; que , sans le respect dû aux 
autorités constituées, la constitution, pour laquelle il 
a juré de mourir, n'existe plus. Obtenez des citoyens 
qu'ils déposent leurs armes, avant d'entrer à l'As- 



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LK âO JUIN 1192 



«7 



semblée nationale et chez le roi. Offrez au peuple 

pour garantie de sa sûreté de le précéder avec la 
municipalité. Ordonnez au commandant général de 
convoquer un certain nombre de volontaires par ba- 
taillon, qui, placés sur le flanc, à gauche et à droite 
de la municipalité, protégeraient la marche des péti- 
tionnaires et donneraient ainsi un caractère d'autant 
plus imposant à cette démarche qu'elle serait tota- 
lement dans les formes légales ^ » 

Légaliser un mouvement essentiellement révolu- 
tionnaire , lui ôter tout péril et doubler sa force : 
quelle naïve idée pour un ami de l'ordre et des lois 
tel que Saint-Prix ! Elle paraît triomphante à Pétion , 
qui aussitôt se retire dans une pièce voisine, pour 
conférer avec les administrateurs de police sur les 
moyens d'en concilier T application avec l'arrêté dé- 
partemental. Quelques minutes après, l'administra- 
teur Yigner sort de la mairie, chargé d'aller s'en- 
tendre avec le procureur général syndic Rœderer, 
afin que toutes les autorités constituées de Paris se 
trouvent d'accord « pour l'adoption d'un môme moyen 
légal appliqué aux circonstances. » Quant au maire, 
il revient vers les chefs de légion, et, en les invitant 
à se retirer, leur dit : « Je vous instruirai de la ré- 
ponse qui me sera faîte par le département. Écrivez 
au commandant général pour le prévenir de ce qui 
se prépare et le prier de vous donner les instructions 

4 . Bapport Saint^Prix et rapport Rœderer. 



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88 



LE 20 JUIN \ m 



qu*U croira convenables. » Il était alors un peu plus 
d'une heure du matin. 

Arrivé au département, Vigner y rencontre Rœderer 
et lui soumet la nouvelle proposition du maire ^» Rœ- 
derer semble Tapprouver, mais ne croit pas pouvoir y 
répondre sans avoir Tavis du directoire, qu'il con- 
voque immédiatement. Vigner ne veut pas attendre 
et retourne à la mairie auprès de Pétion. Celui-ci , 
persuadé que le diiectoire ne peut laii e autrement 
que de se rendre aux très-bonnes raisons^ suivant 
lui, exposées dans sa lettre, va se coucher et se con- 
tente d'expédier aux membres du corps municipal, ou 

4. Nous donnons ici le texte même de la lettre écrite au di- 
rectoire le 20 juin, à une heure du mattui par le maire et lea 
administrateurs de police : 

« Le déparLeiuent de police, messieurs, ayant été instruit 
par différents rapports que les citoyens des faubourgs marchent 
en armes, ayant été instruit que des sections ont pris des déli- 
bérations à ce sujet pour autoriser les commandants de bataillon 
à les conduire, les juges de pait et les commissaires de police 
à les accompagner, ayant été Instruit enfin que les habitants 
des environs de Paris venaient se réunir en armes à ce cortège, 
a cru devoir réunir les commandants de bataillon pour avoir 
d'eux des explications claires et précises. 

u lis s'accordent à dire que les citoyens leur paraissent dans 
les intentions les plus pacifiques, mais qu'ils tiennent avec la 
plus grande opiniâtreté à aller en armes. Us s'appuient de ce 
qu'ils y ont été jusqu'ici et de ce que FÂssemblée nationale les 
a bien reçus. Ils témoignent des défiances et des craintes de 
marcher sans armes. Nous avons fortement insisté, particuliè- 
rement auprès du comiuaiidant du bataillon du faubourg Samt- 
Blarcel et d uu des commandants du faubourg Sainl-Ântoine. 



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LB 20 JUIN 1792. 80 

au moins à ceux sur rassentlment desquels il croit 
pouvoir compter, une lettre de convocation pour le 
lendemain matin. 



XIV. 



Pendant que le maire de Paris sommeillait, les 

membres du directoire du département avaient 

Ils nous ont répondu qu'il leur paraissait impossible de vaincre * 
les esprits à cet égard. 

« C^tte position, ainsi que vous le voyez, messieurs, est très- 
délicate; il ne s'agit pas de quelques individus, mais d'un 
nombre considérable; ne | )urrcUt-on prendre un parti tout à 
la fois prudent et qui se concilie avec la loi? 

« Toutes les armes pourraient se ranger autour de la garde 
nationale et sous l'autorité de ses chefs. Si les magistrats au- 
torisent légalement les commandants de l)ataillon à marctier en 
armes, alors tout rentrerait dans la règle « et les armes frater- 
niseraient ensemble. Nous n*entendons pas parler que les péti- 
tionnaires puissent se présenter en armes à la barre de T As- 
semblée ou chez le roi ; ils païaissont convaincus, dès ce 
moment même, qu'ils ne le doivent pas. 

a Nous soumettons ces réflexions à votre prudence. Nous 
vous prions de nous faire connattre promptement si vous les 
approuvez. 

« Les maire et administrateurs de police, 

a Signé : Pétion, Sergent, Panis, Vigneb, 
Perron. » 



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90 LK m JlilN I70t>. 

répondu à rappel de Rœderer, et la discussion la 
plus vive s'était engagée sur la proposition munici- 
pale. 

Il fut uDanimement reconnu que Ton ne devait pas 
recevoir dans les rangs de la garde nationale des 
hommes pour la plupart inconnus, sans aveu, déjà 
en état de rébellion ouverte, munis de toutes sortes 
d'armes, qui ne pouvaient que semer le désordre au 
milieu de la force armée, et, en cas de sédition, la 
mettre dans Timpossibilité d'agir. 

Ën conséquence il fut décidé qu'il serait sur-le- 
champ fait à la municipalité la réponse suivante : 

« Pïiris, ce 20 juin 1791, cinq heures du matin. 

(( Nous avons reçu, messieurs, votre lettre de cette 
nuit; nous ne croyons pas pouvoii' en aucune circon- 
stance composer avec la loi que nous avons fait le 
serment de faire exécuter; elle nous trace nos devoirs 
d'une manière impérieuse. Nous croyons devoir per- 
sister dans notre arrêté d'hier. » 

Précisément au inoment où cette lettre était écrite, 
le maire s'éveillait. Inquiet de n'avoir pas encore 
reçu de réponse du département, il chargeait Vun 
des administrateurs de police, Sergent, de porter un 
billet ainsi conçu : 

« La mesure indiquée est la seule praticable, sur- 
tout dans des circonstances où les citoyens n'oul pas 



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LË 10 JUIN ll^'À 



91 



eu le temps d'être prévenus et sont peut-être déjà 
$iir pied à se préparer. 

« Cinq heures du matin. » 

Sergent eut beau rt^péter au directoire assemblé 
les r^sonnements que Yigner avait déjà faits à 
Rœderer, les magistrats départementaux s'élevèrent 
avec vivacité contre toute légalisation d'une iUégaUté. 
La réponse fut expédiée , mais avec ce post-scriptum 
nécessité par l'arrivée de la nouvelle lettre de Pétion : 

« P.*5. Nous recevons à l'instant votre lettre de 

cinq heures. Nous ue jugeons pas qu'elle doive nous 
faire changer de disposition. » 

Le département écrivait en même temps au com- 
mandant général de la garde nationale qu'il eût à 
remplir son devoir conforniément à l'arrêté de la 
veille « même à faire battre la générale si le danger 
Hevenait pressant; et au ministre de l'intérieur, pour 
lui faire part des propositions de la municipalité et 
du refus péremptoire qui venait d'y être opposé. 

La résistance du directoire bouleversait toutes les 
espérances, anéantissait tous les plans de Pétion. 
Les ordres qu'il venait de recevoir étaient trop for- 
mels et trop précis pour qu'il pût affecter de ne pas 
les comprendre. 11 sentit qu'il fallait s'exécuter et 
écrivit a;ux quatre chefs de bataillon la lettre smvante : 

m Nous vous prévenons de nouveau, messieurs, 



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92 LE 20 JUIN 1792. 

que vous ne pouvez vous réunir en armes... Voici, à 
cet égard, la lettre que nous envoient les membres 
du directoire. D'après cette lettre, nous augurons 
trop bien de votre civisme pour ne pas espérer que 
vous vous y conformerez et que vous éclairerez vos 
concitoyens. » 

Les chefs de bataillon des faubourgs se trouvaient 
donc ballottés entre les instructions les plus contra- 
dictoires. Ils étaient en même temps exposés à rece- 
voir les réquisitions extralégales des sections. 

La section des Gobelins, avec laquelle Alexandre 
n'avait pas cessé d'être en rapport direct la veille et 
durant toute la nuit, invita Saint-Prix à venir, à la 
tête de ses troupes , u assister à la cérémonie qui se 
préparait à l'effet de planter Farbre de la liberté sur 
la terrasse des Feuillants. » Saint-Prix répondit qu'il 
ne pouvait faire marcher son bataillon que sur réqui- 
sition légale; qu'ayant reçu au contraire la réquisi- 
tion de ne pas bouger, il resterait à son poste. Ce- 
pendant il ajouta que, comme citoyen, il se rendrait 
& la section sans armes, et même que, comme chef 
de bataillon, il s'empresserait de se joindre à elle, 
tt si des ordres ultérieurs l'y autorisaient. » 

Le commandant général de la garde nationale 
(c'était, pour le mois de juin, RamainvUliers) était 
tout aussi embarrassé que ses subordonnés. Dès la 
pointe du jour, il s'était rendu à la mairie, mais il ne 
put obtenir aucune réponse précise ; on lui dit qu*U 



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LE :J0 JUIiS 1792. 



93 



fallait attendre la réunion du corps municipal. Tout 
ce que Pétioa osa preodre siu* lui , ce fut d* envoyer 
les administrateurs de police dans les faubourgs 
agités, poui' se conformer aux iustiuctious que la 
vetUe il avait reçues du département. 



XV. 



Lorsque Sergent et Panis arrivèrent au faubourg 

Saint-Antoine, à huit iieures du matin, ils trouvèrent 
un grand nombre de citoyens» les uns armés, les 
autres encore sans armes. Les groupes se formaient 
çà et là devant les aiiicbes apposées durant la nuit, 
lisaient rarrêté du dbrectoire et ne manquaient pas 
de le commenter avec colère. Les deux administra- 
teurs de police engagèrent, mais sans doute très-fai^ 
blement, les sans-culoties de leur connaissance à 
déposer leurs fusils. Ceux-ci leur répondirent que 
ron ne voulait attaquer ni TAssemblée nationale, ni 
le roi» qu'on désirait seulement faire cortège aux 
vingt pétitionnaires légaux du peuple, et ensuite 
célébrer militairement Tanniversaire du Serment du 
Jeu de Pauuie. « Du reste, ajoutèrent-ils, nous avons 
peur qu*on ne nous fusille du côté des Tuileries, et 
nous tenons à avoir nos armes. )) 



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94 



LE 20 JUIN 1792 



A de pareils raisonnements Panis et Sergent se 
gardèrent bien de trouver des objections. Us se ren- 
dirent au comité de la section des Quinze- Vingts. Une 
partie du bataillon des Enfants- Trouvés était déjà 
rassemblée autour du peuplier qui devait être planté 
aux Tuileries; Santerre haranguait une nombreuse 
réunion de citoyens avec ou sans uniforme, et sou* 
mettait à leur discussiou la lettre qu'il avait reçue 
du maire. Les administrateurs de police firent 
(disent-ils dans leur rapport, mais c est peu pro- 
bable) tous leurs efforts pour déterminer le chef de 
bataillon et les citoyens à respecter la loi. Santerre 
leur répliqua qu'il agirait, quant à lui, conformé- 
ment au désir du peuple. Par l'organe des sans- 
culottes qui remplissaient Téglise des £nfants-Trou- 
vés, le peuple couvrit la responsabilité du brasseur 
en répondant tumultueusement : « Déjà plusieurs 
députations en armes ont été reçues par le corps 
législatif; certains bataillons s'y sont présentés en 
' armes sans que le directoire du département s'y soit 
opposé; la loi étant égale pour tous, nous irons, et 
nous serons reçus, nous aussi. » Les magistrats mu- 
nicipaux essayèrent encore, s'il faut les en croire, 
de ramener les égarés à la raison; mais, naturelle- 
ment, ils n*y réussiieut pas. En sortant du comitéi 
ils redescendirent vers la Bastille; voyant, au milieu 
d'une foule énorme, errer des comiiussaires de sec- 
tion et même le conmiissaire de police revêtu de son 
chaperon^ ils pensèrent qu'ils n'avaient plus qu'à 



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LE JUJN 1792. 



95 



s'eD aller tranquillement déjeuner au coin du fau- 
lK)ttrg, dans un café, d'où ils pourraient admirer le 
spectacle de la foimation des rassemblements ^ 

Si, au lieu de revenir sur leurs pas, les adminis- 
trateurs de police avaient poussé leurs investigations 
plus avant dans le faubourg, ils se seraient aperçus 
que Télan populaire n'était pas aussi unanime, aussi 
irrésistible qu'ils le prétendaient; si leur désir d'em- 
pêcher le rassemblement illégal avait été réel, ils 
seraient allés chercher à la section de Mou treuil l'ap- 
pui qu'ils avaient été heureux de ne point trouver 
à celle des Quinze- Vingts. 

En eflet, le 20 juin, à dix heures du matin, les 
membres du comité de la section de Montreuil et le 
commissaire de police étaient réunis pour veiller 
au maintien de l'ordre. Les coniuiaudants Bonneau 
et Savin, à la tête du bataillon de Ssûnte-llargaerite, 
résistaient aux invitations itératives que leur envoyait 
le bataillon des £nfants-ïrouvés pour venir le re- 
joindre ; à toutes les suggestions, ils répondaient 
par le dernier ordre signé Pétion. Mais surviennent 
de nouveaux émissaires des Quinze-Vingts, soute- 
nant que la consigne est levée. Ce mensonge se pro- 
page vite, grâce à Fabsence des oflSciers municipatix, 
qui déjeunaient. Bonneau ne veut pas y ajouter foi; 
il reste fidèle à son mandat et invite ses soldats à 
demeurer immobiles. Cependant un grand nombre 

1. Happort Sergent. 



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96 



LE 20 JUIN 1792. 



de gardes nationaux manifestent la volonté de suivre 
leurs amis des Quinze- VingtSi et» pour éviter i'eifu- 
sion du sang, le malheureux commandant se décide 
à marcher, non sans protester contie la violence qui 
lui est faite. 

Des scènes à peu près semblables, mais plus vio- 
lentes, se passaient vers la même heure au faubourg 
Saint-Marcel. Le commandant en premier, Saint- 
Prix, et le commandant en second, Leclerc, dès leur 
arrivée au quartier générai du bataillon du Yal-de- 
tirâce, se trouvent environnés d'une foule d'hommes 
armés de piques, qui veulent forcer les gardes natio- 
naux à les suivre. Les commandants rappellent la 
loi, se retranclieiU denière les Oidies qu'ils ont 
reçus. A leurs représentations, à leurs prières, la 
foule réplique par des injures et essaye d'enlever 
les canons affectés au bataillon. Déjà Saint-Prix com- 
mande aux gardes nationaux de se ranger en ba- 
taille, mais les canonniers ont abandonné lâchement 
leurs pièces, (|ue les hommes à piques entraînent en 
courant. Saint-Prix et Leclerc se précipitent, tenant 
d'une main leur ordre, de l'autre leurs épées. A cette 
vue, les émeutiers s arrêtent. Les deux coinrnandants 
se placent devant les canons. Mais bientôt ils y sont 
seuls, car tous les hommes s éloignent, à Texceptioii 
d'un adjudant. Menacés de mort, incapables de 
résister plus longtemps, ils rappellent les canonniers 
qui ont fui, leur remettent les bouches à feu, et 
croient devuii' les acconipagaer, aiin d'eiupècher que 



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LE 20 JUIN 1792, 



97 



le peuple a' abuse des armes dont il s esl emparé. 
Ed marchant avec la foule« ils prennent à témoin 
tous les citoyens qui restent sur leurs portes et à 
leurs fenêtres, qu'eux, les commandants de la force 
armée, ils ont été « contraints de marcher par la 
yiolence et Tinsubordination » 

Vers la même heure, Perrou arrivait avec le chef 
de bataillon Alexandre et le président de la section 
des Gobelins sur le baulevard de riloijiLtd, ou déjà 
étaient réunis beaucoup de gardes nationaux, et 
une foule d*hommes et de femmes, armés de fusils, 
de piques, de sabres, d'épées, de bâtons. Perron 
parle de la loi, de l'arrêté du directoire, des lettres 
de Péûon; personne ne veut l'entendre; on l'invite 
à se mettre fraternellement à la tête du rassemble-- 
ment; il rel'use et se retire-. Le juge de paa de 
la section des Gobelins, ïborillon, qui était en même 
temps députe, teate une nouvelle démarche, court 
au chef-lieu de la section pour encourager la résis- 
tance aux illégalités flagrantes qui se préparent. 
Hais déjà le bataillon est en marche; dans son 
impuissance, le couuLe civil de ^ecLloa iie peut que 
prier le juge-député de faire immédiatement part 
à l'Assemblée nationale des violences dont il a été 
témoin 

4. Rapport Saint-Prix. 

2. Rapport Perrou. 

3. Compte rendu de la séance du 20 juin (Journal des Ué- 
bals et Décrets, n° 367, p. ^64). 

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96 L6 tO JUIN 1792. 

Le maire, presque aussitôt après le départ des 
adiuiuistrateurs de police, avait dépêché vers le fau- 
bourg Saint-Marcel trois antres officiers mtinictpaax. 
Ceux-ci rencontrent, près de la rue des Fossés-Saint- 
* Bernard, le rassemblement précédé de deux canons. 
Ils déploient leurs écliarpes, la foule s'arrête et les 
entoure ; on les écoute un instant» mais on leur ré- 
pond par le même mot d'ordre: « Nos motifs sont 
purs, nos desseins pacifiques ; nous voulons saluer 
l'Assemblée nationale, célébrer 1 anniversaire du Ser- 
ment du Jeu de Paume et planter un mai pour fêter 
ce grand événement. » Les officiers municipaux font 
timidement observer que, pour tout cela, il n'est pas 

besoin d'armes. « iNous ne nous désarmerons pas, 
leur répond-on, et si Ton envoie des canons contre 
nous, eh bien ! nous aurons les nôtres. » Les muni- 
cipaux veulent encore parler, mais l'attroupement les 
interrompt en criant : « En voilà bien assez ; H. le 
commandant, en avant I » Ët Alexandre de répéter : 
« Bn avant! en avant^ I » 

Au même moment (midi environ), le faubourg 
Saint-Antoine s'ébranlait aussi. Santerre sortait de 
sa brasserie et prenait la tête du cortège. Il était 
suivi par les canons, le drapeau du bataillon et le 
char qui portait le peuplier. Le brasseur-comman- 
dant était le héros et le triomphateur du jour. 

4. Rapport Alexandre et procès-verbal Moucbet, Guiard et 
thomas. 



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LU 20 JUIN m 



XVI. 



Pendant que les amis de Pétion, administrateurs 

de police ou simples oiiiciers municipaux, dépen- 
saient de vaines paroles pour ne rien empêcher, que 

faisait le maire de Paris lui-même ? H refusait tout 
ordre écrit au commandant de la garde nationale * 

qui n'osait pas agir sans cela, et, comme nous l'avons 
déjà dit plus haut, le retenait à l'Hôtel de Ville 
depuis huit heures du matin jusqu'à onze heures et 
demie \ pour le faire assister à la séance du corps 
municipal. 

Celui-ci se réunissait très-lentement et était loin 
d'être au complet longtemps après l'heure indiquée 
dans les billets de convocation. 11 est vrai que ces 
billets n'avaient été portés que très-tard, ou ne 
l'avaient pas été du tout, aux membres de la part 
desquels Pétion pouvait craindre quelque opposition. 

Enfin la séance est ouverte et le maire donne au 
corps municipal, ou plutôt à ses amis, seuls encore 
présents, lecture des rapports qu il vient de recevoir 

1 . Déclaration Desmousseaux. 
S. Rapprt Ramainvilliers. 



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lUU . LE 20 JUIN 171)2. 

des administrateurs de police. Après cette communi- 
cation se produisent^ d'abord avec timidité, puis 
avec un peu plus d'audace, les raisonnements usités 
en pareille circonstance pour entraîner les gens 
faibles et indécis : « Il est impossible d'arrêter deux 
faubourgs tout entiers; il faut dès lors rendre régu- 
lière la marche du rassemblement, rallier au milieu 
de la garde nationale et sous le commandement de 
ses chefs les citoyens de toutes armes. » Grftce à 
de pareils ar^^uments, la réunion semi-légale qui 
fflége à l'Hôtel de Ville prend l'arrêté suivant : 

« Le corps municipal étant informé qu*un grand 

nombre de citoyens de tous uniformes et de toutes 
armes se proposent de se présenter aujourd'hui à 
l'Assemblée nationale et chez le roi, pour remettre 
une adresse et célébrer en même temps l'anniver- 
saire du Serment du Jeu de Paume; 

<i Le procureur de la commune entendu; 

« Arrête : 

« Que le chef de légion, commandant générai de 
la garde nationale, donnera à l'instant les ordres 
nécessaires pour rassembler sous les drapeaux les 
citoyens de tous uniformes et de toutes armes, les- 
quels marcheront ainsi réunis sous le commande- 
ment des officiers des bataillons. 

« Sigiié : POTION, maire. 

DfiJOLY, secrétûre-greffier. » 



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LE 20 JUIN 1792 



iOi 



Au moment où cet arrêté vient d'être adopté, plu- 
sieurs des officiers municipaux avertis tardivement 
entrent dans la salie; mais on se contente de leur 
faire part de la mesure qui vient d'être prise, et on 
lève la séance. A 1 un d'eux ^ Borie, qui témoignait 
son mécontentement « de voir la loi ainsi lâolée, » on 
répond : « Il fallait bien agir de la sorte, puisque 
les circonstances ne permettaient pas d'agir autre- 
ment. » La décision prise, le maire paraît croire la 
patrie sauvée, ne maintient pas son corps municipal 
en permanence, et se retire dans une salle particu- 
lière avec quelques intimes, se contentant d'envoyer 
du côté des Tuileries ses aiïidés les plus sûrs^ 

Le commandant général reçoit l'ampliation de l'ar- 
rêté qui vient d'être pris et rentre à Fétat-major de 
la garde nationale ; il y trouve plusieurs ordres éma- 
nés du ministère de l'intérieur et du directoire du 
département qui sont en contradiction formelle avec 
ceux qu'il tient de la main de Pétion. Naturellement 
ses hésitations redoublent, son inertie augmente. 

Pendant ce temps le directoire du département 
siégeait en permanence rue du Daupiiin et restait en 
communication incessante avec le ministère de l'in- 
térieur, l'Assemblée et le Château. 

L'Assemblée nationale venût d'ouvrir sa séance; 
Rœderer, procureur général syndic, s'y rend et lui 
expose les faits qui sont à sa connaissance. 

4. Déclarations fiorie, J.-i. Leroux, Desmousmux. 

♦ 

6. 



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m LB 20 JUIN 1792. 

« Un rassemblement extraordinaire de citoyens ar- 
més, dit-il, a lieu en ce moment malgré la loi, malgré 
deux arrêtés, Tun du conseil général de la commune,. 
Tautre du départemeni, qui rappellent la loi... 

« Nous avons lieu de craindre que ce rassemble- 
ment ne serve à appuyer par Tappareil de la force 
une adresse au roi, à qui il ne doit en parvenir que 
sous là forme paisible d'une pétition. 

il Les rapports qui nous ont été faits cette nuit et 
qui Font occupée tout entière ont autorisé nos craintes 
a cet égard. 

c< Une lettre du ministère de l'intérieur qui nous a 

été adressée ce matin , à neuf heures , les a confir- 
mées. 

« Vous connaissez, messieurs, Tarrêté que le di- 
rectoire a cru devoir prendre hier pour fortifier celui 
que le conseil général de la comniune a pris le 16 du 
courant; aujourd'hui nous n'avons eu qu'à en recom- 
mander de nouveau Texécutlon à la municipalité et à 
lui faire connaître Tordre qui nous a été transmis 
par le ministre de l'intérieur. Nous avons rempli ce 
devoir... 

«Aujourd'hui, messieurs, un grand nombre de 
citoyens armés, accompagnant des pétitionnaires, se 
portent vers l'Assemblée nationale par un mouvement 
civique; mais demain il peut se rassembler une loule 
de malintentionnés, d'ennemis secrets de la Révolu- 
tion et de TAssemblée nationale elle-même. 

« Qu'aurions-nous à leur dire, quel obstacle pour- 



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LE 20 JLIN 1792. 



103 



rions-DOus mettre à leur rassemblement, en un mot, 
messieurs, comment pourrions-nous répondre de 
votre sûreté si la loi ne nous en donnait le moyen, 
et si ce moyen était affaibli dans nos mains par la 
condescendance de l'Assemblée nationale & recevoir 
des multitudes armées dans son sein? 

« Nous demandons, messieurs, de rester chargés 
de tous nos devoirs, de toute notre responsabilité, et 
que rien ne diminue Tobli^ation où nous sommes de 
mourir pour maintenir Tordre public et le respect du 
aux pouvoirs qui forment les bases de la constitu- 
tion. » 

Les dernières paroles du procureur générai syndic, 

si nettes, si fermes, aui aient dû provoquer des ap- 
plaudissements unanimes. Une partie seulement de 
l'Assemblée les salue d'acclamations; le reste , sou- 
tenu des tribunes , fait entendre des murmures dés- 
approbateurs. 

Le président. Français (de Nantes), se contente de 
répondre au directoire : « Assemblée nationale 
prendra en considération les observations que vous 
venez de lui soumettre. » 

L'Assemblée nationale étant avertie oOicieilement 
de Tarrivée des pétitionnaires armés, il lui était im- 
possible de ne point discuter d'avance la question de 
savoir si, 'en admettant dans son sein les violateurs 
de la loi, elle consentirait, pour nous servir des ex- 
pressions d'un écrivain révolutionnaire, » à mettre à 
la merci de toutes les séditions possibles la liberté de 



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104 



LE 20 JUIN 1792. 



ses débats, rindépendance de ses votes, la dignité de 
ses membres. » Pour combattre les motions que devait 
uatureilemeQt présenter et soutenir la droite royaliste 
et constitutionnelle, la ganche envoie à la tribune le 
plus éloquent de ses orateurs, Yergniaud : « Je le 
crois, dit^il, et nous avons entendu avec plaisir 
M. Rœderer nous le confirmer, le civisme seul anime 
les citoyens qui ont formé le rassemblement dont on 
vient de vous parler. Mais je crois aussi que vous 
devez prendre les précautions que les circonstances 
comniaadent pour prévenir les événements que la 
malveillance pourrait occasionner. Parmi ces précau- 
tions, faut-il comprendre le refus de recevoir les 
pétitionnaires armés? Sans doute le sanctuaire de la 
loi ne doit être ouvert qu'aux législateurs et aux 
citoyens paisibles, et Ton peut craindre que, si au- 
jourd'hui le civisme y conduit de bons citoyens, 
demain Taristocratie u*y conduise des janissaires. 
Cependant, comme l'Assemblée constituante et la 
Législative, hier même, ont eu le tort de ne point 
refuser le passage à travers leur enceinte à des péti- 
tionnaires armés. Terreur des citoyens qui veulent, 
eux aussi, défiler, se trouve en quelque sorte autori- 
sée par les abus antérieurs. » — Si donc, » ajoute Yer- 
gniaud proposant une transaction entre ce que les 
faubourgs en marche paraissent vouloir et ce que les 
magistrats départementaux réclament au nom de la 
loi, « si donc des citoyens sans armesvienneuLà votre 
barre vous demander de défiler en armeit^ comme 



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LE 20 JUIN 179Î, 



VOUS n'avez pas refusé cette faveur aux autres, vous 
ne pouvez pas la refuser à ceux-ci : s'ils veulent pré- 
senter une pétition au roi, je pense qu'ils se coaior- 
meront aux lois, qu'ils iront à lui sans armes et 
comme de simples pétitionnaires. Ainsi il y a lieu de 
croire qu'il n'y a pas de danger pour la personne du 
roi; supposé qu'il y en eût, vous devez le partager. 
Je demande qu'une députation de soixante membres 
soit envoyée chez le roi pour y rester jusqu'à ce que 
le rassemblement soit dissipé. » 

Mais d'autres députés ne paraissent pas avoir dans 
les intentions des pétitionnaires la même confiance 
que Yergniaud. Thorillon rend compte des scènes 
dont il a été témoin quelques heures auparavant, et 
demande, au nom du comité de la section des Gobe- 
lins, que l'Assemblée maintienne, comme elle le doit, 
l'exécution de la loi ^ Dumolard insiste afin que la 
motion de Vergniaud pour l'envoi d'une députation 
chez le roi soit adoptée et que les rassemblements 
illégaux soient dissipés. Mais en ce moment le pré- 
sident annonce qu'il vient de recevoir une lettre de 
Santerre, commandant de l'un des bataillons du fau- 
bourg Saint-Antoine. On entend les premiers gron- 
dements de l'orage qui s'approche, d'immenses bruits 
de voix montent du dehors; à ces signes précurseurs, 
chacun comprend que le flot populaire bat déjà les 
portes de l'Assemblée nationale. 

1 . Moniteur et Journal des Débais et Décrets, 



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10b 



LE 20 JUIN 1792. 



XVIL 



Les deux baudes d'émeutiers que nous avons lais- 
sées se mettant en marche, Tane de la Salpètrière, 
Fautre de la Bastille, n'avaient pas tardé à se réunir* 
Les dernières hésitations que les meneurs auraient 
encore pu rencontrer dans les masses, avaient été 
dissipées par Farrété du corps municipal permettant 
aux citoyens de tous uniformes et de toutes armes 
de marcher sous le commandement des officiers de 
la garde nationale. 

Le long de la route, le rassemblement s*était grossi 
de celle foule de badauds et d*oisifs que Ton trouve 
toujours errants dans les rues de Paris, prêts à se 
joindre à n'importe quel cortège et même à suivre, 
par simple curiosité ou amour du tapage, les aven- 
tures de n'importe quelle émeute. 

Le Manège, approprié pour l'Assemblée consti- 
tuante, lors de sa translation de Versailles à Paris, 
était un bâtiment d'environ 150 pieds de longueux*, 
qui , adossé à la terrasse des Feuillants, occupait à 
peu près l'emplacement où se croisent aujourd'hui 
les rues de Rivoli et de Gastiglione. La terrasse exis- 
tait telle qu elle est encore maintenant: mais, à la 



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hE 20 JUIN 179t 



m 



place de la griUe qui la sépare de la rue de Rivoli « il 

y avait une haute muraille qui eiupècliait toute com- 
manication entre la terrasse et une longue cour 
$*étendant entre le bâtiment du Manège et les Tuile- 
ries* Cette cour était très-étroite, et rien n'eût été 
plus facile que d'y enfermer la tète de la coloiifie des 
soi-disant pétitionnaires et de les y désarmer. Aussi 
les émeutiers du 20 juin se gardèrent-ils de s'enga- 
ger dans cette espèce de déliié. Comme on pouvait 
également entrer à TAssemblée par l'extrémité oppo- 
sée du bâtiment qu'elle occupait , les meneurs déci- 
dèrent que les pétitionnaires se présenteraient par la 
porte des Feuillants, et leur firent suivre la rue 
Saint-Honoré jusqu'à la hauteur de la place Ven- 
dôme. 

Au moment où ils arrivèrent, précédés de sapeurs, 

de canons et de la voiture sur laquelle était porté 
Farbre de la liberté, deux des officiers municipaux, 
envoyés par Pétion auA environs des Tuileries, appa- 
rurent devant eux, ceints de leur écharpe. C'était 
Boucher-René et Mouchet. Avec une étonnante gra- 
vité, ces magistrats essayèrent de réitérer la comédie 
déjà jouée dans les faubourgs; ils firent observer aux 
citoyens armés et désarmés qu'ils ne pouvaient pas 
légalement se présenter en aussi grand nombre pour 
exercer leur imprescriptible droit de pétition. « Mais 
nous allons précisément en demander la permission 
à l'Assemblée nationale, » leur répondit-on; et con- 
vaincus par ce magnifique raisonnement, les hommes 



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108 



LË 20 JUIN i79!2. 



à écharpe se laissèrent entraîner jusqu'à la porte du 

Manège. 

La foule s'arrêta sur l'ordre de son chef, San- 
terre, qui exigea de ses fidèles sans-culottes un peu 
de patience, pendant qu'il notifierait leur arrivée aux 

représentants du peuple 'et que ceux - ci délibére- 
raient sur l'admission des pétitionnaires*- 

La Icltre adressée par le louL-puissaaL brasseur au 
président de la représentation nationale était conçue 
en ces termes : 

a Monsieur le Président, 

a Les habitants du faubourg Saint -Antoine cé- 
lèbrent aujourd'hui Tanniverswe du Serment du Jeu 

de Paume; ils désirent présenter leurs hommages à 
l'Assemblée nationale. On a calomnié leurs inten- 
tions; ils demandent Thonneur d'être admis aujour- 
d'hui à la barre; ils confondront une seconde fois 
leurs lâches détracteurs, ils prouveront toujours 
qu'ils sont les amis des lois et de la liberté t les 
hommes du li juillet. 

u Je suis avec respect, monsieur le Président, 
votre très-humble et trèsK)béissant serviteur. 

tt Signé : Sajxt£aeë, commandant de bataillon* 

« i'ans, le juin 47921. j» 

La lecture de cette lettre provoque les bruyants 
applaudissements des trii>uiies. Une paitie de l'As- 
semblée se lève en criant: u Qu'on introduise les 



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L£ 20 JtJhN 1702. 



109 



pétitionnaires I — Non! nonl » crie-t*on à droite. 

Raaiond, l'un des plus courageux orateurs de ce 
côté, demande la parole; mais Lasource est déjà à • 
la tribune, a Uii des pétitioiiiiaires, dit-il, m'a fait 
appeler pour m'annoncer que ceux qui attendent aux 
portes veulent seulement présenter une pétition à 
l'Assemblée et défiler devant elle; ils sont porteurs 
d'une adresse au roi, mais leur intention nVjst pas 
de la présenter au roi en personne. Ils la déposeront 
sur le bureau, afin que TAssemblée la fasse parvenir 
au roi ou décide dans sa sagesse ce qu elle jugera 
convenable. » Puis, comme nous l'avons vu plus 
d'une fois dans la longue histoire de nos révolutions, 
l'orateur, se fiant aux promesses d'une foule irres- 
ponsable, ajoute : « Les pétitionnaires prennent Ven-- 
gagemem formel de ne pas même approcher du do^ 
micile du roi, » 

Ces allégations, proférées du ton le plus affirmatif ^ 
ne font sans doute ptis assez d'effet sur les esprits 
indécis, car Vergniaud présente aussitôt des argu- 
ments d'une tout autre nature : « Si, dit-il, le peuple 
s'est un peu écarté de la loi, c'est que le corps con- 
stituant et le corps législatif lui-même ont favorisé 
de pareils rassemblements. Si vous ordonniez que 
le département et la municipalité fissent exécuter la 
loi à la rigueur, si vous adoptiez la proposition de 
M. Dumolard, vous renouvelleriez infailliblement la 
scène sanglante du Champ de Mars... » 

Des tonnerres d'applaudissements retentissent dans 

7 



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liO 



LE 20 JUIN 4792. 



les tribunes et à gaacbe; la droite lance à Torateur 

de vives interruptions. « Si l'on pouvait penser qu'il 
y eût quelque danger à radmission des pétitionnaires 
armés, ce que je ne crois pas, icprend \ergiii;uid , je 
serais le premier à proposer pour demain un décret 
contre le renouvellement de ce danger. » Et néan- 
moins il conclut en demandant que l'Assemblée 
daigne recevoir à l'instant les citoyens de Paris qui 
sollicitent l'honneur de déiiler devant elle. 

Ramond veut répondre à Vergniaud. mais il est 
constamment interrompu par les vociférations de la 
gauche, qui réclame la clôture de la discussion. 
Enfin, la parole lui est maintenue par un vote, et 
déjà il commence à réfuter l'argumentation de ses 
adversaires S lorsque le président dit avec émotion : 
« Je suis obligé d'interrompre la discussion pour an- 
noacei a l'Assemblée que le coniiiiaiidaiit de garde 
vient de m'avertir que les pétitionnaires sont aux 
portes de cette salle au nombre de huit mille. » 

L'Assemblée est en proie à une vive agitation, que 
cette parole lancée par Calvet augmente encore : « Ils 
sont huit mille, et nous ne sommes que sept cent 
quarante-cinq; c'est le moment de lever la séance et 
de nous en aller ! 

— Délibérons tranquillement, s'écrie un autre dé- 
puté; que M. Kamond continue son discours! » 

1. Pour cellG piirtie de la sôiince, le Journal des Débats et 
Décrets est beaucoup plus complet que le Moniteu$\ 



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LE 20 JUIN 1792. 111 

L'Assemblée entière applaudit à cette dernière 
motion; Hua, Larivière et d'autres membres de la 
droite demandent eux-mêmes que Galvet, leur ami, 
soit rappelé à l'ordre; ce rappel est prononcé à 
r unanimité. Tant il est vrai que dans toute assem- 
blée, quelque divisée, quelque tumultueuse qu'elle 
soit, il y a des moments où le sentiment de la dignité 
personnelle fait taire les passions et réunit les opi- 
nions les plus divergentes; par malheur, ces moments 
sont souvent bien courts et les passions reprennent 
trop vite leur revanche. 

Sur la proposition d'un membre de la gauche, 
Lacroix, la parole est rendue à Ramoud. u Si huit 
miUe hommes, reprend -il, sont pressés de paraître 
devant vous, vingt-cinq millions d'hommes attendent 
aussi votre délibération. Le corps législatif manque- 
rait à la plus sainte de ses obligations s*il ne faisait 
pas déposer, aux portes de cette salle, les armes qui 
sont entre les mains des pétitionnaires. » 

Guadet soutient que le désarmement est complè- 
tement iiiipiailcable, et il s'embarque dans une longue 
série de raisonnements pour démontrer qu'on ne 
peut mieux faire que d'accueillir avec faveur la pro- 
position de Lasource et de Vergniaud. Mais Santerre 
et ses amis s*impatientaient probablement d'une trop 
longue attente, car le président interrompt l'orateur 
de la gauche en annonçant une seconde fois que les 
pétitionnaires font des instances pour être admis. 
L'Assemblée, de nouveau, dédaigne d'avoir égard à 



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112 liE 20 JUIN i7d2. 

la sommation que lui adresse l'émeute hurlant à sa 
porte. Guadet coutinue à critiquer Tarrèté du direc- 
toire qui , à ce qu il prétend , n'a été connu dans les 
faubourgs que lorsque déjà le rassemblement était 
formé et prêt à se mettre en marche ; il conclut en 
demandant radmissioii immédiate des pétitionnaires. 

u C'est évident, s'écria Jaucourt; ceux qui les ont 
fait venir ne peuvent pas les renvoyer. » 

Plusieurs membres, appartenant aux divers côtés, 
réclament encore la parole, mais l'Assemblée déclare 
la discussion close. 

En nouvel incident vient accroître le tiouble el la 
confusion. Les pétitionnaires se croient tellement 
sûrs qu'on ne peut rien refuser à leiur nombre et à 
leurs armes , que la clôture de la discussion leur pa- 
raît équivaloir à l'octroi de leur demande. Ils entrent 
dans la salie et paraissent à la barre avant qu'aucun 
décret les y autorise. Au milieu des protestations qui 
s'entre-croisent, le président est impuissant à se faire 
entendre; il se couvre, et, durant quelques minutes, 
la séance est interrompue. Des députés constitution- 
nels se portent vers la tribune ; d'autres, debout à 
leurs bancs, interpellent le bureau afin qu'il main- 
tienne rinviolabilité du sanctuaire de la loi; certains 
représentants , sans doute les amis des délégués de 
Fémeute, vont au-devam de ceux-ci^ et, après une 
courte explication, obtiennent d'eux qu'ils se retirent. 



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LE ^0 JTJN 1702. 



113 



XVIIL 

Pendant que les pétitionnaires trop impatients 
sont reconduits dans la salle d* attente, disons un mot 
de ce qui s'était passé au dehors , depuis une heure 
ou deux que le rassemblement avait envahi les abords 
du Manège et que l'Assemblée délibérait avec une 
fiévreuse anxiété sur la conduite à tenir dans ces 
graves circonstances. 

Retenue au bas de T escalier qui conduisait à la 
salle des séances, la foule ii' avait pas cessé de s'ac- 
croître. Il lui était impossible de reculer, ceux qui 
arrivaient poussant toujours ceux qui étaient arrêtés. 
Par bonheur, il y avait, non loin de la cour des 
Feuillants, un assez vaste jardin dépendant d*un 
ancien couvent de capucins; il servit un instant de 
déversoir; mais, dès qu'il fut rempli, ceux qui sV 
étaient retirés, s'y trouvèrent bloqués; c'étaient 
principalement les gardes nationaux et les sans- 
culottes qui avaient amené le peuplier destiné à 
orner la terrasse des Feuillants. Ne sachant que faire 
en attendant le défilé, ils plantèrent l'arhre de la 
liberté et fêtèrent le Serment du Jeu de Paume dans 
le potager des capucins 

I. Roederer, Chronique des cinquante jours* 



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114 LË 20 JUIN nu2. 

Cependant le danger d'être étouffé devenait de 
p]us en plus imminent pour les premiers pétition- 
naires, qui sentaient monter derrière eux la marée 
populaire. Placés à la tète du rassemblement, au 
pied de Tescalier qui conduisait à la salle des séances, 
Santerre, Saint-Huruge, Alexandre et les autres 
chefs ne pouvaient rien empêcher, rien diriger. Pen- 
dant ce temps, des masses d^hommes, de femmes, 
d'enfants, armés et sans arnies, se presssdent dans 
rétroite cour du Manège, contre le mur par lequel 
elle était séparée de la terrasse des Feuillants* Une 
porte avait été pratiquée dans ce mur pour le service 
de r Assemblée; mais elle avait été fermée dés le 
matin et se trouvait gai dce par un détachement de la 
garde nationale, qu'avait fait avancer le chef de la 
quatrième légion, Mandat. La foule réclame à grands 
cris l'ouverture de cette porte. Trois ofliciers muni- 
cipaux (Roucher-René, Boucher Saint-Sauveur et 
Mouchet), qui se trouvaient alors sur la terrasse des 
Feuillants, accourent et annoncent, par le guichet, 
aux masses accumulées que, quoiqu'ils n'aient aucune 
puissance à Tintérieur du Château , ils vont recher- 
cher qui a donne la consigne et tâcher de la faire 
lever. Ils s'adressent d'abord au commandant du dé- 
tachement placé sur la terrasse ; celui-ci les renvoie 
au commandant général, lequel doit être auprès du 
roi. Us avaient fait quelques pas vers les Tuileries, 
lorsque, entendant redoubler les hurlements de la 
populace, ils se retournent et voient «|ue des canons 



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LK 20 JUIN 1792. 



115 



ODt été appiochés de la porte, et dirigés contre les 
citoyeDs qui la menacent. Sur leurs iostancest les ca- 
nons sont reculés de quelques pas, et Mouche! adjure 
la foule de prendre patience jusqu'à ce que lui et ses 
collègues aient obtenu l'ouverture de la porte qui la 
sépare de la terrasse et par conséqueut du jardin. 

Les trois municipaux, arrivés dans le Chftteau, se 
mettent à la recherche du commandant général, qu'ils 
ne trouvent nulle part, et parviennent jusqu'à la 
chambre à coucher du roi. Louis XVi les reçoit à 
l'instant même et leur demande quelle est la situa- 
tion de Paris. Mouchet dépeint les eiTorts inutilement 
faits pour arrêter les rassemblements des faubourgs^ 
expose combien il serait dangereux d'irriter la foule 
en braquant des canons sur elle« et conclut à ce qu'il 
plaise à Sa Majesté de donner les ordres nécessaires 
pour que le jardin des Tuileries , ouvert le matin et 
tout à coup fermé, soit, comme à l'ordinaire, livré 
au public, u car, ajoute-t-il, des citoyens qui mar- 
chent légalement ne peuvent qu'être offensés de se 
voir soupçonnés de mauvaises intentions. » 

c( Votre devoir , dit le roi , est de faire exécuter 
la loi. )) 

Mais, au lieu de se retirer sur cette réponse, les 

trois olïiciers municipaux insistent : 
« Si l'ordre que nous sollicitons d'ouvrir la porte, 

dit Mouche i, n'est pas donné, il est à craindre qu'elle 
ne soit forcée. 

— Si vous le jugez nécessaire, répond le roi, faites 



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116 



LK 20 J t JIS 1 7'J2. 



ouvi ii la porte des Feuillants, et qu'ils défilent le 
long de la terrasse pour ressortir par la cour des 
Ecuries. D'ailleurs, coticeriez-vous avec le comman- 
dant général de la garde nationale, et faites en sorte 
que la tranquillité publique ne soit pas troublée. 
Votre devoir est d'y veiller. » 

Sans plus s*inquiéter de trouver Tintrouvable com- 
mandant général, les trois municipaux courent porter 
Tordre royal au détachement qui arrête le peuple à la 
porte de la terrasse. Mais l'ordre était déjà mutile: 
la porte venait d'être forcée ^ Avait-elle été enfoncée ' 
avec une poutre*, ou simplement avait-elle cédé à 
la pression de la foule? C'est ce qui ne saurait être 
affirmé avec certitude. Quoi ([u il en soit, le fait 
qu'une première violence fut commise bien avant la 
sortie des pétitionnaires de l'Assemblée, fait nié ou 
passé sous silence par les historiens qui tiennent à 
faire considérer la journée du 20 juin comme une vé- 
ritable idylle en action, ce fait est incontestable. 

4. Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchot 
% Gomme on le dit à J.-J. Leroux qui errait dans les envi- 
rons. (Voir sa déclaration.) 



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LE 20 JUIN 1792 



117 



XIX. 



La majeure partie de la foule, celle qui avait ac- 
compagné rémeute par pure curiosité, désœuvrement 
ou môme entraînement, se répandit dans le jardin, 
heureuse de pouvoir se reposer de ses fatigues. Elle 
ne paraissait plus songer k entrer de gré ou de force 
soit chez les représentants du peuple, soit chez le 
roi, et rien n'eût été plus facile que d*empêcher 
le rassemblement, déjà presque dispersé, de se for- 
mer de nouveau. Mais cela ne faisait pas le compte 
des meneurs, et il fallait que la journée fût com- 
plète. Aussi lorsque, comme nous allons le voir, 
la tête de la colonne, restée dans la cour des Feuil- 
lants, reçut la permission de défiler devant l'Assem- 
blée, on fit battre le rappel par les tambours appar- 
tenant au bataillon des Quinze-Vingts ; toute la foule 
disséminée dans le jardin des Tuileries s*empressa de 
se rallier, et le deuxième acte de ce drame^ qui pou- 
vait se changer à tous moments en une effroyable 
tragédie, commença. 

L'Assemblée nationale ne savait rien de ce qui se 
passait au dehors. Elle se croyait toujours sous la 
pression de dix à quinze mille hommes armés. La 

7. 



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11» Lb 2U JUIIS 1792. 

brusque apparition des pétitionnaires avait répandu 
refTroi parmi un certain nombre de ses membres. 
Le président s'efforce de Texcuser en disant qu'elle a 
été la suite d'une erreur bien concevable au milieu 
d'une si grande agitation. « La députation ue s est 
point présentée d'elle-même, ajoute Lacroix; elle a 
été appelée par quelque huissier étourdi ; cela est si 
vrai que Ton a pu voir les citoyens se retirer aussitôt 
l'erreur reconnue ; TAssemblée doit doue décider 
tranquillement si les pétitionnaires seront admis et 
ensuite si le cortège qui les accompagne sera auto- 
risé à défiler. » 

L'Assemblée décrète que la députation sera reçue ; 
les citoyens précédemment éconduits sont ramenés; 
ils paraissent à la barre , et leur orateur, Huguenin, 
commence à lire la longue et furibonde harangue 
qui avait été préparée dans l'officine du faubourg 
Saint-Antoine. Au milieu d'un océan de phrases am- 
poulées et de réminiscences classiques, où le nom de 
Calillua reparaît à chaque instant, surnagent quel- 
ques phrases comme celle-ci : 

« Pourquoi faut-il que des hommes libres se voient 
réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains 
dans le sang des conspirateurs? I! n'est plus temps 
de le dissimuler ; la trame est découvei te, l'heure est 
arrivée, le sang coulera, et l'arbre de la liberté, que 
nous venons déplanter, fleurira en paix. \ n roi doit-il 
avoir d'autre volonté que celle de la loi? Le peuple 
veut aussi, et tète vaut bien autant que celle des 



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LE 20 JUIN 119 

despotes couronnés. Cette tête est Tarbre généalo- 
gique de la nation, et devant le chêne robuste le 
faible roseau doit plier. 

« Nous nous plai<j;nons essentiellement de Tinaction 
de nos armées, nous demandons que vous en péné- 
triez la cause; si elle dérive du pouvoir exécutif, 
qu'il soit anéanti ! Le sang des patriotes ne doit point 
couler pour satisfaire l'orgueil et Tambition du châ- 
teau perfide des Tuileries... 

<( Un seul homme ne doit point influencer la vo- 
lonté de vingt-cinq millions d'hommes. Si, par égard, 
nous le maintenons dans son poste, c'est à condi- 
tion qu'il le remplira constitutionnellement ; s'il s'en 
écarte, il n'est plus rien pour le peuple français.. « 

« Nous vous avons ouvert nos cœurs ulcérés depuis 
longtemps; nous espérons que le dernier cri que 
nous vous adressons se fera sentir aux vôtres. Le 
peuple est là; il attend dans le silence une réponse 
digne de sa souveraineté. 

« Cette pétition n*est pas seulement du faubourg 
Saint-Antoine, mais de toutes les sections de la capi- 
tale et des environs de Paris. 

<( Les pétitionnaires de cette adresse demandent à 
avoir l'honneur de défiler devant vous^ » 

1 . Monileur et Journal des Débats et Décrets. 



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120 



LE 20 JUIN 1792 



XX, 



Cette pétition, véritable déclcii atioii de guerre à la 
royauté, avait été fréquemment interrompue par les 
applaudissements du côté gauche et des tribunes; 
mais elle avait naturellement excité rindignation de 
tous les hommes d'ordre, qui n'avaient pu entendre 
sans frémir les sinistres prophéties des soi-disant 
délégués du faubourg Saint- Antoine. Dubayet ré- 
clame la parole aussitôt après que Torateur des péti- 
tionnaires a prononcé sa dernière phrase , lancé sa 
dernière menace. « Mais, s*écrie-t-on, le président 
va répondre; vous ne pouvez parler qu'après le pré* 
slclenl. — Je demande la parole avant, » réplique le 
hardi député. L'Assemblée la lui refuse, et Français 
(de Nantes) répond à la députation ces quelques 
phrases vagues et banales que Ton applaudit de part 
et d'autre, parce qu'elles n'ont pas de signification 
bien marquée : 

« Citoyens, l'Assemblée nationale et le peuple ne 
font qu'un ; nous voulons votre intérêt, votre bonheur, 
votre liberté, mais nous voulons aussi la constitution* 
S'il existe des conspirations, nous les déjouerons par 
la force de la loi. Nous vous invitons, au nom de la 



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LE '20 JUIN 1792. 



121 



patrie, à Tobéissance de la loi, qui est le signe le 
plus respecté par tous les peuples dignes de la liberté; 
nous vous invitons... 

(( Point d'invitation ! » crient plusieurs députés. 

« L'Assemblée nationale, reprend le président, 
verra toujours avec plaisir autour d'elle les citoyens 
de Paris, puisqu'elle est assurée de leurs sentiments 
patriotiques et qu elle sait qu'il n'y a jamais que les 
dangers de la patrie qui puissent exciter leurs in- 
quiétudes. Elle prendra en considération la pétition 
que vous venez de lui faire, et elle vous invite à sa 
séance. » 

Dubayet réclame de nouveau la parole contre la 

pétition, mais elle lui est refusée. Mathieu Dumas 
parvient, malgré le tumulte^ à faire entendre cette 
énergique protestation : « Pour l'acquit du serment 
du législateur et pour l'honneur de l'Assemblée na- 
tionale, je demande que la question préalable sur 
l'admission des citoyens soit mise aux voix. » 

Pendant que les pétitionnaires traversent la salle, 
au milieu des applaudissements des tribunes et de la 
gauche« le président met aux voix la question préa- 
lable. Elle est repoussée par la majorité, et l'Assera- 
blée décrète que les citoyens des faubourgs Saint- 
Antoine et Saint-Marcel seront aduiis à défiler devant 
elle : « Eh bien I je demande alors la question préa- 
lable, s'écrie Girardin, sur toutes les loisdii royaume! » 
Girardin avait bien raison. Jamais la violation des 
lois, le mépris et la haine de la royauté n'avsdent 



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m 20 JUIN 1 



encore été si ouvertement proclamés. L^Asseniblée, 
en admettant dans son sein ces insolents pétition- 
naires et leur escorte, ne donnait-elle pas à ces vio- 
lences de langage, qui devaient bientôt se traduire 
en des violences de fait, uue espèce de consécration 
légale? Dès lors les meneurs démagogiques surent à 
quoi s'en tenir sur la force de résistance que la ma- 
jorité opposerait à raccompUssement de leurs pro- 
jets; ils comprirent parfaiteineut, par ce premier 
succès, que la majorité était prête à reconnaître Tau- 
toritédu fait accompli, quel qu'il fût, pourvu qu on ne 
lui demandât de se prononcer qu'après l'événement. 

Mais, pendant que le rappel est battu dans la cour 
du Manège et aux abords de l'Assemblée pour réunir 
l'armée de l'émeute, dispersée dans le jardin des Tui- 
leries, d'autres députations, qui attendaient l'hon- 
neur d'être admises, se présentent à la barre. Leur 
langage fait une singulière diversion aux menaces 
qui viennent d'être écoutées si patiemment. Elles 
n*injurient pas le pouvoir exécutif, elles n'importunent 
point l'Assemblée nationale de déclamations furi- 
bondes; elles se contentent de jurer « l'amour delà 
patrie et des lois. » — a Ce que nous n'oublierons 
jamais, disent les délégués des deux premiers batail- 
lons de la Gironde, c est que les lois doivent toujours 
être présentes à notre mémoire et chères à nos cœurs ; 
c'est que la force armée est essentiellement obéis- 
sante. Nous n'oublierons jamais que, dans ua pays 
libre, tout citoyen, depuis le soldat jusqu'au général. 



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LË 20 JUIN 1702. 



m 



doit marcher droit à rennemî sans retourner la tète 

en arrière. »> 

a Assemblée a entendu avec plaisir l'expression 
de vos sentiments, répond le président. Elle y a 
surtout remarqué cette maxime : « La force armée 
« est essentiellement obéissante. >» Elle vous témoigne 
la satisfaction qu'elle a éprouvée en entendant ces 
saintes paroles. » 

Évidemment, cette réponse était à l'adresse des 
précédents pétitionnaires ; mais quelle honte pour la 
représentation nationale d'en être réduite à enve- 
lopper la réprobation de la violence dans un timide 
éloge donné a la modération I 



XXI. 



Silence ! le bruit des tambours et de la musique 

annonce l'arrivée de Féineute trioaipiiante ! la voilà 
qui envahit le sanctuaire de la loi ! 

A la tète du cortège marchent triomphalement 
Santerre et Saint-Uuruge. L'ex-marquis et le bras- 
seur, une fois entrés, se placent au pied de la tri- 
bune pour diriger le défilé. 

Derrière eux se presse une foule immensed^hommes, 
de femmes, et même d'enfants que leurs mères trat- 



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134 



LE 30 JUIN 1793. 



nent par la main. Les uns sont sans armes, d*autres 

brandissent des sabres, des piques, des haches, des 
faux, des besaiguës, des tranchets, des couteaux, 
des pointes de fer, jusqu'à des scies emmanchées au 
bout de longs bâtons. Quelques pelotons de garde na- 
tionale apparaissent de loin en loin, au milieu de 
cette multitude confuse, et ont Tair de sanctionner 
par leur présence cette étrange saturnale. 

La foule accompagne de la voix les musiciens qui 
jouent Tair du Ça ira; on entend sans cesse retentir 
ces cris : a Viyent les patriotes 1 A bas le vetol » On 
voit défiler les emblèmes les plus étranges et parfois 
les plus menaçants* Deux hommes portent au bout 
de leurs piques, l'un une vieille culotte, avec cette 
inscription : « Vivent les sans- culottes I » c'était 
rétendard de la misère parisienne ; Fautre un cœur 
de veau, tout sanglant, avec cette devise : « Cœur 
d'aristocrate 1 » c'était la déclaration brutalement 
claire des vœux d'un certain nombre d'émeu tiers. 
Mais divers membres de l'Assemblée engagent, dit le 
Moniteur^ l'individu qui porte ce dernier trophée à 
sortir de la salle. On avait, on le voit, de singuliers 
ménagements pour un misérable qu'on aurait dû 
chasser avec ignominie. 

Le défilé dure plus d'une lieure. Des danses pa** 
triotiques viennent, par instants, varier le spectacle 
offert par la populace parisienne aux députés de la 
France ; des orateurs improvisés veulent donner des 
échantillons de leur éloquence; mais Santerre, le 



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LE 20 JUIN 1702. 



m 



chef de la manifestation, qui sait bien que la visite à 
r Assemblée ne doit être que le prélude d*une autre 
visite , se hâte de mettre fin à ces incidents « en pro- 
nonçant, d'une voix reieuiissante : a En avant^ 
marche! » 

Le défilé terminé, le général des émeutiers re- 
mercie les représentants du peuple des marques d'a- 
mitié qu'ils ont données aux citoyens du iaubourg 
Saint-Antoine, et les prie d'accepter un drapeau en 
témoignag(î de leur reconnaissance-. Puis il court 
avec son inséparable acolyte, T ex-marquis de Saint- 
Huruge, rejoindre ses hommes sur la place du Car- 
rousel. 

L'Assemblée, croyant tout fini, lëve sa séance. Il 
était alors trois heures et demie. 



Entré par la porte des Feuillants, le cortège sortait 
par la cour du Manège; de cette cour longue et 
étroite, il pouvait regagner la rue Saint-Honoré; il 
pouvait aussi, nul obstacle ne lui étant opposé, fran- 
chir la porte qui, au bout de cette cour, communi- 
quait avec le jardin des Tuileries, longer la façade 
du Château, sortir par le grille du Pont-Royal et re- 



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m 



LE 20 JUIN 179'i. 



monter par les quais. Ce fut ce dernier itinéraire qu'il 
suivit. 

Qui le lui avait indiqué? Probablement l'infatigable 
Mouchet, que nous retrouvons encore ici, revêtu de 
son écharpe, haranguant ses amis les faubouriens, 
donnant des ordies à la garde nationale, dirigeant la 
marche de la manifestation , se multipliant pour se 
donner une ridicule importance 

Des bataillons de gardes nationaux étaient rangés 
le long de la façade des Tuileries; le cortège défilait 
devant eux. En passant sous les fenêtres royales, il 
faisait entendre ses cris ordinaires : « Vive la nation! 
Vivent les sans-culottes I A bas M. et M"""" Veto 1 » 
Quant aux gardes nationaux, suivant l'esprit qui ré- 
gnait dans les divers bataillons, ils donnaient à la 

1 . L'officier municipal Mouchet est un type qui mérite de 

nous arrêter un instant. Il joua dans toute la journée du 20 juin 
le rôle Ip phis actif; il y fut la véritable inoiiclie du coche. 
Au 10 août, on le voit encore jouer, à l'ilutel de Ville, un 
certain rôle , puis il disparaît de la scène politique. Il 
mourut en 4815, à Gray, sa patrie, dan.s la plus complète 
obscurité. C'était un petit homme, jeune encore (34 ans), 
qui était architecte - entrepreneur et capitaine des grena- 
diers du bataillon de TOratoire. (Voir VAlmanach royal de 

4792.) 

« Mouchet, dil llœderer, représentait exactement l'esprit et 
le caractère de la grande masse des bourgeois de Pans, qui 
redoutaient les fureurs populaires et encore plus les trahisons 
royales, et auraient voulu mesurer assez juste les soulèvements 
des prolétaires pour obliger Ja cour à plus de droiture et de 
fidélité. » {Chronique des cinquante jours,) 



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LK JUIN 179!!. 



manifestation leur adhésion bu leur blâme ; les uns 
avaient ôté leurs baïonnettes, d'auUes s y étaient 
refusés, quelques-uns avaient été jusqu'à rendre les 
honneurs militaires à cette fouie désordonnée. 

En ce moment, tout paraissait assez calme au*de- 
dans comme au dehors du Giiàteau; en voyant le 
cortège se diriger vers les quais, sans chercher à 
pénétrer dans les Tuileries, on seutait se dissiper les 
craintes que Ton avait conçues. Le roi , sa famille et 
tout leur entourage étaient complètement rassurés. 
Il en était de même des personnes qui, du jardin et 
des abords de TAssemblée, observaient la marche du 
rassemblement. 

Mais soudain la foule, au lieu de suivre le quai, se 
présenta devant le guichet du Carrousel, gardé par 
des détachements des bataillons du petit Saint- 
Antoine et des Petits-Pères. Dès le premier moment 
du défilé à travers l'Assemblée nationale, le com-* 
mandant du bataillon du Yal-de-Grâce , Saint-Prix, 
avait envoyé ses deux canons et ses artilleurs sur la 
place du Carrousel, et, comme cette pLoce ne faisait 
point partie de la demeure royale, ils y avaient été 

ad mis sans opposition. Ce fut peut-être à cause de 
leur introduction que le cortège, en sortant du jar*- 
din, trouva aux guichets cette étrange consigne : 
u Laisser entrer toutes les personnes armées,de quel- 
que manière qu'elles le soient, et ne pas admettre 
celles qui n'auraient pas d'armes. » iUais les hommes 
sans armes suivirent le flot des sans-culottes armés 



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LE iO JUIN 



et pénétrèrent avec eux dans le Carrousel, malgré 
la résistance des gardes nationaux. 

Rien n*eût été plus facile cependant que d'empê- 
cher la foule d'entrer au Carrousel, et de là dans le 
Château. Le commandant général avait en ce moment 
des forces considérables : dix bataillons dans le jar- 
din, deux autres sur la terrasse du bord de l'eau, 
quatre à la place Louis XV, cinq sur la place du 
Carrousel, et enfin, à Tintérieur des Tuileries, un 
bataillon, les deux gardes, montante et descendante, 
et cent gendarmes à cheval. Avec autant de troupes, 
et en les disposant convenablement, on pouvait sans 
peine garder toutes les avenues de la demeure 
royale et tenir fermées toutes les cours et toutes les 
portes. Mais Ramainvilliers resta, durant tout Pévé- 
nement, dans Tinaction la plus complète, donnant 
pour motif que le maire ayant permis, et le roi 
n'ayant pas refusé l'admission de vingt pétitionnaires, 
il n'avait pas pu prendre sur lui de proclamer la loi 
martiale contre leur escorte. De plus, prétendit-ii 
plus tard, une dizaine d'officiers municipaux, avec 
ou sans écharpe, se trouvaient dans le Château et 
donnaient des ordres avec ou sans Tagrément du 
roi; il ne lui appartenait pas d'élever avec eux un 
conflit d'attributions. 

m 

Quoi qu'il en fût, même après avoir forcé et la 
grille du jardin et les guichets du Louvre, la masse 
populaire semblait ne pas avoir conçu le dessein de 
violer le domicile du roi. Déjà, à travers la place du 



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L£ 20 JL1^ 1792. 



129 



Carrousel, elle atteignait la l'ue Saint-Nicaise« comme 
si elle devait s'y engager et regagner ses quartiers 
en remontant la rue Saint- Honoré. Le colonel 
Rulbière, qui était posté avec deux escadrons de la 
29" division de gendarnieric devant les Tuileries, 
faisant face à rhôtel de Longueviile, croyait si bien 
tout danger passé, qu'il descendit de cheval, permit 
à une partie de ses hommes d'en faire autant, et s'en 
alla avec un ami causer dans la cour royale , située à 
l'intérieur du Château ^ 

Mds voici que tout à coup le cortège s'arrête. La 
place du Carrousel, en 1792, était assez petite et 
fort encombrée de constructions. Elle ne tarde donc 
pas à se remplir, puisque personne n'en sort, et que 
toute la foule qui vient de défiler devant l'Assemblée 
y pénètre par les guichets du Carrousel et peu à peu 
s'y ent£^se. 

Bientôt , sous la pression des agitateurs , la masse 
populaire s'anime et pousse des cris confus qui ne 
tardent pas à se traduire par des ordres impérieux, 
par des sommations furibondes. 

Un groupe d'une quarantaine de sans-culottes se 
présente à la porte de la cour Royale : a Nous voulons 
entrer, disent-ils, et nous entrerons ; nous ne voulons 
point de mal au roi, et on ne saurait nous empêcher 
de pénétrer jusqu'à lui* » Fidèles à leur consigne, 

4. Rapports RamaiiiviJliers > Hulbière, Saint -Prix, Rœ- 
derer, etc. 



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130 



LE 20 JUIN 1793. 



les deux gendarmes placés en vedette croisent la 

baioanette sans répondre. Les émeutiers se retirent, 
non sans menacer les soldats, qui d'un couperet, qui 
d'un fusil ou d'une piquet Mais, peu après, les 
mêmes, ou d'autres à leur place, reviennent, deman- 
dant toujours à entrer. En raison de cette insistance, 
la porte qui était restée ouverte est fermée, ainsi que 
le guichet. 

L'anxiété est grande parmi les gardes nationaux et 
les gendarmes chargés de défendre le Château, a flous 
périrons plutôt que de les laisser entier, disent les 
uns. — Mais nous n'avons pas d'ordres, disent les 
autres, ni d'officiers pour nous commander*. » Plu- 
sieurs crient aux armes! et se rangent en colonne, 
à coté de la porter « Et nous, demande uu capitaine 
de gendarmerie au colonel RuUiière, qu'avons-nous 
à faire? — Je n'ai point d'ordres, réplique celui-ci, 
mais je crois que la troupe est là pour soutenir la 
garde nationale. » L^n lieutenant-colonel de gendar- 
merie. Carie, apercevant liamainvilliers, l'interroge 
sur ce qu'il devra faire des deux cents hommes qu'il 
commande* u 11 faut ôter les baïonnettes î — Pour- 
quoi , répond Carie , ne m'ordonne-t-on pas tout de 
suite de rendre mon épée et d oter ma culotte? » A 

1 . R.ipports de radjudaiit ^MaroUe el des fondai aiea Muiicaux 
et Foret. 

S. Déclaration Guiogorlot, lieutenaDl-coltitiei de la 30*" divi« 
sien de gendarmerie. 
3. Déclaration Guibout. 



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LE 20 JUIN 1792. 131 

cette réponse , le commandant général tomme le dos 

« 

et disparaît rapidement ^ 



XXllL 



Cependant la populace s* entassait aux abords de la 
porte Royale, frappait, hurlait: « Nous entrerons 
quand même I » Et Mouchet , Tofficier municipal que 

Ton retrouve toujours juste à la porte par où la foule 
va entrer, disait très-gravement aux soldats et gardes 

nationaux : « Après tout, le droit de pétition est 
sacré. » 

Le clief de la deuxième légion, Acloque , invite les 
otiiders municipaux présents à aller demander aux 
citoyens qui remplissent la place du Carrousel , de 
déléguer une vingtaine de personnes sans armes, s'ils 
ont à présenter une adresse au roi : ces vingt délè- 
gues, il promet de les conduire lui-même devant Sa 
Majesté , et déclare d'avance être s&r qu'ils seront 
bien reçus par Elle. En conséquence on ouvre le gui- 
chet. Les municipaux baranguent la foule : « Vous ne 
devez pas pénétrer en armes chez le roi , la cour du 

4. Rapports du capitaine Lassus, du lieutenant -colonel 
Garle» 



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LE 20.JUIN 1792. 



Château fait partie de son habitation... Le roi recevra 

votre pétition» mais dans les formes prescrites par la 
loi. Où sont vos vingt députés sans armes? qu*ils 
approchent et quiis entrent seuls! » Une trentaine 
d'individus se présentent; sans les compter, les offi- 
ciers municipaux les introduisent comme s ils étaient 
la députation demandée; et le guichet est aussitôt 
refermé par la gendat uierie 

Depuis le commencement du déûlé, les canonniers 
des quatre bataillons du faubourg Saint-Antoine et du 
faubourg Saint-Marcel étaient venus se ranger avec 
leurs pièces au fond du Carrousel devant l'hôtel de 
Longueviile. Saint- Prix, au sortir de TAssembiée, où 
le bataillon du Val-de-6rftce l'avait entraîné de force, 
veut rallier ses liuuimes et leur fait faire halte sur le 
quai. Il expédie à ses artilleurs Tordre de quitter le 
Carrousel et de lui ramener ses pièces, mais les ca- 
nonniers refusent d obéhr. Le commandant en second, 
Leclerc, accourt et réitère la même injonction : 
nouveau refus. Bien plus, le bataillon lui-même, 
chargeant ses armes malgré les ordies contraires, 
entraine son chef sur la place du Carrousel et prend 
position auprès des canons. Saint-Prix essaye encore 
d'apaiser sa U'oupe en pleine rébellion^ il ordonne 
au lieutenant des canonniers de porter les pièces en 
avant et de marcher dans la direction des Gobeiins. 
« Non ! s*écrie Tofficier, nous ne partirons point ; 

4 . Rapporte Acloque, Boucher«René, Lassus. 



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LE 20 JUIN. 1702. 



i;i3 



nous ne sommes pas venus ici pour rien ; le Carrousel 
est forcé» il faut que le Château le soit. Voilà la pre* 
mièie fois que les canonniers du Val-de-(ii'ùce mar- 
chent; ce ne sont point des j... f..«; et nous al- 
lons voir!... Allons! à moi, canonniers... droit à 
Vemiemi^l » £t canonniers, gardes nationaux, popu- 
lace , tout s'ébranle dans la direction des Tuileries. 

A l'instant même où les masses vont commencer 
le siège de la porte Royale, contre laquelle les canons 
des faubourgs sont braqués, on entend un cii qui 
part de Tintérieur de la cour : « Ne tirez pas, on 
ouvre î » Aussitôt, en effet, les deux battants de la 
porte roulent sur leurs gonds et livrent passage à la 
fouk qui se précipite avec furie dans la cour Royale-. 
Mais un dernier obstacle peut arrêter le torrent, une 
grille se trouve à l'extrémité de la cour, sous la voûte 
qui conduit au grand escalier ; les chefs de légion 
Acloque, Mandat, Pinon, le commandant de bataillon 
Vanotte s'efforcent de fermer cette grille; ils appellent 

4. Rapport Saint-Prix. 

2. Qui avait donné Tordre d'ouvrir? Personne, après Févé- 
nement, ne voulut en assumer sur lui la responsabilité. Qui 
avait ouvert? Il est certain que ce furent des gardes nationaux, 
se trouvant dans l'intérieur de la cour, qui levèrent les bascules 
des deux battants de la ()uii(v, mais quels étaient-ils? le firent- 
ils de leur cliel ou sur uu oidre verbal? C'est ce que porsourie 
ne put dire. L'intendant de la liste civile, Laporte, qui interro- 
gea tous les concierges du Gbàteau, fait remarquer dans son 
rapport qu*il n'y eut de forcée (}ue la porte Royale; celle de la 
cour des Suisses et de la cour des Princes restèrent fermées jus- 
qu'au soir et ne iervirent qu'à récoulemenl de la foule 

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LE 20 JUIN i192. 



à leur aide les canonniers et les chasseurs qui font 

partie de la garde montante, arrivée depuis quelques 
heures et répandue dans la cour; mais ceux-ci re- 
fusent d'écouter la voix de leurs chefs. 

a Étes-vous sûrs, s'écrie Pinon, qu'il ne se mê- 
lera point, pariiu ceux qui se présentent, des hommes 
capables d'attenter à la vie du roi? — U vaut mieux, 
lui répond-on, qu'un seul homme soit tué que nous. 
— . Vous vouiez doue nous faire égorger? n crient les 
canonniers en empêchant leurs officiers d'opposer ce 
dernier obstacle à la foule. 

L'irruption est si violente qu'un des canons du 
bataillon du Val-de~Grâce est transporté à bras jusque 
dans la troisième pièce du Château, dans la salle des 
Suisses: mais là il s'embarrasse dans la porte et em- 
pêche ceux qui suivent de pénétrer plus avant. Cet 
incident ne fait qu'enflammer la fureur du peuple, 
parmi lequel le bruit se répand qu'on a trouvé une 
bouche à feu prête à le mitrailler. Tout s'explique 
bientôt, grâce aux municipaux Boucher -Kené et 
Mouchet, qui adressent des reproches aux canonniers 
sur leur excès de zèle, font dégager la porte à coups 
de hache et descendre le canon au pied de l'escalier. 
U y resta jusqu'au iiioaient de l'évacuation du pa- 
lais ^ 

Traitant les Tuileries comme une ville emportée 
d*assaut» renversant tout ce qui s'oppose à son pas-^ 

i . Rapport SaiDk-Pri&. Rapport Moucbel. 



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LK 20 JUIN 1792. 



135 



sage, la tourbe envabissaote pénètre jusqu'à la salle 
de rOEil-de-Bœuf , dont les portes sont fermées et 
dont elle réclame l'entrée à grands cris. 



XXIY. 



Dans cette salle se trouvaient le roi, trois de ses 
ministres, Beaulieu, Lajard et Terrier, le maréchal 
de Houchy, deux officiers de gendarmerie, un ou 
deux chevaliers de Samt-Louis, le chef de légion 
Lacbesnaye, et enfin plusieurs simples volontaires 
de la garde nationale. Fontaine, Gossé, Bidault, Le- 
erosnier, Guibout. 

Madame Élisabeth, qui n'a point quitté son frère, 
écoute en frémissant les bruits terribles par lesquels 
s'aiiiionce l'invasion populaire, et, tout en laiiiies, 
adjure les gardes nationaux de défendre le roi. 

lin ce moment on frappe à une autre porte que 
celle derrière laquelle hurle la populace. Est-ce en- 
core V ennemi? Non, c'est Acloque et l'adjudant Boivin 
qui, par les escaliers intérieurs, accourent, avec un 
renfort de gardes nationaux, protéger le roi ou mourir 
avec lui. lis se nomment; on leur ouvre. Acloque se 
précipite vers le monarque , le saisit à bras-le-corps 
et, le suppliant de se montrer au peuple, lui jure 



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LK 20 JUIN 179*2. 



de périr plutôt que de lui voir subir la moindre 
insulte. 

Ls( porte, qui seule sépare Louis XVI des envahis- 
seurs, est de plus en plus violemment ébranlée par 
des coups de hache et de crosses de fastl. Cn des 
panneaux tombe. Des piques, des bâtons, des baïon- 
nettes menacent les poitrines des braves grenadiers 
qui se sont précipités devant le souverain. — « Sire, 
s'écrie Tun d'eux, n'ayez pas peur ! — Non, réplique 
le mouarque, liéroïque en ce moment, non, je n'ai 
pas peur; mettez la main sur mon cœur, il est pur« » 
Et, saisissant la main du garde national il Tappuie 
avec force contre sa poitrine. Puis, décidé à suivre le 
conseil que lui a donné Acloque, il commande de 
laisser entrer le peuple. Le chasseur Fontaine tire le 
verrou d'en bas, un Suisse celui d'en haut, et, aussi- 
tôt la porte ouverte, vingt ou trente individus en- 
trent en courant. « Citoyens, leur crie Acloque, 
reconnaissez votre roi, respectez-le, la loi vous 
l'ordonne; je périrai, nous périrons tous, plutôt que 
de laisser porter la moindre atteinte à son inviola- 
bUité » 

A ces mots prononcés d'une voix ferme, l'invasion 
populaire s'arrête durant quelques secondes; on pro- 
fite de cet instant de répit pour conduire le roi dans 
l'embrasure d'une croisée, sur la banquette de la- 

4. Déclarations Fontaine et Lachesnaye. — Rapport Ac- 
loque. 



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LE 20 JUIN i70S, 



quelle il monter La foule avance et bientôt remplit 

la grande salle de rukiil-de-Bœuf, qui lui a été 
presque tout entière abandonnée : « Que voulez-vous, 
dit Louis XVI, avec un calme admirable? Je suis 
votre roi. Je ne me suis jamais écarté de la consti- 
tution. )) 

Mais sa voix se perd au milieu des hurlements. De 

toutes parts éclaieut les cris de : a A ban monsieur 
Vetol au diable le Veto! » proférés avec d'inju- 
rieuses menaces par des individus armés de fusils et 
de pistolets ^ Acliaque instant, de Tlmmeuse cohue 
s'élèvent de brutales injonctions : « Le rappel des 
ministres patriotes, il faut quil le signe! nous ne 
sortirons point qu'il ne Tait fait 1 » 

La grande salie présente le spectacle d'un océan 

4. Acioque, dans son rapport, dit qu'il ne fut pas possible 
de déterminer* M*"* Élisabeth à quitter son frère, et qu'elle se 
plaça dans l'embrasure d'une autre croisée. Ce fut sans doute 

à ce moment que cette angélique princesse dit à un serviteur 
lidèlo, en entendant quelques individus qui la prenaient pour 
la reine, contre laquelle toutes les haines avaient été ameutées 
depuis si longtemps : a Ah I ne les détrompez pasi » {Mémoires 
de Madame Campan. ) 

t. Déclaration Bidault* — Les gardes nationaux écartèrent 
à plusieurs reprises de la personne du roi un Individu qui, 
des premiers entrés, était armé d'une lame d'épée rouillée et 
8*était mis en posture de foncer sur Louis XVI; d'autres mi- 
sérables, tenant en maiii des pistolets, des sabres, trahissaient, 
par ia violence de leurs propos, des intentions perverses. Parmi 
eux se trouvait un certain Soudin, bien connu pour avoir, en 
47S9 , promené dans Paris les tètes de Foulon et de Bertiiier à 
]a pointe d'une pique. (Déclarations Lecrosnier et Guibout.) 

S. 



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138 



hU 20 JUIN 



de tètes, de bras, de piques , de sabres, qui semble 
agité par un flux et un reflux perpétuel et au-dessus 
duquel surnagent les horribles trophées déjà prome- 
nés à travers VAssembiée nationale 

Plusieurs historiens, pour contredire les allégations 
peut-être exagérées des ultra -royalistes, de Peltier 
et autres , se sont laissé entraîner éux-mèmes à d'é- 
ti anges appréciations en sens contraire. En dépit des 
faits dont sont remplis les procès -verbaux authen- 
tiques, ces écrivains ne craignent pas de déclarer 
que H jamais dispositions plus inoflensives ne se pro- 
duisirent au sein d'un plus bizarre désordre*; » que 
si quelques individus, pai* exception, eurent Tair 
d'en vouloir aux jours du roi, cela seul qu'ils ne le 
tuèrent pas prouve que personne n'en eut la pensée. 
« La chose eût été bien facile, dit M. Michelet' : le 
roi avait peu de monde autour de lui, et plusieurs 
des assaillants, ayant des pistolets, pouvaient l'at- 
teindre à distance. » 

Que les masses , entraînées par quelques meneurs 
dans l'inviolable domicile de Louis XVI, y fussent 
entrées sans intentions perverses; que nombre de 
ces femmes, de ces enfants, de ces désœuvrés qui 
n'étaient venus que par curiosité, ne se doutassent 

4. On revit môme, dans la salle de l'Œil-de-Bceuf, le cœur 
de veau planté sur une fourche avec rinscription : « Cœur 
d'aristocrate. » (Déclaration Guibout.) 

%. Louis Blanc, t. Vf, p. 434. 

3, HUiùire de la BévoliUion, t. III, p. 485. 



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LE 20 JUIN 1792. 139 

pas qu'ils commettaient un attentat national en ou- 
trageant le monarque chez lui : oui, cela nous semble 
incontestable. Mais ce qui ne Test pas moins, c'est 
que certains misérables qui se trouvaient dans la 
foUlc n'auraient pas demaudè mieux que de devancer 
l'œuvre à jamais détestable qui s^accomplit le 21 jan- 
vier ; c'est que le régicide fut rendu impossible uni- 
quement par le courage du roi et de ceux qui Ten- 
touraient. Les assassins ont les mêmes instincts que 
certaines bétes féroces ; ils n'osent attaquer qui les 
regarde en face et ne se ruent que sur ceux qui s'a- 
bandonnent eux-mêmes. 



XX Y. 



La grande salle de l'OEil-de-Bœuf est depuis près 
d'une heure le théâtre d'un tumulte ioexprîmable. 
Personne, ni les olliciers supérieurs ([nï entourent le 
roi, ni l'officier municipal Mouchet, accouru, dit-il 
dans son rapport, « pour maintenir la décence, » per- 
sonne n'est parvenu à se faire écouter; seul, le bou- 
cher Legendre obtient un moment de silence lorsqu'il 
apostrophe ainsi le roi : u Monsieur I... » Et comme 
Louis XVI, stupéfait de la manière inusitée dont il 
est interpellé, fait un geste ; « Oui, monsieur, re- 



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ilO 



LE 20 JUhN 1792. 



prend Legendre, écoutez -nous, vous êtes fait pour 
nous écouter* Vous êtes un perfide ; vous nous avez 
toujours trompés ; vous nous trompez encore, mais 
prenez garde à vous; la mesure est à son comble et 
le peuple est las d'être votre jouet I » Pois le tribun 
subalterne se met à lire ujae espèce de pétition bour- 
rée d'accusations, de mensonges, de menaces, écrite 
et débitée naturellement au nom du peuple. Le mo- 
narque, avec un calme admirable, répond : « Je ferai 
ce que la constitution et les décrets m'ordonnent de 
faire. » Cette déclaration ferme et digne excite de 
nouveaux hurlements : « A bas le roi! le rappel des 
ministres* la loi contre les prêtres, la loi pour le 
camp des vingt mille ! au diable le Veto! » Mouchet, 
Tinfatigable et inévitable Mouchet, veut parler; il est 
parvenu jusqu'à l'embrasure de la fenêtre où se 
trouve Louis XVI. Hissé sur les épaules de deux ci- 
toyens, il invoque son titre d'officier municipal, 
mais son écharpe est aussi peu respectée que son 
éloquence. 

Un homme portait un bonnet rouge au bout d'une 
perche » il l'abaisse dans la direction du roi comme 
pour le lui présenter; Louis XVI fait un signe que 
Mouchet croit comprendre; celui-ci saisit le bonnet 
et le passe au malheureux monarque qui s*en coiiTe 
aussitôt. À cet étrange spectacle, la foule éclate en 
applaudissements; elle crie : « Vive la nation I vive 
la liberté! » et même : « Vive le roi! » Mais cette 
dernière acclamation ne sortit pas de toutes les bou- 



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LE iO JUIN 179^. 



111 



ches, comme Taffirme Mouchet dans son rapport. Il 
est vrai que Toliicier municipal Patris a prétendu 
plus tard que, dans le cas où le roi n'aurait pas avancé 
la main pour saisir le bonnet rouge, on n'aurait point 
exigé de lui qu'il le mit sur sa tète. Mais ceci n'est 
rien moins i[ue certain ; car, s'il faut en croire un 
autre témoin, le brave grenadier Bidault, placé à côté 
de Sa Majesté durant la scène, on entendait sortir de 
la foule des paroles qui indiquaient assez jusqu'où la 
violence aurait pu être poussée: « Il a bien fait, 
f.....! de le mettre, car nous aurions vu ce qu*il en 

serait arrivé...; et, f î s'il ne sanctionne pas les 

décrets sur les prêtres réfractaires et sur le camp 
des vingt mille hommes, nous reviendrons tous les 
jours, et c'est par là que nous le lasserons et que 
nous saurons nous faire craindre ^ » 

line feninie attire les regards du roi en agitant une 
épée entourée de fleurs et surmontée d'une cocarde. 
Mouchet fait signe a la femme, et Tépée lleurie passe 
entre les mains du monarque qui la brandit aux cris 
enthousiastes, poussés par la foule, de : « Vive la na- 
tion 1 » Louis XVI lui-même répète ce cri; il assure 
qu'il veut sincèrement le bonheur du peuple et pro- 
teste de son attachement inviolable à la constitution* 
En vain de tous côtés réclame-t-on de nouveau le 
retrait du veto, le rappel des ministres j^atriotes; le 
monarque reste muet sur ces deux points. Si vraiment 

4 . Déclarations Bidault, Mouchet, Patris. 



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LE W JUIN 1702. 



on voulait, comme dit M. Micbelet^ 1* épouvanter ^ le 
convertir par la terreur, on n*y réussit pas; ferme 
dans sa dignité d'homme comme dans sa foi de roi , 
le petit-fils de Henri IV et de Louis XIV, en ne cé- 
dant point le 20 juin , s'est acquis à l'admiration de 
rhistoii e un titre qui ne pourra jamais lui être loya- 
lement contesté. 

Cepeudaat, le souverain n'accordant pas à la po- 
pulace ce que les meneurs lui faisaient demander, la 
situation devenait insoluble-, les cris succédaient aux 
cris, les menaces aux menaces, la foule à la fouie. 
Mouchet propose au roi de sortir sur la terrasse, afin 
de parler au peuple et d*étre mieux entendu; un 
autre municipal, Ha, l'engage à passer dans la pièce 
voisine; Louis XYI ré[)ond : « Je suis bien ici, je veux 
rester. » Sans doute il ne se fiait ni à l'un ni à l'autre 
de ces municipaux trop suspects de jacobinisme. 

Malgré l'ouverture de la galerie, la chaleur était 
excessive. Un garde national, auquel une bouteille 
de vin et un verre avaient été passés de main en 
main par ses amis, s'aperçoit que le visage du roi 
est ruisselant de sueur*. 

« Sire, lui dit-il, vous devez avoir bien soif, car 
moi je meurs... Si j'osais vous oifrir... Ne craignez 
rien, je suis un honnête homme, et, pour que vous 
buviez sans crainte, je boirai le premier, si vous le 
permettez. 

I . Histoire de la Révolution, t. III, p. 485. 
9. Rapports UTouchet, Hu, J.^. Leroux. 



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L£ %i> JUIN i7U2 



m 



— Oui, mon ami, je boirai daas votre verre, » 
répond Louis XVI, et, aux applaudissements de la 
foule, il s écrie : « Peuple de Paris, je bois à la sanlé 
et à celle de la nation française ^ 1 » 

Au même moiiient plusieurs députés, qui avaient 
appris la violation du domicile royal, entraient pré- 
ci|jiiaii)ment aux Tuileries. Ils n'avaient et ue })ou- 
vaient avoir aucune mission officielle , puisque T As- 
semblée n'avait |)as cru utile d'adopter la proposition 
que Vergniaud lui avait faite quelques heures aupa- 
ravant d'envoyer auprès du roi une députation per- 
manente de soixante membres. Se jetant à travers la 
foule qui encombrait les escaliers et les appartements, 
ils ont la peine la plus grande à se faire reconnaître, 
écouter, respecter. Enfin les voici, après mille efforts, 
parvenus à la porte de la salle de l'OEil-de-Bœuf. 
Vergniaud, Isnard, deux des membres les plus popu* 
laires du côté gauche, s'y frayent un passage. Da- 
verhottlt, Blanc-Gilly, deux membres de la droite, 
les accompagnent. Daverhoult, ami particulier de 
La Fayette, écarte les émeutiers les plus rapprochés 
de Louis \VI en s' écriant: « Vous ir approcherez du 
roi qu en passant sur mon cadavre ^ I » Isnai*d, sou- 
levé par quelques gardes nationaux de manière à 
dommer la foule, la conjure de se retirer; mais on 

4. Lettre fJe Blanc-Oilly au département des fiouches-du-^ 
Rhône. 

t. Uécit de Daverhoult a l'Assemblée, Journal des Débats et 
Décrets, n° 269, p. 295. 



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144 



LE 20 JUIN 1792. 



rinterrompt, on veut auparavant obtenir la levée du 
veto, le rappel des ministres. « Si ce que vous de- 
mandez vous était accordé en ce niuineat, dit-il, ce 
ne serait plus un acte de liberté.*. Retirez-vous donc 
au nom de la loi et de l'Assemblée nationale, sur 
laquelle vous pouvez vous reposer du soin de faire 
tout ce qui sera convenable. » Mais le tumulte redou- 
blant : u Citoyens, répète-t-il, je suis Isnaid, député 
à r Assemblée nationale ; je vous invite à vous retirer 
et je vous réponds sur ma tête que vous aurez satis- 
faction ^ » 



XXVI. 

* 

Que faisait T Assemblée au nom de laquelle isnard 
venait ainsi de parler? On se le rappelle^ elle avait 
levé sa séance aussitôt après le délilé populaire; 
mais en sortant du Manège, bon nombi*e de députés 
s'étaient aperçus du Uuabie qui se produisait autour 
des Tuileries et étaient successivement rentrés dans 
la salle des séanceis. A cinq heures environ, un des 
anciens présidents, Guyton-Morveau, monte au fau^ 
teuil et fait ouvrir les portes des tribunes. 

1. Déclaration Fontaine. 



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LK 20 JUIN lît>2. 



Déjà le rapporteur du comité des finances avait 

entamé la lecture d'un décret, lorsqu'il est brus- 
quement interrompu par Begnault-Beaucaron qui 

s'écrie : 

u J'apprends que les jours du roi sont en Ranger; 
je demande que l'Assemblée se transporte en corps 
auprès de lui pour sauver sa personne. »> 

(( L'objet est pressant, ajoute Hébert (de Seine-et- 
Marne), il n'y a pas à délibérer. — Ah bah ! lui répli- 
que-t-on à gauche. — Le roi ne peut être en danger 
au milieu du peuple, dit Tliuriot. — Mais, répuud 
fieugnot, ce n*est pas le peuple qui est chez le roi, 
ce sont des brigands. — C'est le peuple, c'est le 
peuple, » maintiennent les députés ultra-révolution- 
naires. Au milieu des murmures, Thuriot lance cette 
pai'oie contre ceux qui défendent la majesté royale 
outragée : « Le roi n'a qu'à se bien conduire, et le 
peuple ne se portera pas chez lui I Je demande le 
rappel à l'ordre de tous ceux qui se permettraient 
d accuser le peuple! — Motion d'un factieux qui 
voit le peuple dans des brigands, » s'écrie avec in- 
diguation un député de la droite, Brunck. 

Le tumulte finit pourtant par s'apaiser, et l'As- 
semblée, prescjue unanimement, décrète qu'une dé- 
putation de vingt-quatre membres sera sur-le-champ 
envoyée aux Tuileries. 

Girardin, qui vient de prendre le fauteuil, provi- 
soirement occupé par Guyton-Morveau, en désigne 
les membres, et ceux-ci courent remplir leur mission, 

9 



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LË 20 JUIN 1792. 



A peiae soat-ils sortis, que Dumas» qui arrive du 

Château , annonce que le roi court un danger immi- 
nent. La gauciie interrompt avec violeuce, s* écriant 
par Torgane de Gharlier : « Le roi ne court aucun 
danger» il est au milieu du peuple! » et par la voix 
do capucin Chabot : « A l'ordre le député qui a ca- 
lomnié le peuple ! » Dumas n en développe pas moins 
sa pensée. Il lui parait indispensable que le com- 
mandant général de la garde nationale soit mandé à 
la barre, et que, par son entremise, les ordres néces- 
saires soient donnés pour la sûreté du roi. — On 
' murmure* — Dumas s'en irrite à bon droit, et avec 
une généreuse vivacité il dépeint le uiste spectacle 
doot il a été témoin : « Le roi assailli, menacé, avili 
par le signe d'une faction, le roi couvert du bonnet 
rouge I » La droite applaudit son courageux repré- 
sentant, mais la gauche crie : « A bas! à bas ! » et les 
tribunes se joignent à elle pour accabler Torateur de 
furibondes invectives. Adam, Baert et plusieurs 
autres interpellent le président, lui dénoncent « à lui, 
et par lui à la France entière, » les ennemis de la 
constitution. D'autres membres de la droite s'écrient : 
« Que diront les départements quand ils sauront que 
le chef, le souveidin iiivebii de la majesté nationale, 
a été à ce point avili? — Avili! répliquent les Mon- 
tagnards aux applaudissements frénétiques des tri- 
bunes ; le bonnet de la liberté n'est pas avilissant 1 » 
Demeuré ferme à la tribune , Dumas achève ainsi 
son didcours : u Mon unique objet était de demander 



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LE 'iO lUlN I79'i. 



147 



que l'on prit les précautions nécessaires... J'en de- 
mande pardon à mes collègues, mais celui que TAs- 
semblée nationale chargea de répondre à la nation 
de la sûreté de la famille royale, au 21 juin 1791, lui 
paraîtra sans doute excusable de se montrer si af- 
fecté de ses dangers au mois de juin 1792. » 

Thunotf Lasource et plusieurs autres députés ré* 
clament à la fois la parole. Mais elle est accordée à 
Turgan qui vient rendre compte de l'état déplorable 
dans lequel il a laissé les Tuileries. Charlier demande 
que vingt-quatre membres soient ajoutés à la pre- 
mière députation. Lacroix renchérit sur cette motion; 
il propose que toutes les demi-heures une nouvelle 
députSttion soit envoyée au Château, afin que« celle* 
ci relevant celle-là, l'Assemblée soit sans cesse in- 
struite du véritable état des choses. Cette proposition 
est sur-le-champ décrétée et mise à exécution. 



XXVII. 



Cependant la foule grossissait à chaque instant 

dans le Château et autour du Château. 

Paris ne s'était pas beaucoup ému le matin, durant 
le défilé du cortège; il était resté généralement tran- 
quille. Mais l'envahissement des Tuileries avait été 



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148 



LE 20 JUIN 1793 



bientôt connu de proche en proche, toat le monde 

voulait voir, tout le monde accourait. Le Carrousel, 
les cours, le jardin, les rues adjacentes regorgeaient 
d'une population immense, qui en était encore à savoir 
ce qui se passait dans Fintérieur des appartements^ 

Le désordre durait depuis deux heures, lorsque 
enfin on vit apparaître le maire de Paris. Depuis qu'il 
avait, à onze heures du matin, fait adopter le fameux 
arrêté du corps municipal légalisant le rassemble- 
ment, Pétion était devenu invisible. Retiré d'abord 
avec quelques confidents intimes dans une des salles 
de l'Hôtel de Ville et plus tard à l'hôtel de la mairie 
(aujourd'hui la prélecture de police)^ il n'avait plus 
donné aucun ordre. 

Vainement le directoire du département lui avait-il 
écrit pour avoir des nouvelles et réclamer l'envoi 
dans son sein d'un oiricier municipal; vainement di- 
vers membres du conseil général de la commune 
s'étaient-ils officieusement réunis à l'Hôlel de Ville et 
lui avaient-ils demandé des instructions. Le premier 
ma^strat de Faris n'avsût pas pu se décider, avant 

4. Là se trouvait perdu dans ia foule un homme qui devait, 
quelques années plus tard, recevoir, avec une pompe jusqu'alors 
inconnue, tous les rois de l'Europe dans ce palais en ce mo- 
ment livré à la plus hideuse populace ; un jeune officier d'ar- 
tillerie, le capitaine Bonaparte, qui se promenait avec indiffé- 
rence, bras cl( ssiis, bras dessous, avec deux an)is, s'indignait 
do la longanimité du monarque et ne demandait (juc quelques 
pièces de canon pour balayer toute retfe rnnaille. ^Voir les 
Mémoires de Bourrie/me et le Mémorial de Sainie-Hèlène* ) 



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LE 20 JUIN 119^. 



140 



cinq heures, à sortir de rimmobilité qu'il avait jus- 
qu'alors gardée; — sorte de complicité uonchalante 
qui admet les dénégations et permet les mensonges. 

Ënfin, sur les avis réitérés qu il reçoit du Château, 
Pétion comprend qu'il ne lui est pas possible de rester 
plus longtemps sans agir ou avoir l'air d'agir, il fait 
donc atteler sa voiture, quitte son dtner inachevé, 
prend avec lui Tadministrateur de police, Sergent, 
et le secrétaire de la mairie, Joseau, et arrive aux 
Tuileries à travers des embarras innombi ables. Des- 
cendus de voiture dans la cour des Princes, Pétion et 
Sergent ceignent leurs écharpes et s'avancent à tra- 
vers la fouie qui s'écarte sans trop de diilicultés, car 
les populaires magistrats savent payer leur passage 
par plus d'une flatteuse harangue. Quand Pétion 
engage les citoyens à conserver la dignité qui con- 
vient aux hommes libres, on l'applaudit avec frénésie, 
Gonjure-t-il le peuple de « prendre garde aux mal- 
veillants qui pourraient se glisser dans son sein et 
l'exciter à quelque désordre, afin de le calomnier, 
lui et ses magistrats, » on l'applaudit encore, mais 
moins généralement; insinue-t-il qu'il serait temps 
de se retirer avec ordre, on ne l'écoute plus. En 
marchant, les ofiiciers municipaux ne font qu'ac* 
croître l'encombrement contre lequel ils luttent ; car 
ils ouvrent eux-mêmes une voie nouvelle au torrent, 
sans cesse grossi par la curiosité. Chacun se dit que 
le maire est là, se demande ce qu il va advenir de sa 
présence» et veut voir. 



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Arrivés enfin dans la salle de TOEil-de-BcBuf, Pé- 

tioa et Sergent aperçoivent le roi entouré de plusieurs 
officiers municipaux en écharpe, Patris, Vigner, 
Champion ; de représentants du peuple, Vergniaud, 
Isnard; d'officiers de la garde nationale et de chefs 
de légion, Acloque et Lachesnaye. Louis XVI est tou- 
jours coiffé du bonnet rouge. A la vue de cet ignoble 
spectacle, lo maire de Paris, loin de s'indigner, ad- 
mire avec une stupéfiante béatitude le roi des Fran- 
çais « couronné du signe de la liberté. » 

Et majestueusement, au milieu des cris enthou- 
siastes de « Vive Pétion I » il pénètre enfin jusqu'aux 
côtés du roi. 

« Sire , lui dit-il , je viens d'apprendre à Tinstant 
la situation dans laquelle vous étiez... 

— Gela est bien étonnant , interrompt brusque- 
ment le monarque indigné, car il y a deux heures que 

« 

cela dure. 

— Sire , reprend le maire , j'ignorais vraiment qu'il 
y eût des troubles au Château ; dès que j'en ai été 
instruit, je me suis rendu auprès de votre personne; 
mais vous n'avez rien à craindre, car le peuple veut 
la respecter; nous en répondons. 

— Je ne crains rien, réplique le souverain outragé, 
on peut le remarquer; d'ailleurs je n'ai couru aucun 
danger, puisque j'étais entomé de la garde natio- 
nale ^.1» 

1. Rapports Moucbet, Sergent. ^ Exposé de la conduite 
tenue pur le maire. ^ Déclaration Fontaine. 



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LE 20 JUiPi 1792 



151 



Pétion essaye d'engager les citoyens à se retirer. . 
mais il le fait si froidement ^ que nul ne bouge« On 
crie de nouveau : « Rappelez les ministres, levez le 
vetol )> Un grand jeune homme blond parvient près 
du roi, et lui tient cet étrange discours : 

u Sire, vous n^êtes point accoutumé à entendre la 
vérité; je vus vous la dire au nom du peuple... Au 
nom de cent mille âmes qui m'entoureut, je vous le 
dis : si vous ne sanctionnez pas les décrets de l'As- 
semblée , si vous ne rappelez- pas les ministres pa- 
triotes que vous avez renvoyés, si vous ne marchez 
pas la constitution à la main , nous vous ferons des- 
cendre du trône ; le règne des tyrans est passé... La 
sanction des décrets, leur exécution, ou vous pé- 
rirez! » 

Pértion n'a pas imposé silence au jeune forcené ; il 
l'a laissé parler sans l'interrompre. Indigné , le mu- 
nicipal Champion se tourne vers le maire et lui dite 
u Mais ordonnez donc , au nom de la loi , au peuple 
de sortir... Un grand danger nous menace, il faut 
parler} » Le maire hésite encore, et c'est le roi qui 
répond pour lui au jeune homme : « Vous vous écar- 
tez de la loi; adressez -vous aux magistrats du 
peuple. » 

(lliani|)ion, de plus en plus effrayé des dispositions 
hostiles de la ïoule, se tourne vers Pétion et lui 

crie : « Monsieur le maire , vous êtes responsable de 

\, Rapport ChampioD. 



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Li. iU JUhN 1792. 



tout ce qui peut advenir. » Mais les autres iriuui- 
cipaux. Sergent, Vigner, Patris, reprochent à leur 
collègue sa trop grande vivacité; et Tacolyte de 
PétioQ, le secrétaire Joseau, lui fait observer qu'il 
n'est pas à sa place. En eflet, Champion n'était pas 
du nombre des oûiciers municipaux triés illégalement 
pour voter Farrété municipal du matin, ni du nombre 
de ceux qui avaient reçu ie mandat de maintenir 
dans cette journée « Tordre et la décence. » Il s'était 
rendu aux Tuileries, de son propre mouvement, uni- 
quement parce qu'il avait pensé que la place des 
officiers municipaux est partout où il y a tumulte, 
danger public et violation de la loi ^ 

Pétion se décide enfmà haranguer l'émeute. Sergent 
fait monter le maire sur un fauteuil que Ton vient 
d'apporter, et lui-même, prenant la sonnette' des 
mains de Tun des huissiers de l'Assemblée nationale, 
qui avait accompagné Isnard et Vergniaud, l'agite 
jusqu'à ce qu'il ait obtenu un peu de silence. 

« Citoyens, vous tous qui m'entendez, dit le maire« 
vous venez de présenter légalement votre vœu au 
représentant héréditaire de la nation ; vous l'avez fait 
avec la dignité, avec la majesté d'un peuple libre; 
retournez chacun dans vos foyers , vous ne pouvez 
exiger davantage. Sans doute votre demande sera 
réitérée par les quatre-vingt-trois départements , et 
le roi ne pourra se dispenser d'acquiescer au vœu 

1 . Déclaration Lecrosnier. — Rapports Patris et Champion. 



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LE SO lUIN 1793. 



153 



manifeste du peuple. Retirez-vous^ je le répète, et, 

en restant plus longtemps, ne donnez pas occasion 
d'incriminer vos intentions respectables. » 

Les paroles du maire ayant provoqué tpielques 
applaudissements , le zélé et honnête Champion se 
jette dans la foule ; il est suivi par un officier de paix, 
muni de son bâton dlvoire. Tous deux, ils adjurent 
les citoyens de se retirer; on semble vouloir les 
écouter, mais les plus animés disent encore : u Nous 
attendons que le roi réponde aux demandes qui lui 
ont été adressées. » D* autres s'écrient : « Le maire 
va parler, nous voulons l'entendre. » 

En effet, Pétion répète ; « Si vous ne voulez pas 
que vos magistrats soient injustement accusés, re^ 
tirez-vous! » Le roi ayant lui-même annoncé qu'il a 
fait ouvrir les appartements du Château » la curiosité 
entraîne quelques individus*. 

Pour généraliser le mouvement, les officiers muni* 
cipau:^ présents se dispersent à travers la salle. 
Sergent, prés de la porte de sortie, détache de sa 
ceinture son écharpe municipale, et, T agitant au- 
' dessus de sa téte, crie : u Citoyens, voici le signe de 
la loi; en son nom , nous vous invitons à vous retirer 
et à nous suivre 1 » 

Le déûlé commence, mais très*lentement, car les 

Déclarations de Montmorin, de Fontaine. — Rapport Ser- 
gent. £xpofié de la conduite tenue par le maire. — Rapport 
Champion. 

9. 



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IM LE 30 JUTN 1792. 

meneurs s'obstîtient à rester et à retenir la foule 
sous prétexte que le roi n'a encore rien accordé. 



XXVIIL 



Sous le vestibule et dans les escaliers, des pré- 
cautions étaient déjà prises pour empêcher d'en- 
trer, quand arrive la députation envoyée par l'As- 
semblée nationale , ouvrant la voie à de nouveaux 
flots d'hommes ai'més et de curieux. 

<c Sire, dit le représentant qui la préside, Brunck, 
l'Assemblée nationale a envoyé vers vous vingt-quatre 
de ses membres pour s'informer de l'état de votre 
personne, maintenir votre liberté constitutionnelle, 
et partager vos périls, si vous en courez ^ — Oui, 
s'écrie un autre député, l'Assemblée vient partager 
vos dangers; chacun de ses membres est prêt à cou- 
vrir votre corps du sien. — Ce sont des citoyens 
égarés^ ajoute un troisième; sire, ne craignez rien. 
— L'homme de bien ne craint rien, » réplique le 
roi. 

Et prenant, comme trois heures auparavant, la 

I . Bappori de Brunck k TAssemblée, Journal de8 Débats êt 
Décrets, p. 283. 



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LK 20 JLIN i79a. 



155 



niaiii (1 uii garde national, il la porte contre sa poi- 
trine, en répétant : a Voyez si c'est là le mouvement 
d'un cœur agité de crainte*. » 

Répondant à la députation entière, il ajoute : u Je 
suis sensible et reconnaissant de la sollicitude de 
l'Assemblée nationale : ma conscience ne me iieprocbe 
rien; je suis tranquille au milieu de mes amis, au 
milieu du peuple français. » 

Cet échange de paroles n'a pas arrêté le défilé. 
Sergent, Patris, Champion sont même parvenus à 
établir, de la porte d'entrée à celle des grands ap- 
partements intérieurs, une haie de gardes nationaux 
qui font écouler la foule. Toujours monté sur un fau- 
teuil, le maire indique du geste aux éraeutiers qu ils 
doivent s'éloigner. 

L'embrasure de la fenêtre, dans laquelle le mal- 
heureux roi était retenu captif depuis près de trois 
heures, est peu à peu rendue plus libre, grâce au 
zèle déployé par Gbampion et par deux officiers de 
paix, Dorival et Dossonville. Acloque propose alors 
à Sa Majesté de se retirer; le roi accepte ce qu'il 
avait par deux fois refusé, quand c'étaient des offi- 
ciers municipaux suspects qui le lui offraierit. A 
l'appel du chef de légion , la députation de l'Assem- 
blée nationale se range autour du souverain, les 
grenadiers ouvrent la marche , et le cortège passe à 

4 . Rapport de Dalioz, Journal des Débais et Décrets, p. 284 ; 
Mcmteur, p. 7S4. 



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156 



LE 20 JUIN 1792. 



travers la foule dans la salle du lit de parade ; de là, 
le roi est conduit devant une porte dérobée qui 
s'ouvre et se referme sur lui. Son supplice était fini ^ 



XXIX. 



Le supplice de la reine durait encore. Séparée de 

son mari, elle avait été obligée de rester dans la salle 
du Conseil avec le prince royal, sa fille et plusieurs 
des dames de la cour, entre autres M'"^' de Tourzel 
et de Lamballe. Madame Élisabeth était venue la 
retrouver. Le lieutenant général de la 17* division, 
M. de Wittenghoff, et le mmlstre des affaires étran- 
gères, Chaaibonnas, élaieni, dès le premier moment, 
accourus auprès d'elle avec quelques grenadiers^. 

« 

4 . Rapports Sergent, Âcloque, Fontaine. 

5. Nous avons trouvé dans un opuscule très- rare, imprimé 
à l'époque même, et intitulé: Récit exact et circonstmcié de 
ce qui s'est passé au château de» Tuileries, le mercredi 

20juùi 1792, des détails très- mlei tissants sur les circonstances 
qui ennpêchèrent la reine d'aller retrouver Louis XVI, lorsque 
déjà il était dans ia salle de l'OEil-de-Bœuf en butte aux ou- 
trages des premiers groupes d emeutiers. 

« La reine accourait en ce moment par la chambre du roi : 
M. Aubier Taperçoit de la porte qu'il tenait, essayant de la 
fermer; il court vers Sa Majesté en refermant la porte; il ose 



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tE 20 JUIN 1792 



157 



Lorsque commença le défilé à travers les appaile- 
ments , la reine et les personnes qui l'accompagnaient 
furent mises àTabri dans l'embrasure d'une fenêtre» 
derrière la grande table du GonseiL Devant cette 

table s'établirent trois rangées de gardes nationaux 
du bataillon des FiUes-Saint-Thomas, sous les ordres 

de Mandat. A côté de celui-ci vint bientôt se placer 

rairéter. Bile cHait: t Laissez- moi passer, ma place est près 

« du roi, je veux le joindre et périr s'il le faut, en le défen- 
« dant. » Le courage de la reine doublant ses forces, elle cùl 
rrnvf IX' M. A^ihier, si M. Rougeville, chevalier de Saint-Louis, 
n'eût Joint âa résistance à la sienne et doané le temps de l'at- 
teindre aux personnes de rintérieur qui couraient à sa suite. 
M. Aubier court en informer madame Élisabeth, qui l'autorise 
à résister à la volonté de la reine. Il faut, pour obtenir de la 
fille des Césars qu'elle semble moins digne d'elle-même, que 
ce serviteur lui démontre Timpossibil lté de traverser un groupe 
de brigands, lui prouve que si elle n'était pas massacrée, elle 
serait étouffée a\ant d'v arriver; que sa tentative serait funeste 
au roi qui, entoure de quatre grenadiers, se précipiterait au 
travers des piques pour arriver jusqu'à elle ; à ce mot, qui fut 
appuyé par M. de Chambonnas, la reine s'est laissé entraîner 
dans la chambre de monseigneur le dauphin. Le sieur Augé, 
valet de chambre, chevalier de SainULouis, avait rallié dix 
grenadiers de la salle de la reine qui , aidés de MM. de Ghoi- 
seul, d'Haussonville et de Saint-Priest, protègent sa retraite. 
Tenant dans ses bras monseigneur le daupliiu, appuyée sur 
Madame, Sa iMajesté était entourée de mesdames de Tour/ei, 
de Tarente, de la Hoche-Âymon, de Maillé, de la petite orphe- 
line Ernestine. Par le couloir qui conduit de la chambre du 
dauphin à celle du roi, on fait passer la reine, le dauphin. 
Madame et leurs dames dans la salle du Conseil ; on les place 
derrière le bureau, au milieu des braves grenadiers de la sec- 
tion de SainU-Thomas. » 



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15K 



LE 20 JUIN 1792. 



le principal promoteur du tumulte , le commandant 
des Quinze- Vingts, le brasseur Santerre. £q entrant, 
il dit à la reine: <( Madame, vous êtes trompée; le 
peuple ne vous veut pas de mal. Si vous vouliez ^ il 
n'y aurait pas un d^eux qui ne vous aimât autant que 
cet enfant. )) — Et du doigt il désignait le prince 
royal. — «i Sauvez la France; vos amis vous trom- 
pent, il n'y a pas à craindre pour vous; je vais vous 
le prouver en vous servant de plastron ^ » — Et 
aussitôt, activant le défilé, il montrait à la foule les 
membres de la famille royale, absolument comme 
s'il était déjà leur gardien ou leur geôlier. — « Re- 
gardez la reine, répétait-il à chaque instant, regar- 
dez le prince royal ! » 

Un sans-cuiotte , en passant, voulut que l'enfant 
fût coiiFé du bonnet de la liberté; et la reine mit un 
bonnet rouge sur la tête de son (ils. Sous cette 
ignoble coiffure, beaucoup trop grande et trop lourde 
pour lui, le prince royal étouffait, <( Otez le bonnet 
à cet enfant, dit Santerre, saisi lui-même de pitié, il 
a trop cbaud. » 

Certes, parmi la horde qui défilait, il ne man- 
quait pas de misérables incapables de s'apitoyer 
sur le sort de la malheureuse Marie-Antoinette ; 
mais, sur les lèvres du plus grand nombre , l'insulte 
fut arrêtée par l'admirable dignité de la reine; plus 
d'un cœur se sentit ému à la vue de l'enfant royal 

I. Rapport de Santerre. 



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LK 20 JUIN 179ti. 



159 



qui jouait iniioceiunient sur la table du Conseil. 

Parmi les femmes les plus violentes « raconte 
M. Michelet, a une fille s'arrête un moment et vomit 
mille imprécations. La reine, sans s*étonner, lui de* 
maade si elle lui a fait quelque tort personnel. 
« Aucun « réplique-t-elle , mais c'est vous qui perdez 

« la nation. — On vous a trompée, dit la reine, j*ai 
« épousé le roi de France, je suis la mère du Dau- 
«• phin , je suis Françsdse , je ne reverraî jamais mon 
« pays » je ne puis être heureuse ou maiiieureuse 

qu'en France : j*étais heureuse quand vous m'ai- 
i( miez! » Voilà la fille qui pleure : u Âh! madame, 
« pardonnez-moi , je ne vous connaissais pas , je vois 
u que vous êtes bonne. » 

Mais ce que ne raconte pas M. Hichelet, c'est qu'en 
voyant cette fille sangloter, Santerre s'écria: « Cette 
femme est saoule^. » . 

Le roi délivré, plusieurs ofTiciers municipaux vin- 
rent dans la salle où se trouvait la reine pour la tran- 
quilliser et en même temps hâter l'évacuation de ses 
appartements. Le chef de légion Lachesuaye avait 
établi dans cette salle, dans les galeries qui la suivent 
et dans celle du lit de parade qui la précède, deux 
haies de gardes nationaux entre lesquelles la foule 
consentit à s'écouler. Plus d'un criait encore : A biis 
le Veto! et Vive la nation! Certains se demandaient 
curieusement les uns aux autres : Où est-il donc , le 

4« Rapport Mandat. 



160 



LE 20 JUIN 1792. 



groa Veto? Eut -ce là le lit du gros Veto? Ah! 
M* Velo a un plus beau lit que mus! 

Vers huit heures et demie du soir, tous les appar- 
tements étaient évacués et la reine pouvait rejoindre 
le roi. 

Dès qu'ils se virent, ils se jetèrent dans les. bras 
l'un de l'autre en versant des torrents de larmes 
Les députés présents étaient tous vivement émus. 
Merlin (de Thionville) lui-même pleurait. Mais tout 
à coup essuyant ses yeux» il s'écria : « Je pleure» 
oui, madame, je pleure, mais sur les malheurs d'une 
femme sensible et belle, d'une mère... Ce n'est pas 
sur la reine, je hais les reines et les rois... Telle est 
ma religion » 



XXX. 



Pétion déploya, pour faire évacuer les Tuileries, 
toute l'énergie qu'il avait jusque-là tenue en rései-ve. 
On le vit, transporté sur les épaules de deux grena- 
diers, descendre le grand escalier, ordonner aux 
citoyens de le suivre au nom de la loi, s'établir à la 
porte principale sous le vestibule et y rester jusqu'au 
coaiplet écoulement du dernier flot populaire. 

4 . Rapports Mandat, Ramainvilliers, Gossé. 

5. Mëmoirea de madam6 Campau. 



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LE 2U JUIN 1792 



161 



La garde nationale ayant repris possession de tous 
les postes, le maire parcourut les appartements et 
les abords du Château; n'y ayant plus trouvé aucun 
envahisseur, il s'en alla rendre compte à l'Assemblée 
nationale des événements du jour et de sa conduite, 

L'Assemblée avait écouté, non sans quelque impa- 
tience, les rapports qui lui avaient été faits, soit par 
ceux qui s'étaient rendus d'eux-mêmes auprès du roi, 
soit par ceux qu'elle y avait envoyés. Branck ayant 
traduit ainsi les paroles du monarque : u Je suis tran- 
quille , je suis au milieu de mon peuple , »> cette 
expression mon peuple souleva de si violents mur- 
mures qu'il fallut excuser l'orateur, sur ce qu'en sa 
qualité d'Alsacien il lui était permis de ne pas parler 
très -bien le français. Mais un autre député ayant 
encore prononcé les mots sofi peuple, les interrup- 
tions les plus vives s'entre-croisèrent et le calme ne 
se rétablit que quand enfin Lejosne déclara péremp- 
toirement qu il avait entendu dire au roi le peuple 
français. 

Un autre incident fait bientôt surgir une nouvelle 
tempête. L'évêque de Golmar, Arbogast, demande 
qu une députation spéciale de douze membres soit 
envoyée auprès du prince royal; un député de la 
droite, appuyant sa motion, s'écrie : « Nous sommes 
responsables envers la nation et envers l'Europe en- 
tière de la conservation du roi et du prince royal. — 
U semblerait que nous avons quelques craintes sur la 
sûreté de la personne du roi? réplique vivement 



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162 LK 20 JUIN 179t£. 

Lasource. — Ouï, oui, crie-t-on d*un côté. — Vous 
insultez le peuple français» » répond-on de l'autre. 
a On ne dira, crie Léopold, que le roi court des dan- 
gers que quand il aura été assassiné. La nation a été 
avilie dans la personne de son représentant hérédi- 
taiie. )) Les murmures continuent jusqu'au moment 
où, sur la motion de Lasource, Tordre du jour est mis 
aux voix. La minorité de TAsseuiblée se lève contre, 
et« en récompense de son énergique attitude, elle 
recueille les huées des tribunes. 

Les débats avaient été repris assez paisiblement 
sur divers objets inscrits à l'ordre du jour, quand 
paraissent à la barre le maire de Paris et deux oiB- 
ciers municipaux. Aussitôt le tumulte recommence : 
applaudissements d*un côté, menaces et cris dédai- 
gneux de l'autre. Pétion reste quelques moments in- 
terdit, le rouge lui monte au front, et chacun re- 
marque dans sa placide physionomie a une agitation 
de muscles qui ne lui est point ordinaire. )> 

Peu à peu il se remet , et , réclamant l'indulgence 
de ses auditeurs parce qu il n'a pas eu le temps de 
mettre ses idées en ordre, il essaye de commencer un 
discours, dilTicile à improviser, car il doit être d'au- 
tant plus sonore qu*il sera plus mensonger. 

« On a eu des inquiétudes, dit-il, le roi n'en a 
point eu« Il connaît les Français, il sait que les ma- 
gistrats du peuple veillent toujours pour faire obser- 
ver à son égard le respect qui lui est dû. Les magis- 
trats ont fait aujourd'hui leur devoir et Tout fait avec 



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LK ^0 iUI^ I7ti$. 



m 



le plus grand zèle, et j'avoue que j*ai été douloureu- 
sement aiiëctè de voir des membres de cette ilssem- 
blée qui aient pn un instant en douter... 

— Oui, oui, sans doute, nous en doutons encore, 
s'écrièrent plusieurs membres au paroxysme de l'in- 
dignation. 

— A ]*ordre, à Tordre ! répond-on à gauche, vous 

insultez un magistrat du peuple!... 

m 

— Pourquoi, dit Boulanger (de la Seine-Inférieure), 

n'a-t-on pas aussi dénoncé ceux qui ont manqué de 
respect au roi? Ils étaient du complot! 

— Que M. Boulanger dénonce les complots qu'il 
vient de faire soupçonner, s'écrie Ducos, ou j'écris 
sur son front le nom de calomniateur. » 

Les tribunes éclatent en applaudissements. Dumo- 
lard demande la parole. Boulanger court lui disputer 
la tribuDC; mais le président se refuse à les laisser 
parler, et, après une assez longue agitation, Pétton 
est invité à continuer. L'émotion du maire est si 
grande qu'il ne prononce que des phrases entrecou* 
pées : « Il paraît que quelques personnes ne savent 
pas assez ce que la municipalité a fait. Elle a rempli 
son devoir. Elle est à Tabri de tout reproche... Les 
citoyens se sont soumis à la loi, mais ils ont voulu 
marcher en armes avec les bataillons. Us en avaient le 
droit, lis n'ont point contrevenu à la loi. La munici- 
palité a senti qu'il était nécessaire de légaliser ce qui 
se passait. Les magistrats doivent faire en sorte que 
jamais les citoyens ne manquent à la loi. » 



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164 



LE 20 JUIN 1792 



Après ces allégations trop facilement contestables, 
le maire s'embarrasse dans une démonstration de la 
complète légalité et de la parfaite innocence des évé- 
nements qui viennent de se passer K U glisse fort 
légèrement sur la violation du domicile royal, sur les 
insultes qui ont été prodiguées à Louis XYl, et ter- 
mine en cherchant à changer de rôle, en s'efforçant 
de se faire accusateur, d'accusé qu'il était aupara- 
vant : (( Je viens d'entendre dire, et cela se répète 
souvent, qu'il y avait des complots; il serait bien 
nécessaire de les connaître; je ne crois pas qu'il y ait 
un bon citoyen qui puisse se refuser à les dévoiler. U 
serait bon que les magistrats du peuple les connussent 
afin de pouvoir les déjouer sur-le-champ. Je vous 
supplie d'engager tous les membres de cette Assem- 
blée qui peuvent avoir des renseignements à cet 
égard, à nous les communiquer; car sûrement les 
magistrats du peuple feront à Tinstant leur devoir 1 n 

Les tribunes accueillent avec le plus vif enthou- 
siasme la fin du discours de Pétion. 

Certains députés demandent qu'il soit fait « 
iion honorable » de la conduite de la municipalité. 

« Fi donc ! » leur répondent les députés constitu- 
tionnels. 

« Je m'y oppose formellement, » crie Becquey. 
ti Que ceux qui ont du mal à dire de la municipa- 
lité s'expliquent! » dit le fougueux Albitte. 

4. Journal des Débats et Décrets, p. 287. 



LE 20 JLliN 1792. 



tt Quilsse lèvent, s'ils l'osent i a ajoute Brival. 

Mais la lecture d'une lettre du maréchal Luckner 
vient mettre fin à cette discussion, et Pétion sort, 
applaudi par les tribunes et par ses amis de ras- 
semblée. 

Après son départ, les constitutionnels demandent 

que le ministre de l'intérieur soit appelé sui-le- 
cbamp; la gauche s'y oppose; et, sur son insistance, 
on passe à l'ordre du jour. Guytou-Morveau, président 
de la dernière députation envoyée aux Tuileries, rap- 
porte que tout est tranquille autour du Chàleau, que 
le roi s'est retiré dans ses appartements, que le prince 
royal est en très-bonne santé. 

Sur ce, la séance est levée, et chacun rentre chez 
soi avec ses craintes ou ses espérances ; mais per- 
sonne ne se dissimule que le ciel reste chargé d'orages« 

A dater de ce jour, les masses populaires savent le 
chemin de l'Assemblée nationale et des Tuileries; 
elles le reprendront bientôt pour aller, à l'instigation 
de la démagogie, renverser le trône de Louis XVl, et 
plus tard pour dicter leurs volontés à la Convention 
et la forcer a se déciaier elle-mèaie. Tout se tient, 
tout s' enchaîne dans les événements d'une révolu- 
tion, tout 8*y meut d'après les règles d*une logique 
inflexible. Les Girondins qui ont salué de leurs ap- 
plaudissements la première apparition de ce pouvoir 
nouveau, celui de la rue et de la foule irresponsable, 
apprendront bientôt à leurs dépens que^ s*il est écrit 
dans révangile du Christ : a Celui qui tirera Tépée 



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166 



LE 20 âblN 1792. 



périra par i'épée, » rhistoire a traduit les paroles du 
livre saint par cette immuable loi de la politique hu- 
maine : « Celui qui appelle la rue à son aide périra 
par la rue. » 



XXXI. 



Au lendemain de la journée du 20 juin, s engage 
une lutte presque personnelle entre la royauté et' la 
municipalité parisienne. Louis X\l voit tous ses 
ennemis se réunir autour d*une même personnalité, 
Pétion. Le monarque iieieditaire est oblige de se 
mesurer avec le roi d'un jour. 

Le département de Paris, à la tête duquel se trou- 
vait le vénérable duc de Larochefoucauld, la droite 
de la législative, les constitutionuels de la capitale 
et des départements, se rangent autour du trône. 
Toute la tourbe révolutionnaire, le club des Jaco- 
bins, les représentants montagnards, s'avancent der- 
rière le maire et se servent de lui pour entretenir 
l'agitation, pour pervertir l'opinion publique. 

Gest cette lutte, entre deux personnes, élevées à 
la hauteur de deux principes, qu'il nous reste à dé- 
crire pour clore notre récit de la journée du 20 juin* 
Rien ne saurait mieux faire comprendre les consé- 



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L£ 20 JUIN 1702. 



167 



quences immédiates de la déplorable invasion des 

Tuileries. 

A l'ouverture de la séance du 21 juin, d'Averhoult, 
run des membres les plus courageux de ia droite, 
dénonce à la France entière l'attentat commis la 
veille contre l'inviolabilité du domicile royal. Bigot 
de Préameneu demande que TAssemblée nationale 
rende immédiatement un décret « qui interdise tout 
rassemblement d'hommes armés sous prétexte de 
pétition. — La loi existe, lui crie- 1 -on. — Sans 
doLite, répliquent d'autres députés, mais c'est comme 
ai elle n'existait pas, puisque l'Assemblée en a auto- 
risé l'inexécution. — 11 serait daugeieux et inutile 
de faire une loi nouvelle , objecte Lecointe-Fuyra- 
veau; vous n'avez qu'un parti à prendre, c'est d'exi- 
ger que les autorités constituées fassent exécuter 
celle qui est en vigueur. — Msds, hier, lui répond* 
on, le département est venu vous faire cette de- 
mande, et vous l'avez renvoyé. — Hier, sans doute, 
reprend l'orateur, la loi a été violée sous certains 
rapports, mais elle a été suivie sous beaucoup 
d'autres; des citoyens de la garde nationale étaient 
avec ceux armés de piques , et quel homme ne verra 
pas dans cette mesure un grand acte de prudence de 
la part de la municipalité?... » 

Lamarque soutient son ami Lecointe ; mais , une 
fois sorti des généralités, il s'embarrasse dans ses ré- 
ticences. « L'ordre du jour! crie Gouthon. — L'apo- 
iogie de l'attentat d'hier est bien dUTicUe, dit en 



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108 



LE 20 JUIN 1192. 



souriant Galvet; je demande de Tindulgence pour 
M. Lamarque* — Tous nos délégués, reprend celui- 
ci, ont affirmé que le calme régnait aux Tuileiies. 
— Oui, à dix heures du soir, lui réplique-t-on. — 
L'asile du représentant héréditaire a été violé, ajoute 
Deusy ; je demande si ce n*est pas là un attentat, et 
si Ton peut passer à Tordre du jour sans se désho- 
norer. » 

Pendant deux heures, T Assemblée est en proie à 
la plus vive agitation. Tout à coup des cris d'enthou- 
siasme, poussés par les tribunes, annoncent Fappa- 
rition du maire de Paris. 

« L'ordre règne partout, dit-il ; les magistrats ont 
pris toutes les précautions. Ils ont fait leur devoir; 
ils Font fait toujours, et FJieure viendra qu'il leur 
sera rendu quelque justice. » 

Gela dit , Pétion quitte l'Assemblée au milieu des 
applaudissements, et se rend au Château. 

Le maire était accompagné de Panis et de Ser- 
gent. Admis dans la salle du Conseil, quoiqu'il ne 
retrouvât pas là ses tribunes ordinaires pour le sou- 
tenir, il voulut payer d'audace et maintenir, vis-à- 
vis du monarque outragé, la parfaite constitution- 
nalité des événements de la veille. Ce fut Louis XVI 
qui commença brusquement l'entretien. 

« Le roi. Eh bien I monsieur le maire , le calme 
est-il rétabli dans Paris î 

a Le maire. Sire, le peuple vous a fait des repré- 
sentations. 11 est tranquille et satisiait. 



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LE 20 JUIM 1702. 



109 



« Le roi. Avouez, moiibicur, que la journée d'hier 
a été d' un bien graod scandale et que la municipa- 
lité rfa pas fwt, pour le prévenir, tout ce qu'elle 
aurait pu faire. 

i( Le MAim. Sire, la municipalité a fait tout ce 
qu'elle a pu et du faire; elle mettra sa conduite au 
grand jour» et Topinion publique la jugera. 

u Le roi. Dites la nation entière... 

« Le maire. £Ue ne craint pas plus le jugement 
de la nation entière. 

<( Le roi. Dans quelle situation se trouve en ce 
moment la capilalc? 

« Le maire. Sire, elle est calme. 

« Le roi. Cela n'est pas vrai! 

« Le maire. Sire... 

« Taises-vous! » interrompt Louis XVI d*un ton 
absolu. 

Pétion veut ajouter quelques mots pour la défense 

de la municipalité; niaib le monarque continue ses 
reproches; les deux interlocuteurs parlent quelques 
iiibtaatb tous les deux ensemble. Vivement irrité de 
rinsistance du maire et de son manque de respect, 
le roi lui tourne le dos. Pétion se voit obligé de se 
retirer. 

Hais dans la première antichambre, dès qu'il se 
retrouve seul avec Sergent et Pauls, il se félicite 
d'avoir opposé le calme de la raison à la folie de ces 

personnes qui se croient encore au temps d'imposer 
à des hommes libres. 

10 



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no 



LE 20 JUIN 1792. 



Au même moment, la reine disait au procureur 

général syndic : 

. « M. Rœderer, ne trouvez-vous pas que le rai a 

été bien vif? Croyez- vous que cela ne lui nuise 
point? 

— Je crois, madame, que personne ne mettra 
en doute que le rai ne puisse se permettre de dire : 

taisez-vous! à un homme qui parle sans Técouter. » 



XXXIL 



Louis XYI avait opposé un frant calme et digne 

aux fureurs de la populace. 11 déploya une énergie 
non moins noble, lorsque, s'adressant le 22 juin à la 
nation française, il fit éclater, dans une proclamation 
célèbre, les sentiments dont son âme était pleine. 

ic Les Français , disait-il , n'auront pas appris sans 
douleur qu'une multitude , égarée par quelques fac- 
tieux, est venue à mûn armée dans l'habitation du 
roi, a traîné un canon jusque dans la salle des 
gardes , a enfoncé les portes de son appartement à 
coups de hache, et là, abusant audacieusement du 
nom de la nation, a tenté d'obtenir par la force la 
saiicliun que Sa Majesté a coiislilutiuaaellement 
refusée à deux décrets* 



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LE 2U JUIN im 



i1\ 



« Le roi opposé aux meqjuses et ai|x insultes 

des factieux que sa conscience et son amour pour le 
bien public. Le roi ignore quel sera le terme auquel 
ils voudront s'arrêter; mais il a besoin de dire à la 
nation française que la violence, à quelque excès 
qu'on veuille la porter « ne lui arrachera jamais un 
consentement à tout ce qu'il croira contraire à Tin- 
térét public. II expose sans regret sa tranquillité, sa 
sûreté ; il sacrifie même sans peine la jouissance des 
droits qui appartiennent à tous les hommes et que 
la loi devrait faire respecter chez lui comme chez 
tous les citoyens. Mais , comme représentant hérédi- 
taire de la nation française, il a des devoirs sévères 
à remplir, et s'il peut faire le sacrifice de son repos, 
il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs. 

« Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont 
besoin d'un crime de plus, ils peuvent le commettre ; 
dans l'état de crise où elle se trouve, le roi donnera 
" à toutes les autorités constituées l'exemple du cou- 
rage et de la fermeté, qui seuls peuvent sauver Tem-. 
pire. En conséquence , il ordonne à tous les corps 
administratifs de veiller à la sûreté des personnes et 
des propriétés. 

« Fait à Paris, le 22 juin 1792, l'an iv de la 
liberté. 

« Signé : Louis. Canire^signf : Tekiibr. » 

Cette proclamation souleva des transports de rage 
parmi les ultra-révolutionnaires, Prud'homme, en la 



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172 



LE 20 JLI,% 1792. 



reproduisant dans les Révolutiom de Paris ^ la fit 
suivre de ce mot : « Imposture! » Bazire, à l'Assem- 
blée, la dénonça romme étant de nature à provoquer 
des troubles. Ëlle fut commentée de la plus vio- 
lente manière dans les clubs et dans les comités de 
section. 

Le 23 juin au matin, on trouva alTiché, entre l'avis 
du maire et la proclamation du roi « ce placard sans 
signature : 

' « Pères de la patrie, 
« Nous nous levons une seconde fois pour remplir 
le plus saint des devoirs. Les habitants des fau- 
bourgs de Paris, les hommes du lA juillet , viennent 
vous dénoncer un roi faussaire , coupable de haute 
trahison, indigne d'occuper plus longtemps le trône. 
Nos soupçons sur sa conduite sont enfin vérifiés , et 
nous demandons que le glaive de la justice frappe sa 
tête, afin que la punition qu'il mérite serve d'exemple 
à tous les tyrans. Si vous vous refusez encore à nos 
vœux, nos bras sont levés, et nous frapperons les 
tj aîires partout où nous les trouverons, méaie parmi 
vous. » 

Cet affreux placard ( ainsi le qualifiait Pétion lui- 
même) n'était rien moins que la pétition que le nou- 
veau rassemblement devait porter à l'Assemblée le 

25 juin. Le maire de Paris promit de faire contre les 
auteurs de cet écrit les recherches les plus minu- 
tieuses; mais elles furent naturellement sans succès. 



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LE 30 JUIN 1799. 



113 



Le mmistre de Tintérlear, qai avait de bonnes 

raisons pour ne pas se fier aux promesses de Pétion, 
courut dénoncer l^affiche anarchique à TAssemblée 
nationale; elle fut renvovée à la commission des 
Douze et il n'en fut plus question. Mais les autres 
faits exposés par le ministre de l'intérieur étaient 
trop graves pour que l'Assemblée parut ne pas s'en 
préoccuper. Dès le soir même , sur le rapport de 
Muraire, elle votait à l'unanimité l'impression immé- 
diate et l'envoi aux départements d'un Acte du Corps 
législatifs que le roi sanctionna sans retard. 

Cet Acte se bornait à « inviter les bons citoyens à. 
réunir leurs efforts à ceux des autorités constituées 
pour maintenir la tranquillité publique et pour ga- 
rantir la sûreté des personnes et des propriétés. » 
Comme il n'ajoutait rien à la législation en vigueur , 
il avait été adopté unanimement. La droite y avait vu 
un remède préventii contre le renouvellement des dés- 
ordres, la gauche une simple proclamation sans con- 
séquence. Mais le département de Paris le prit fort 
au sérieux; il était résolu à exiger la stricte exécu- 
tion des lois, dont il était le protecteur constitu- 
tionnel. 

Ce rappel au respect de la légalité fut également 
entendu par plusieurs membres du conseil général 

de la commune et aiêaie par de simples particuliers, 
auxquels leur seule conscience imposa le mandat de 
protester contie la violation flagrante de la consti- 
tution. 

10. 



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174 



LE 20 JUIN 1792. 



Un officier municipal et deux anciens constituants 

se mirent à la tète de la réaction constitutionnelle. 
Le 23 juin, au sein du conseil général. Cahier pro- 
nonça un véritable réquisitoire contre les événe- 
ments du 20. 

« La loi, s*écria-t-il, a été violée avec le plus 
scandaleux éclat par un commandant de bataillon, 
Santerre, qui, sans réquisition préalable, a osé mar- 
cher à travers les rues de Paris, à la tête d'un ras- 
semblement de vingt mille hommes armés; 

« Violée par des gardes nationaux qui, sans réqui- 
sition préalable, ont paru dans le rassemblement 
avec leurs armes et traînant après eux leurs canons; 

« Violée par une foule d'individus de tout ftge, de 
tout sexe, qui ont pénétré dans la demeure du re- 
présentant béréditaire de la nation et l'ont obligé à 
se couvrir du bonnet rouge, bonnet avili par les 
factieux; 

« Violée par le procureur de la commune, par le 
maire, qui, au mépris des lois concernant leur mi- 
nistère, ont négligé de requérir les mesures néces- 
saires pour dissiper cet attroupement ; 

« Violée par le commandant général , à qui toutes 
les lois militaires et de police ordonnaient de repous- 
ser la force attaquant le poste qui lui était confié ; 

« Violée enfin par tous les membres du corps mu- 
nicipal, qui ont abandonné le sort de cette périlleuse 
journée à une distribution de rôles, concertée à 
Tavance, seulement avec quelques-uns d*entre eux. » 



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UE 20 JUIN 1702. 



175 



En conséquence, Gabier demandait au conseil gé- 
néral d'arrêter : 

« Qu'il improuvait la conduite tenue, depuis 
SOD arrêté du iô jusques et y compris la journée 
du 20, par le maire , le procureur de la commune et 
les adnoinistrateurs de police ; qu'il improuvait éga- 
lement l'arrêté pris dans la matinée du SO par le 
corps municipal ; 

a Qu'il dénonçait cet arrêté et la conduite du 
maire, du procureur de la commune et des adminis- 
trateurs de la police au directoire du département n 

Cahier * terminait son réquisitoire en proposant 
que l'arrêté à prendre par le conseil général pour 
ou contre ses propositions, fût imprimé, affiché, dis- 
tribué aux quarante-buit sections, aux quatre-vingt- 
deux départements, au directoire du dé])artement de 
Paris, au ministre de l'intérieur et à l'Assemblée 
nationale. Le conseil général de la 'commune était 

I. Louis^ilbert Cahier était avant la Révolution avocat au 
Parlement. Il fut arrêté le 4*' septembre 479S, sur la motion 
de Robespierre, au moment même où, par suite du décret qui 

Ccissait la conuiiuiie insurrectionnelle, il venait reprendre 
80S fonction*^ municipales ' Iliafnirp pai Icmnitaire , t. XVFT, 
p. 356 ] ; il échappa aux massacros de septembre par suite de 
la réclamation de 8a section (celle de la Grange-fiatelière), puis 
fut incarcéré comme suspect pendant la tourmente révolution- 
naire. Cahier entra, sous le Consulat, dans les rangs de la ma- 
gistrature et 6t partie de la Cour de cassation. Il est mort 
le 44 avril 4832, ^^é de 70 ans. Il ne faut pas le confondre 
avec Cahier de Gorville qui lut uiinisLre de Louis XVI, et dont 
il n'était même pas parent. 



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m LE 20 JUIN 1791. 

4 

ainsi mis en demeure de se prononcer d'une manière 

catégorique, mais il hésita à suivre le courageux 
orateur jusqu'au bout de sa motion et se contenta 
d'en ordonner 1 impression et la mise à l'ordre du 
jour des quarante-buit sections. C'était condamner 
moralement les auteurs et complices du 20 juin K 

Pendant ce temps, deux anciens constituants, 
Dupont (de Nemours) et Guillaume, rédigeaient, iai- 
saient imprimer dans le Journal de Paris^ dépo- 
saient cbez les notaires de la capitale et expédiaient 
à tous leurs anciens collègues une pétition des plus 
énergiqties contre les excès du 20 juin Elle fat 
en quelques jours couverte de signatures. 

Les départements envoyèrent aussi de nombreuses 
adresses exprimant toutes la même horreur pour les 

4 . La motion de Cahier fut présentée au conseU général le 
93 juin. On en ordonna rimpression, mais on n'en reprit la dis- 
cussion que le 6 juillet. Les débats furent ce jour-là lon^^s et 
animés. Les constitutionnels l'emportèrent, et firent renvoyer la 
motion de Cahier au corps municipal pour api»liquer la loi 
du 9 octobre 1791 sur les clubs. C'était tout ce que pouvait 
laire le conseil général de la commune, mais c'était évidem- 
ment une fois de plus condamner les événements du 20 juin , 
dont le conseil général rendait ainsi solidaires les Jacobins et 
les autres sociétés populaires de la capitale. 

t. Dès le ti juin, la pétition que Ton appela plus tard la 
pétition des vingt mille, quoiqu'elle eût été loin do réunir ce 
nombre de signatures, circulait dans Paris de inaison en mai- 
son. Sur cent treize notaires, quatorze seuieroeiit refusèrent de 
recevoir les signatures, de peur de se compromettre. Pendant 
toute la terreur, ce fut un crime presque irrémissible que 
d'avoir signé ou fait signer la pétition des vingt mille. 



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LK 20 JUIN 1792. 



177 



événements qui venaient de se passer aux Tuileries, 
le même désir de s*anir avec la partie saine de Paris 
pour réduire à T impuissance la faction jacobine. 



XXXIII. 



Ainsi attaqué de toutes parts , Pétion sentit bien 

qu'il fallait changer le terrain de la lutte; d'accusé, 
il se fit accusateur. 

Dans les considérunts d'un arrêté, pris pour rap- 
peler toutes les autorités inférieures à la stricte exé- 
cution de la loi du 3 août 1791 sur la réquisition de 
la force publique , le directoire du département de 
Paris avait dit : u L'événement du 20 juin aurait été 
prévenu si les lois existantes avaient été mieux con- 
nues des citoyens et mieux observées par les fonc- 
tionnaires publics chargés de leur exécution immé- 
diate. » 

Le maire s'empressa de relever cette phrase comme 
une insulte, et d'écrire une lettre qui finissait par 
une véritable provocation : 

« Je vous interpelle en mon particulier de pour«- 

suivre d'une manière franche et directe le maire de 
Paris, s'il a manqué à ses devoirs; c'est une obliga- 
tion impérieuse pour vous, la loi vous le commande, 



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m 



et sans doute vous aimez trop la loi pour ne pas lui 
obéir. J'espère que vous trouverez bon que je rende 
cette lettre publique. » 

Ce fut, paraît-il, Rœderer qui reçut la lettre mu- 
nicipale. Fidèle au rôle qu^il avsdt pris d'intermé- 
diaire oilicieux entre le directoire du département et 
le maire 'de Paris, il retint la lettre sans la commu- 
niquer à ses collègues et écrivit coniidentieiienient à 
Pétion : 

CI II me semble que par rarrèté de ce matin on n'a 

entendu ni pu entendre que les fonctionnaires mili- 
taires, puisque les articles rappelés de la loi ne sont 
relatifs qu'à T usage immédiat et spontané de la 
force : c'est ainsi du moins que, moi. Je l'ai entendu, 
quand on Ta lu. Revoyez, je vous prie, les articles 
de la loi , et faites-moi dire tout de suite si vous 
persistez à vouloir que je remette votre lettre au 
conseil. J'attendrai une demi-heure votre réponse. » 

Moins d'une demi-heure après^ Rœderer recevait 

ce billet : 

« Pas de doute que je persiste à ce que ma lettre 
soit communiquée au conseil, où je vais me rendre 
d'après l'invitation qui m'a été faîte. 11 est impossible 
d*entendre autre chose que ce que j'ai entendu; et 
dans tous les cas, le public entend rail nécessairement 
que le conseil a voulu parler du maire et des officiers 
municipaux. » 



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LË 2U JUIN 1792. 



179 



La. lettre de Pétion fut donc remise au départe- 
ment, qui répliqua sèchement : 

« iNous avons reçu, monsieur, votre lettre du 24; 
l'arrêté dont vous vous plaignez n'inculpe personne 
individuellement. Quand vous aurez fait parvenir au 
département les procès-verbaux qu'il vous a deman- 
dés plusieurs fois , il fera ce que la loi luipfescriL » 

Pétion, de plus en plus embarrassé, écrivit ; 

« Je réponds, messieurs, en peu de mots à votre 

lettre tiès-iaconique. Vous observez que votre arrêté 
n'inculpe personne individuellement, et que vous 
ferez ce que la loi vous prescrit lorsque les procès- 
verbaux vous seront parvenus. Vous me permettrez 
de vous faire deux réflexions très-sunples et dont 
vous sentirez la justesse : 

« 1** Pour n'inculper personne, vous inculpez tout 
le monde; vous reprochez aux fonctionnaires publics, 
sans distinction, de n'avoir pas fait observer la loi. 
Cet anathème porte sur tous, et il n'est pas de genre 
d'attaque plus dangereux, puisqu'il met à l'abri celui 
qui frappe sans laisser une véritable défense à celui 
qui est frappé; 

u 2*^ Vous aUetidez les procès-verbaux pour vous 
instruire, et à l'avance vous jugez, vous mettez les 
fonctionnaires publics sous le poids d'une accusa- 
tion. U y a au moins de la précipitation dans cette 
conduite. » ' • . 



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180 



LE 20 JUIN 1792. 



Le département ne se donna pas la peine de s'ex- 
cuser de la précipitation que le maire, si lent le 
20 juin, se permettait de lui reprocher. Il coupa court 
à toute nouvelle objection en parlant ainsi , au nom 
de la loi : 

« Paris, 24 juio, U heures du luatm. 

« Le conseil, monsieur, avait prévu le lelaid que 
pourrait mettre dans rexécution de son arrêté Tex- 
pédition des procès-verbaux; c'est pour cela qu'il 
en avait demandé la minute. U vous prie , monsieur, 
de lui apporter, d'ici à une heure, les minâtes des 
procès-verbaux, si les expéditions ne peuvent ètie 
faites. Faute de quoi il enverra, aux termes de Tar- 
ticle 22 de la loi du 27 mars 1791, des commissaires 
pour prendre les renseignements et informations dont 
il a besoin, m 

L*enquéte et l'instruction, décidées dès le 20 juin 
au soir, étaient, on le voit, vigoureusement pour- 
suivies. En même temps que des rapports détaillés 

étaient exigé:^ de tous les ollicier^ municipaux qui 
avaient assisté, témoins ou acteurs, aux tristes scènes 

delà trop fameubc journce , juges de paix des 
divers quartiers de la capitale étaient chargés de re- 
cevoir les dépositions des témoins, et, réunis en 
comité central, d'exercer les fonctions de juges 
d'instruction. 

Ue plus, trois administrateurs départementaux, 
Garnier, Leveillard et Demautort, étaient nommés 



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181 



cammîssaires à l'effet de résumer ks rapports obtenus 
des municipaux et des officiers de garde , ainsi que 
tous les renseignements recueillis, pour en faire un 
exposé général au conseil. Enfin , le ministre de Tin- 
terieur lui-même était invité à coopérer à la recherche 
de la vérité, à fournir les éclaircissements néces- 
saires, notamment sur l'ouverture de la porte Royale 
qui avait donné passage aux envahisseurs du Château* 



XXXIV. 



L'enquête ordonnée par le département dura une 

quinzaine de jouis. 

Pendant ce temps, Paris avait été profondément 
agité. La Fayette était venu de son camp de Bavay 
présenter à l'Assemblée nationale une pétition contre 
les menées jacobines; mais sa tentative n'avait pas 
abouti. Abandonné de tous, excepté de son ami La 
Rochefoucauld et de quelques-uns des magistrats 
départementaux, repoussé par la reine et par le roi 
lui-même, qull voulait sauver, le général de la 
ConstUiUion avait quitté Paris, le désespoir dans 
Fâme , convaincu qu'il n'avait fait que hâter le dé- 
nouement fatal. 

11 



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m LE 20 jaiN 179S. 

■ 

Sur ces entrefiûtes, la pétitioa rédigée par Dupont 

(de Nemours) et Guillaume avait été déposée sur le 
bureau de la Législative. Hais celle-ci» sans exanduer 
le nombre ni la qualiié des signaiaires, l'avait ren- 
voyée à la commission des Douze» qui s'était contentée 
de la placer dans ses cartons. 

Pétiou» si longtemps muet, avait fini par faire 
imprimer YExposé de m conduite ^ dans lequel tout 
ce qui paraissait inexplicable s'expliquait en appa- 
rence on ne peut mieux. — Si le maire , y soutenait- 
il, a enfreint les recommandations énergiques de 
l'autorité départementale, c'est qu'il y a été forcé 
par les circonstances » et il a su — merveilleuse ha- 
bileté I — laisser se produire une manifestation in- 
terdite sans Jiiettie en coiitradiction la municipalité, 
qui autorisait, et le conseil général de la commune, 
qui avait défendu. C'est uniquement grâce à sa pru- 
dente politique que tout a pu se passer paisiblement 
jusqu'à trois heures et demie ; si alors la demeure 
royale a été envahie, ce n'est nullement de sa faute; 
il n'a point à supporter les conséquences de l'immo- 
bilité du commandant général , chargé de garder le 
Château et qui a laissé ouvrir les portes. Averti de 
l'attentat au moment même où, dans sa candeur, il 
était persuadé que la journée était finie, il s'est pré- 
cipité vers les Tuileries. Insinuei ait-on que le langage 
qu'il y à tenu n'a pas été toujours très-explicite, 
qu'il a hésité longtemps à commander à la foule de 
se retirer ? il répondrait que sa manière d'agir et de 



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L£ 20 JUIN 1 792. 



m 



parler a été la plus digne et la plus analogue aux 
drconHances. 

Quant au procureur de la commune, il persistait à 
ne pas répondre aux injonctioiis réitérées qui lui 
étaient faites. Pressé par Rœdeier, il avait eu l'inso- 
leoce d'écrire que, le 20 juin, il n'avait passé qu'une 
heure aux Tuileries, sa place du matin et du soir 
étant à la maison commune, et quil serait bien fâché 
de perdre un temps ^ qui kC était poM à luij à recueillir 
des faits que Uiisloire seule devait juger, ta Je jure^ 
disùt-il en terminant, que le maire de Paris a sauvé 
le peuple! » A peine parvint-on à le faire consentir 
à comparaître devant les commissaires départemen-* 
taux. De ses explications il résulta que ni le 18, ni 
le 20 juin, il n'avait communiqué au corps municipal 
r arrêté pris le 16 par le conseil général; que, con- 
naissant l'arrêté du département, il n'en avait point 
requis l'exécution; bien plus, qu*îl aviut approuvé 
l'arrêté contraire de la municipalité, et enfin que, 
loin de se porter vers les Tuileries au premier tn^ 
multe, comme la loi le lui ordonnait, il s'était pro- 
mené quelque temps dans le jardin, sans écharpe 
et en simple particulier. 

Les trois commissaires instructeurs du départe- 
ment, Garnier, Levieillard et Demautort , lurent, le 
à juillet, au conseil général un rapport où les évé-^ 
nemeiits du 20 juin et la pai t qu'y avaient prise les 
diverses autorités incriminées étaient parfaitement 
résumés. « . - 



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184 



LE 20 JUIN nos. 



Us concluaient en demandant la suspension du 
maire, du procureur de la commune et des adminis- 
trateurs de police, conformément à la loi du 27 mars 
1791, article 9, et en ne réclarnant contre le corn- 
mandant général qu'un a simple avis d'être à Tave- 
nii' plus ponctuel à son service. » 

Les formes de procédure en usage dans les tribu- 
naux avaient été appliquées aux nouveaux corps ad- 
ministratifs. Des commissaires spéciaux présentaient 
un rapport; le procureur général syndic ou son 
substitut, en qualité de ministère public, posait des 
conclusions conformes ou contraires à celles des 
commissaires, et enfin le conseil tout entier décidait. 

C'est pourquoi Demautort, Levieillard et Garaier 
ayant communiqué leur rapport au procureur général 
syndic , ce dernier dut, conformément à la loi, pré- 
senter ses conclusions. Rœderer était Tami de Pétion; 
son réquisitoire fut un véritable plaidoyer en faveur 
du maire et même du procureur de la commune, 
qu'il était impossible de séparer de celui-ci. 

Reprenant l'examen de toutes les pièces, le procu- 
reur général syndic commence par énumérer les 
faits incontestables : la formation du rassemblement, 
la grille des feuillants forcée , le canon braqué sur 
la porte Royale, cette porte ouverte par des gardes 
nationaux, le domicile royal envahi, les discours 
violents adressés au roi, le vol de plusieurs objets 
mobiliers. « l^our ces laits, dit-il, le soin d'en recher- 
cher les auteurs regarde les tribunaux. » Le dépar- 



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LE 20 JUIN 1792. 



185 



temént ii*a à s'occuper que de la conduite des 

officiers municipaux accusés de n'avoir pas rempli 
leur devoir. Or, Tarrêté irrégulier par lequel le corps 
muiilcipal a prétendu légaliser le rassemblement 
illégal n'a pas été pris par le maire seul, et ne peut dès 
lors lui être reproché. D'ailleurs l'Assemblée nationale 
elle-même n'a-t-elle pas montré qu'il était impossible 
de résister à l'invasion de la foule des pétitionnaires 
armés, puisqu'elle les a reçus dans son sein? Ayant 
à l'avance recommandé la surveillance la plus active 
au commandant général et ne pouvant lui ordonner 
plus, le maire et les officiers municipaux ne doivent 
pas être réputés responsables de l'invasion du Ghâ- 
teau« L'invasion ayant en lieu , il ne leur était plus 
possible d'agir pour la repousser violemment, parce 
que c'eût été compromettre la vie du roi. Pétion a- 
t-il fait tout ce qu'il devait faire pour mettre un 
terme au désordre, pour u le tempérer, n'ayant pu le 
prévenir? » A cette question, Rœderer répond : 
ti Si j'avais à juger le maire de Paris comme juré, 
d'après ma conviction intime, je n*hésiterais pas une 
seconde à l'acquitter honorablement. Je ne puis 
moins faire pour lui quand je n'ai qu'une voix con- 
sultative à émettre sur sa conduite... » 

Le 6 juillet, le conseil général du département 
s'assembla pour ptononcer sur les rapports contra- 
dictoires de ses commissaires et du procureur général 
syndic. 11 avait la conscience de l'immense respon- 
sabilité qui allait peser sur lui. Il savait avec quelle 



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m 



LE SO JUIN ïm 



incUcibie impatieiice tous les partis attendaient son 
verdict* 11 n'ignorait pas que , s'il adoptait la propo- 
sition de ses trois commissaires, il allait attirer sur 
la tête de chacun de ses membres toutes les colères 

populaires S mais il savait aussi qu*il serait respon- , 
sable de son arrêt devant T histoire, tribunal suprême 
des actions et des jugements des hommes. 

Ce ne fut qu'après de longs et consciencieux débats 
que le conseil général du département se décida à 
prononcer la suspension de Pétion et de Manuel. La 
délibération, commencée de bonne heure le 6, se 
prolongea jusqu au 7 à quatre heures du matin 

4* Six semaines plus tard, le vénérable duc de la Rocbefou- 
caukl payait de sa vie sa courageuse rédiatance aux entraîne- 

ments pof)ulaires; il elail ei^uri^é, dans les bras de sa femme 
et de sa mère, sur la roule de Rouen a Paris, par une troupe de 
forcenés envoyés par la commune iiisui rectionnclle du 10 aoilt. 

Nous donnons, à la fin de ce volume, le procès-verbal de 
cette mort déplorable. 

S. La minute de ce monument de courage civil est signée : 
La Rochefoucauld, président; Brousse, Anson, Gravier de Ver^ 
gennes, Levieillard, Germain Gamler, I>emeunîer, Defeu* 
couf)ret, Dumont, Lefebvre d'Ormesson, Barré, Tliouin. An- 
delie, Charton, Bailly, Demautort, de Jussieu, Davous, Trudon, 
Pinorel; Blondel, secrétaire. 

Rœderer^ en qualité de procureur général syndic, fut chargé 
de notifier Farrôté du conseil général du départementau mairede 
Paris. Mais, suivant son habitude, il lui écrivit eu même temps 
une lettre officielle el un billet officieux. Le billet est daté de 
fheure même où le conseil général venait de rendre son verdict 
(quatre heures du matin) ; ia missive qui accompagnait la pro- 
cédure authentique est datée de sept heures après (onze heures]. 



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LE JUIN 



187 



XXXV. 



Quelques heures après, le conseil général de la 

commune était convoqué pour entendre la lecture 
de rarrété départemental et pour élire un maire pro- 

\isoire. L'officier municipal Borie fut choisi, et aus- 
sitôt, à la tète d'une députatiou municipale, il alla 
annoncer officiellement à l'Assemblée législative la 
suspension du maire et du procureur-syndic. 

Voici ces deux pièces, que nous avons eu le bonbeur de 
retrouver : 

« Monsieur, 

a J'ai l'honneur de vous adresser le rapport des commis- 
saires chargés de l'evarncn l'affaire du 20 juin. Ce soir, dès 
que le conseil aura arrêté le procès-verbal de Ja séance, j'aurai 
soin de vous l'adresser; il renferme mes conclusions, mon opi-- 
nion et les arrêtés préliminaires auxquels mes conclusions ont 
donné lieu. 

« Le procureur général syndic du département de Paris, 

« HOEDËRER. » 

Le billet porte la suscription suivante : 

ff A monsieur Pétioti lui-tneme, à la mairie. 

Et sur le pH intérieur : « A vous-même. » 

«t Mon ami, je vous félicite; le conseil vient de suspendre le 
procureur de la commune et le maire de Paris» Je ne vous 



188 LE 20 JUIN i792. 

» 

Pétion lu aiïicher le jour mênie dans Paris un avis 
ainsi conçu : 

« Citoyens, 

ce Je suis suspendu de mes fonctions. Recevez cette 
et décision, comme je l'ai reçue moi-même, avec 
i< calme et sang- froid* Bientôt une autorité supé- 
a rieure prononcera, et j'espère que l'iimocence sera 
a vengée, d'une manière digne d'elle, par la loi. » 

D'après la Constitution, c'était au roi qu'apparte- 
nait le droit de confirmer ou d'annuler l'arrêté dé- 
partemental; mais, par une singulière confusion de 

voulais pas laiiL de bien, je vous l'avoue; je vous embrasse. 
Voilà deux nuits que je passe en blanc. Le conseil se sépare, il 
est quatre heures du matin. Je ferai imprimer le discours très- 
préçipité que je leur ai lu dans cette allai re, et j'ai fait retenir 
mes conclusions au procès-verbal. Puissé-je trouver aussi 
quelqu'un qui me suspende en attendant qu'on nous pendeJ 

« ROEDBRBR. » 

L'ami , dans celte occasion, faisait oublier au magistrat la 
gravité de la situation; il ne voyait dans celte suspension du 
maire de Paris qu'un texte de plaisanterie, qu'une occasion de 
triompiie pour Pétion ; il désirait partager fion sort et voulait 
être pendu avec lui. Son dernier vœu fut bien près d'être réa- 
lise. Moins d'un an plus tard, Rœderer était compris, le 2 juin 
1793, dans la proscription de Pétion et de ses adhérents; il 
était obligé de se cacher et ne dut la vie qu'au dévououient de 
quelques amis. Plus heureux que Pélion, il survécut à la tour- 
mente révolutionnaire, devint comte de l'Empire et se reposa 
sur la chaise curule du sénateur des tribulations qu'il avait 
essuyées comme procureur général syndic du département de 
Paris. 



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Lb 20 JUIN 1792. 



189 



pouvoirs, le dernier mot en pareille matière avait été 
réservé à la législature, qui était ainsi appelée à se 
prononcer sur la décision royale. 
Louis XVI se trouvait donc forcé de prononcer 

dans sa propre cause. S'il absolvait Véùon et Manuel, 
il abandonnait aux colères populaires le conseil gé- 
néral du département qui avût noblement rempli son 
devoir. S'il couiirmait la suspension prononcée, il 
avait Fair d^exercer une vengeance pei*sonnelle et 
courait le risque de voir sa décision cassée par la 
Législative. 

Plusieurs des conseillers ordinaires du roi opi- 
naient pour la non-confirmation de l'arrêté dépar«- 
tementaU et cela dans un double but : d'abord attirer 
vers le trône les sympathies populaires, ensuite miner 
roiiUiipoteace du uiaiie de l^ai is en couvrant Pélion 
du ridicule qui s'attache inévitablement à l'homme 
politique, auquel on refuse le bénéfice d'un facile 
martyre. Peut-être cet avis e&t-il prévalu sans les 
nouvelles violences de langage et les mesures auda- 
cieuses des amis de Pétion. Le dimanche 8 juillet» 
ceux-ci firent affluer vers l'Assemblée la masse des 
pétitionnaires parisiens qu'Us avaient toujours à leur 
disposition. 

Le corps législatif sembla d'abord vouloir respecter 
les formes constitutionnelles; il décréta par deux fois 

le renvoi pur et simple de toutes les duieaaces jaco- 
bines à la commission des Douze. Mûs par deux fois 

la gauche demanda qu'on revînl sur ce vote. Suivant 

ii. 



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LK ï20 JUIIS 1792. 



son habitude, TAssemblée ne se sentit pas de foice à 
ré^ter plus longtemps à T insistance de la Montagne* 
De guerre lasse, elle admit les pétitionniûres à la 
barre* 

Écoutons d'abord la section des Gravilliers : 
« Législateurs, une famille épiorée vous rede- 
mande un père que des magistrats, par l'abus le 
plus coupable de leurs devoirs, viennent d'enlever à 
ses fonctions. Toute la capitale est en deuil, et ce 
deuil sera bientôt celui de tout Tempire. Nous vous 
prions de nous rendre un ami, un magistrat fidèle, 
et de consWérer que les circonstances, que la mal- 
veillance a choisies pour cet acte de rigueur, sont 
trop impérieuses pour permettre le moindre retard. » 
' La section de la place Royale ne s'exprime pas 
avec moins de vivacité. Son orateur, Tallien, débu- 
tait dans les rôles de comparse politique, en atten- 
dant qu'il pût être compté parmi les premiers sujets 
de la troupe démagogique. 

tt Un grand attentat vient d*ètre commis. La ville 
de Paris est dans la douleur... Pétion est suspendu 
de ses fonctions par un directoire contre-révolution* 
naire; Pétion, notre père, notre ami, est sous le coup 
d*une accusation. Qu'on nous charge aussi de fers, 
ils nous paraîtront plus légers lorsque nous les parta- 
gerons avec Pétion. Nous venons déposer dans le 
sein du corps législatif l'adhésion la plus entière à la 
conduite tenue par le maire et le corps municipal 
dans les journées antérieures et postérieures au 



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LE 30 JUIK 1792. 191 

20 juin... Nous demandons que vous jugiez quelle 

est radrainistration coupable, ou de la municipalité 
qui a épargné le sang, ou du directoire qui voulait le 
faire verser. » 

Chaque jour des pétitionnaires venaient, non-seu- 
lement au nom de Paris, mais encore, prétendaient- 
ils, au nom de diverses villes de province, réclamer 
d'an ton impérieux la réintégration immédiate « du 
sage Pétion et du vertueux Manuel, ces deux colonnes 
du patriotisme. » Presque toujours ils ne faisaient 
que répéter un discours qui leur avait été reinis tout 
fait. Oubliant qu'il s'était intitulé délégué de la ville 
de Dijon, un d'entre eux s'écria : a Si d'ici au 
li juillet on n'a pas rendu aux vainqueurs de la Bas- 
tille leur père et leur tribun, la fête de la Liberté 
sera troublée : nous ignorons où s'arrêtera le déses* 
poir des patriotes. » 

A la séance du 11 au soir, on vit de nouveau dé- 
filer le ban et l'arrière-ban des sans-culottes de Paris 
et des départements. Nous ne nous arrêterons pas à 
décrire le spectacle que présentaient ces députations, 
composées à peu près invariablement du même per- 
sonnel et venant débiter les mêmes rapsodies. Dne 
seule mérite une mention particulière; elle se com- 
pose de soixante ouvriers de la section des Gravil- 
liers qui, au retour du Champ de Mars, où ils ont 
travaillé aux préparatifs de la fédération, défilent 
pelle sur l'épaule et hotte sur le dos. 

Ils résument ainsi leurs demandes, et la naïve 



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m 



LE 20 JUIN 1192. 



brutalité de leur style répond au négligé de leur 
tenue : 

« Pétion et Manuel restaurés dans leurs fonctions; 

le directoire cassé; La Fayette mis en accusation, et, 
pour le peuple, les moyens de se constituer paisi- 
blement et légalement en état de résistance à l'op- 
pression. )> 



TLWSl. 



Le 12 juillet, l'Assemblée nationale reçut le mes- 
sage royal qui confirmait purement et simplement 
la suspension du maire et du procureur de la com- 
mune. 

Presque aussitôt après, le président annonce que 

Pétiou demande à être admis à la barre. L'Assemblée 
ne saurait faire attendre le roi du mamenL II entre 
donc, salué par de formidables acclamations ; il pro- 
mène un regard satisfait autour de lui et, prenant 
l'attitude non d'un humble accusé^ mais d'un accu- 
sateur triomphant, il commence ainsi : 

« Je me présente devant vous avec la sécurité que 
donne une conscience sans reproche ; je demande une 

justice sévère, je la demande pour moi, je la de- 
mande pour mes persécuteurs. Je n'éprouve pas le 



LE 20 JUIN 1792. ' 193 



besoin de me justifier, mais j'éprouve celui très-im- 
périeux de venger la chose publique... 

« Le département m'a rendu un service en me 
suspendant ; le roi m'en rend un autre en confirmant 
son arrêté. Rien ne peut m' honorer plus que ce con- 
cert de volontés contre un homme de bien... Repré- 
sentants d'un grand peuple, n*ayez dans cette affaire 
d'autre clémence que la justice. Punissez-moi, si je 
suis coupable; vengez-moi, si je suis innocent. J'at- 
tends avec une respectueuse confiance le décret 
solennel que vous allez porter. » 

De nouvelles acclamations retentissent, les énieu- 
tiersdestribunes crient à tue-tôte: VivePétionl Vive 
noire ami! Les honneurs de la séance sont naturel- 
lement accordés au maire suspendu; l'Assemblée 
charge la commission des Douze de faire son rapport 
le lendemain et décrète qu'elle statuera ensuite sans 
désemparer. C'était assez clairement laisser voir en 
quel sens elle voulait brusquer les choses. 

La séance du IS s'ouvrit, comme d'habitude, à 
neuf heures; mais le rapport ne devait être lu qu'à 
midi. Il fallait ne pas laisser l'attention de l'Assem- 
blée se disperser sur d'autres objets; Brissot de- 
mande donc à lire a une pièce de la plus haute 
importance, un chef-d'œuvre de discussion et de 
méthode, le réquisitoire du procureur général syndic 
du département. » L'Assemblée le lui permet. Puis 
le président annonce qu'il vient de recevoir de Ma- 
nuel une lettre ainsi conçue : 



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m 



IrE 20 JUIN i792. 



«c Pària, le 43 juillet 479i. 

« Messieurs, 

a Je sors d'une fièvre brûlante; on m'apprend que 

<( le roi a confirmé Tarrêté diOamatoire du dépar- 
te temént; il faut que je sois tout à fait sans force 
« pour ne pas vous aller montrer ma conscience et 
« vous porter ma tête. 

« Mais je m'engage, lorsque j'aurai recouvré un 
« peu de santé, à prouver que j*ai fait, le 20 juin, 
« mon devoir, et à confondre tous mes vils et lâches 
« ennemis, qui ne sont que ceux du peuple. 

« Et je n'ai que la force de signer. 

tf Hajiubl, procureur de la commune. » 

Le président venait d'achever la lecture de cette 

lettre ridiculement emphatique, dans laquelle Manuel 
offrait une tète qu'on ne lui demandait pas, lorsque 
Muiaire, rappoi leur de la commission des Douze, se 
présente à la tribune. 

Acceptant la plupart des excuses énoncées dans 
l'exposé de Pétion, U concluait à la levée de la suspen- 
sion. Quant au procureur de la commune, qui ne s'est 
point assez montré pour rétablir le calme, les Douze 
croyaient devoir ajourner leur décision jusqu'à ce que 
Manuel ait été entendu. Le rapporteur, en terminant, 
rappelait au peuple « que, s'il veut jouir des droits 
que la Constitution lui a rendus, il ne doit jamais 
oublier le respect et l'obéissance dus à la loi, aux 



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LK 20 JUIN 1791 



196 



autorités constituées par lui et pour lui. »» Aussi est- 
il presque unaaimement applaudi. Quelques voix ce* 
pendant s*élèvent contre Pétion. Delfau lui repro- 
che tt de n'avoir pas su mourir à sou poste, comme 
le maire d*Étampes Favait fait quelques mois au- 
paravant. » 

A gauche éclatent des exclamations moqueuses, à 

droite des cris d'approbation; au milieu du tumulte, 
Dumolard fait entendre cette belle parole : « Les 
murmures de l'anarchie honorent les mânes du ver- 
tueux magistrat. — Ne vaut-il pas mieux, reprend 

Delfau, mourir honoré que de vivre en lâche et sans 
honneur? » 

Dalmas d'Aubenas attaque surtout, dans la con- 
duite du maire de Paris, ses lâches complaisances à 
Végard des violateurs de la loi et l'impatience avec 
laquelle il a secoué l'autorité départementale qui fait 
obstacle « à cette dictature qu'on lui destine, m Les 
récriminations se croisent et s entre-cboquent; les tri- 
bunes mêlent leurs murmures, de plus en plus scan- 
daleux, aux violentes interruptions partant à chaque 
minute et de la droite et de la gauche. La Montagne 
elle-même proteste contre l'intolérance des specta- 
teurs, qui prétendent empêcher de parler quiconque 
n'a pas des opinions confonnes à leur bon plaisir. 
Ëulin, G'urod (de l'Âin), obtenant la parole- pour une 
motion d'ordre, dit : « Les départements jugeront le 
jugement que nous allons rendre. Les Parisiens nous 
jugeront eux-mêmes lorsque leur moment d'ivresse 



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190 



LE 20 JUIN 1792. 



sera passé. Je deaiaiicle le vote par appel nominal, » 
Un autre membre de la droite dépose sur le bureau 
un projet de décret ainsi conçu : 

<c L'Assemblée nationale, considérant qu'il est dé-^ 
montré à la France entière que, si la municipalité de 
Paris a la volonté, elle n a pas le pouvoir d'empêcher 
quelques individus des faubourgs Saint-Antoine et 
Saint-Marcel de se rassemble!' en armes toutes les 
fois qu'ils le voudront, décrète qu'à l'avenir elle 
tiendra ses séances à Rouen ou dans toute autre ville 
du royaume qui respectera les lois. » 

La majorité rejette tous les contre-projets, tous les 
amendements, refuse de procéder à Tappel nominal 
et adopte, sans que la droite prenne part au vote, le 
projet présenté par Muraire. En conséquence, la sus- 
pension du mdre de Paris, prononcée par l'arrêté 
départemental du d juillet, confirmée par la procla- 
mation royale du 11, est levée. 



XXXVIL 



Le triomphe de la municipalité fut bruyamment 
célébré par le maire et le procureur de la commune 
eux-mêmes, par leurs amis particuliers et par tous 



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LE 20 JUIN 1792< 



les jacobins, au sein du conseil général et de la Lé- . 
giâlative. 

Le 16 juillet 9 Manuel se présenta à la barre de 
l'Assemblée. « Si je n'ai pas répondu plus tôt aux 
9ùupçam injurieux dont j'ai été Tobjet, dit-îl , c'est 
que j'étais malade. » Accumulant mensonges sur 
calomnies, comparaisons ampoulées sur antithèses 
ridicules, il s'excuse d'entretenir encore les législa- 
teurs d'une journée qui n'est, prétend-il, devenue 
fameuse « que parce que la cour a voulu la grossir 
de tous ses vices. » U fait Téloge de la municipalité 
et de ces patriotes purs qui sont venus , le 16 juin, 
planter une pique dans la salie de la maison com- 
mune, à côté du maire, C'était là sa place, s'écrie- 
t-il; car Minerve en a toujours une. » L'invasion du 
palais le touche peu; « les palais des rois devraient 
être ouverts comme les églises, et si Louis XVI avait 
eu Time de Marc Aurèle, il serait descendu dans son 
jardin pour y goûter un plaisir dont il n'est plus 
digne... n 

La droite accueille par des murniuies ces inso- 
lentes absurdités; les tribunes les applaudissent & 
outrance. 

Manuel continue ; « Jamais il n'y a eu moins de 
voleurs aux Tuileries que ce jour-là , len courtiêaru 
ayant pri$ la fuite; le bonnet rouge a iionoré la téte 
du roi... ce devrait être sa couronne... Tout s*est 
passé dans le plus grand calme, parce que le maire 
de Paris a exercé prés du trône l'empire de la vertu* 



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m 



LE SO JUIN in^. 



Quant à moi^ traversant le jardin des Tuileries sans 

mon écharpe de procureur de la commune , conver- 
sant plutôt que commandant, j'ai été mieux à même 
d'apaiser les passions. » 

Pour faire ressordr la grandeur de sa conduite. 
Manuel tonne contre celle du roi , contre celle de La 
Fayette*.* « Défendez-vous, lui crie la droite, mais ne 
calomniez pas ! )) Après avoir encore calomnié, Manuel 
s'abandonne à tout le dévergondage de son imagina- 
tion hyperbolique: «Dés lors s'élève, s'écrie-t-il, dans 
les lambris du Louvre, au confluent de la liste civile, 
un autre canal qui creuse dans les ténèbres un cachot à 
Pétion.; ie département, en frappant la municipalité, 
explique comment, dans la féte de la loi, il repré- 
sentait la loi sous la ligure du crocodile » 

Quelques jours plus tard , Févêque constitutionnel 
du Cher , Tomé, fit encore de la journée du 20 juin 
la description suivante : 

il Un peuple nombreux s* assemble en armes pour 
célébrer une féte civique ; il parait dans le sein du 
corps législatif; il y déploie toute la majesté d'un 
peuple libre. Après avoir offert ses hommages à ses 
représentants élus, il se rend tranquillement et avec 
la même dignité chez son représentant héréditaire. 
Jamais peuple n'avait montré aux yeux d'un mo- 
narque tant de force , de dignité , de modéi ation et 
de respect tout ensemble pour sa personne et pour la 

4. pogographe, p. $44 du t. XIY, 



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LC 30 JUIN 179%. 



191» 



loi. Jamais un roi ne fut plus dignement entouré ; 

les haillons de la vertu avaient pris la place de la 
domrede tous les vices. Ce peuple ne jeta sur le luxe 
royal que des regards de mépris; dans ses yeux se 
mariaient le reproctie et l'amour, le mécontentement 
et la retenue; sur ses lèvres était la vérité sans 
injure, et dans ses bras lut la force, la grande force 
sans attentat... Jamais roi n'eut une cour plus digne 
d*un père du peuple, et jamais lui-même n*eut une 
popularité plus touchante et plus calme; s'il eut un 
moment de défiance, bientôt elle fit place à la sé- 
curité et se termina par l'admiration ^ » En termi- 
nant , Tomé s'élevait contre les suggestions pestifé- 
rées de la cour, les horreurs clandestines d'une 
procédure infernale, les machinations des Feuillants 
et de tous les animaux nourris à la ménagerie de la 
liste civile 

Le conseil général de la commune, qui, comme 
nous l'ayons vu , avait jeté un blftme sur la con- 
duite de ses deux premiers magistrats en prenant 
en considération la motion du courageux Cahier, eut 

1 . Yoir le Journal de9 Débats et Décrets, p. 203, d*" 299, et 
le discours que Tomé fit imprimer à l'Imprimerie nationale. 
Ce discours n'occupe pas moins de vingt-six pages in-8^ toutes 
sur le même Ion. 

2, L'évêque constitutionnel du Cher, qui était loin, on le 
voit, de profe-^er la mansuétude évangéli<|ue, «iemble f;^ire ici 
allusion à un abominable pamphlet, probablement dû à la plume 
d un de ses amis, puisqu'il se sert en pleine Assemblée des 
mêmes expressions qoe l'ignoble folliculaire. Nous avons re- 



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200 



LE 20 JLi.N I7U2. 



à entendre son procureur-syndic se glorifier de nou- 
veau de tout ce qu'il n'avait pas fait, le 20 juin, 
et des haines qu'il nourrissait contre la royauté con- 
stitutionnelle. Le jour de sa réinstallation à UHôtel 
de Ville, Manuel prononça le discours suivant : 

0 Messieurs, 

« Je reprends ma place, parce que je n'ai point 
mérité de la perdre. Le département et le roi ont 
pu me suispendre, mais j'étais plus fort qu'eux, 
j'avais pour moi ma bonne conscience et le sufiTrage, 

on ne dit plus des honnêtes gens y mais des hommes 

rrouvé deux éditions de cet écrit. Nous en citons ici tout ce 
qui peut en être bouiiètement extrait, pour faire deviner le 
reste : 

Description de la ménagerie royale d'animaux vivants, 
établie aux Tuileries, pràs de la terrasse nationale^ avec 
leurs noms, qualités, couleurs et propriétés, 

« Tl y a quelque tomps qu'il existe dans le château de 
Henri IV une ménagerie véritablement curieuse, tant par la 
rareté des animaux qui la composent que par la dépense exces- 
sive que son entretien coûte à la nation. 

« Le public a examiné les hôtes féroces qui étaient dans 
leurs cages respectives dans ie parc de Versailles. Il peut voir 
plus commodément et sans se déranger beaucoup, une quantité 
de quadrupèdes rassemblés au Louvre. Nous allons citer les 
plus remarquables (le ces bAtes féroces, iiKliqiuT leurs habi- 
tudes et leurs inclinationSf Jeur manière de se nourrir et leurs 
propriétés, i» 

Suit la description du royal Yeto, du royal Veto femelle, du 
Deiphînus» de la Madame Royale, d'Élisabeth Vélo, etc., etc. 



LE 20 âUm 1192. 



de bien. La commune n'a point à applaudir au retour 
de ses magistrats, c'est une justice qu'on leur a ren- 
due ; ils n'auraient point voulu de grâce. Comme 
eux, l'Assemblée nationale a fait son devoir. Mon 
honorable exil m'a procuré un plaisir que je sentirai 
toute ma vie. J'ai reçu du peuple de ces marques 
d'estime et d'attachemeut que les déserteurs de la 
commune ne recevront jamais à la cour des rois qui 
n'ont encore que de l'argent à donner. Je n'avais pas 
besoin de cet encouragement pour le servir, c'est par 
principe comme par sentiment que j'ai toujours 
défendu ses droits, et avec mon cai*actère on ne 
change jamais. Mon ambition est et sera toujours la 
même : mériter l'estime des bons citoyens et la 
haine des méchants» n 



XXXVllL 



Sur ces entrefaites fut célébrée la féte de la 
deuxième fédération. Elle fut aussi morne que la pre- 
mière avait été brUlante. Celle de 1790 avait été 
toute rayonnante de joie et d'espérance, celle de 
1792 fut pleine d'angoisses et de troubles. Deux ans 
auparavant, les cœurs couraient au-devant des cœurs, 
les partis, à peine dessinés, oubliaient leurs dissenti- 



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m LE 20 JUm 1791 

ments dans un embrassement fraternel. Après le 

20 juin, les illusions étaient anéanties, les cœurs 
s'étaient ulcérés , les âmes débordaient d'amertume 

et de colère. 

Nous ne nous arrêterons pas à décrire la fédération 

du 14 juillet 1792. Les céréiuouies ofiicïelles se res- 
semblent toutes. Les pensées secrètes des acteurs ne > 
sont que trop souvent en contradiction flagrante 
avec les discours qu'ils prononcent; on prête des 
serments que Ton sait ne pouvoir tenir; on déclare 
pompeusement que L'ère des révolutions vient de se 
cloref au moment même où l'on s'apprête à la 
rouvrir; on a sur les lèvres des paroles de concorde 
et de réconciliation^ au fond du cœur des sentiments 
de haine et de vengeance. 

L'Assemblée avait réglé, par un décret du i2 juil- 
let, le cérémonial qui devait être observé dans la fête 
du i&. Du baut de T estrade élevée au milieu du 
Champ de Mars, le président lut la formule du ser- 
ment, chaque député répondit individuellement; 
puis le roi prêta celui que la constitution lui avait 
particulièrement imposé; enQn le serment civique lut 
prononcé par le commandant de la garde nationale 
parisienne, et tous les citoyens répétèrent en un 
chœur général ces mots sacramentels : Je le Jure. 

Le roi était placé à gauche du président et sans 
intermédiaire. Louis XVI était triste et résigné. Lors- 
qu entouré des membres de F Assemblée nationale il 
monta les marches de l'autel de la patrie » on crut 



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LE 20 JUIN 



m 



voir, suivant la belle expression de M""* de Staél, 

a la victime s' offrant voloataiiement au sacrifice. 
Tous les honneurs populaires furent pour Pétion, le 
véritable triomphateur du jour, traînant, pour ainsi 
dire, le roi de France derrière son char, comme au* 
trefois César victorieux traînait les vsdncus de la 
Gaule. 

On entendsdt hurler de tous côtés : Péiim ou la 
mort! on voyait ces mots écrits sur toutes les ban- 
nières; les hommes à pique, les émeutiers des fau- 
bourgs les portaient inscrits à la craie sur leurs 
chapeaux. A voir l'enthousiasme dont il était Tob** 
jet, Pétion put croire à Téternité de sa popularité. 
Un an après, jour pour jour, il était mis hors la loi, 
et les mèuies individus criaient ; Pétion à la moiL ^ ! 

4 . Proscrit le 2 juin, mis hors la loi le 46 juillet 1793, Pétion 
erra, avec plusieurs de ses amis Girondins, en Normandie, en 
Bretagne et dans les environs de Bordeaux. Traqué d'asile en 
a&ile, il finit par se donner la mort de ses propres mains. On 
retrou VH , dans un champ de blé, son cadavre à moitié dévoré 
par les lotips. 

Le 49 janvier 4793, Manuel, en butte aux menaces les plus 
violentes des tribunes de la Convention , donnait sa démission 
de représentant et se retirait à Montargis, sa ville natale. Il 
faiUit y être écharpé par la populace. Arraché tout sanglant des 
mains des assassins, il fut conduit prisonnier à Orléans, de là 
traduit au liibunal revoluUoiiiiaire de Pau» et condamue à 
mort, le 27 brumaire an u (47 novembre 479J). 



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NOTES 



18 



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I 

LE RETOUR DE VARENNES 

RACONTÉ PAR PÉT10N«^ 
( Yoir page 45. ) 

(I Je fus nommé avec Maubourg et Bamave, pour aller 
au-devant du roi et des personnes qui l*accompagnaient. 

« Cette nomination avait été faite sur la présentation 
des comités de constitution et militaire réunis. 

<i Je ne fis d'abord aucune attention à la manière dont 
cette ambassade était composée; depuis longtemps je 
n'avais aucune liaison avec Bamave, je n'avais jamais 
fréquenté Maubourg. 

« Maubourg connaissait beaucoup madame de Tourzel, 
et on ne peut se dissimuler que Barnave avait déjà conçu 
des projets. Ils crurent très^politique de se mettre sous 
Fabri d*un bomme qui était connu pour Tennemi de toute 
intrigue et Tami des bonnes mœurs et de la vertu. 

1. L'authenticité de ce récit ne saurait Mre révoquée en doute. Lu 
pièce originale a été saisie dans les papiers mêmes de P*'tian, au mo- 
ment de sa fuite aprè<* le 2 juin 1793. Elle est entièrement écrite 
4e sa maiD ; noiia en ikTona respecté Ja8<(u*aux iaute» d'orUiographe, 



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m 



LE %Q JUIN 



« Deux heures après ma nomination, je me rendis chez 

M. Maubourg, lieu du rendez-vous. 
« A peine y fus-je entré que Duport arriva « que La 

Fayette arriva ; je ne fus pas peu surpris de voir Uuport 
et 1^ Fayette causer ensemble familièrement, amicale- 
ment. Je savais qu'ils se détestaient et leur coalition 
n'était pas encore publique. Arriva aussi un homme que 
j*ai toujours estimé, M. Tracy. 

tt On s'entretint beaucoup des partis qu'on prendrait 
envers le roi; chacun disait que « ce gros cochon-là était 
«fort embarrassant. L'enfermera-t-on? disait l'un: rè- 
tt gnera-t-il? disait l'autre; lui donnera-t-on un conseil?» 

(( La Fayette faisait des plaisanteries, ricanait; Duport 
s'expliquait peu ; au milieu d*une espèce d'abandon , 
j'apercevais clairement beaucoup de contrainte. Je ne me 
laissai point aller avec des gens qui visiblement jouaient 
serré et qui déjà sans doute s'étaient fait un plan de 
conduite. 

<f Bamave se fit attendre très-longtemps. Nous ne par- 
tîmes qu'à quatre heures du matin, 
a Nous éprouvâmes à la barrière un petit retard, parce 

qu'un ne laissait passer personne, et je vis le moment où 
nous serions obligés de rétrograder. 

« M. Dumas étaiL avec nous. Nous fûmes le prendre 
chez lui. 

« L'Assemblée , également sur la présentation des co- 
mités, lui avait conilé le commandement général de 
toutes les forces que nous jugerions utile et nécessaire de 
requérir. 



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LE 20 JUIN 1792. S09 

« Cette nomination n*est pas indifférente. M. Dumas 
était la créature des Lameth. 

(c Nous voilà donc partis par un très-bon temps. Les 
postillons, qui savaient l'objet de notre voyage, nous con- 
duisaient avec la plus grande rapidité. 

a Dans les villages, dans les bourgs, dans les villes, 
partout sur notre passage, on nous donnait des témoi- 
gnages de joie, d'amitié et de respect. 

« Dans tout le cours de la route, nous n'arrét&mes que 
le temps nécessaire pour manger prumptement un mor- 
ceau. A La Ferté*sous-Jouarre, une procession ralentit un 
instant notre marche : nous mtmes pied à terre, nous 
gagnâmes une auberge pour déjeuner. Les officiers mu- 
nicipaux vinrent nous y joindre; un grand nombre de 
citoyens nous entourèrent ; nous ne couchâmes point. 

« Arrivés à Dormans où nous nous disposions à d!ner, 
des courriers vinrent nous dire que le roi était parti le 
matin de Chàlons et qu'il devait être près d'Épernay ; 
d'autres assurèrent qu'il avait été suivi dans sa marche 
par les troupes de Bouilié et qu'il allait d'un instant à 
l'autre être enlevé. Plusieurs, pour confirmer ce fait, sou- 
tinrent avoir vu de la cavalerie traverser dam les bois^ 

« Rien ne nous paraissait plus naturel que cette nou- 
velle tentative de M. de Bouilié ; avec son caractèi-e connu^ 
a il voudra» disions-nous, plutôt périr que de l'abandon- 
ner. » 

a Cependant le roi avançait dans l'intérieur; il laissait 

déjà derrière lui Chàlons, et il nous paraissait difficile de 
tenter un coup de main et surtout de réussir; de sorte 

12. 



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m 20 JUIN iW, 

qu*en combinant toutes les circonstances noas penchions 

davantage à croire que M. de Bouillé nliasarderait pas 
me housardefie semblable, qui pouvait d'ailleurs com- 
promettre la personne du roi. 

« Nous ne nous donnâmes que le temps de manger 
debout un morceau, de boire un coup, et nous nous 
mimes en marche. 

« Mes compagnons de voyage avaient usé avec moi 
dans tout le cours du voyage de beaucoup de discrétion 
et de réserve; nous avions parlé de choses indifférentes. Il 
n'y avait eu qu'un seul instant qui avait éveillé en moi 
quelques soupçons. On avait remis sur le tapis la ques- 
tion de savoir ce qu'on ferait du roi. Maubourg avait dit ; 
(f 11 est bien diflQclle de prononcer; c'est une bête qui 
tt s*est laissé entraîner ; il est bien malheureux, en vérité, 
< il fait pitié. » Bamave observait qu'en effet on pouvait 
le regarder comme un imbécile ; a Qu'en pensez-vous, 
« me ditril , Pétion? n Et dans le même moment il fit un 
signe à Maubourg, mais de ces signes d'intelh'gence pour 
celui à qui on les fait et de défiance pour celui de qui on ne 
veut pas être vu ; cependant, il était possible que, connais- 
santFaustérité et l'inflexibilité de mes principes, il ne vou- 
iaît dire autre chosesiaoïi : Pétion va condamner avec toute 
la rigueur de la loi et comme si c'était un simple citoyen. 

« Je répondis néanmoins que je ne m'écartais pas de 
ridée de le traiter comme un imbécile , incapable d'oc- 
cuper le trône, qui avait besoin d'un tuteur, que ce 
tuteur pouvait être un conseil national. Là-dessus des 
objections, des réponses, des répliques; nous parlâmes 



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LK 20 JUIN 1192. 



de la régeûoe, de la difficulté du choix d'un régent. 

« M. Dumas n'était pas dans la même voiture que nous. 
Sortant de Dormans, M. Dumas examinait tous les en- 
droits comme ud général d'armée. « Si M. de Bouillé 
«arrive, disait-il, il ne peut prendre que par là ; on peut 
K Tarréter à cette hauteur et ce déûlé; sa cavalerie ne 
< peut plus manœuvrer, n II fit même une disposition 
militaire, il donna ordre à la garde nationale d'un bourg 
de prendre tel et tel poste. 

a Ces précautions paraissaient non*seuiement inutiles, 
mais ridicules. Nous nous en divertîmes, et je^ois dire 
que M. Dumas lui-même s'en amusait. 11 n'en paraissait 
pas moins sérieux avec les habitants des campagnes qui 
s'attendaient sérieusement à combattre. 

' « Le zèle qui animait ces bonnes gens était vraiment 
admirable; ils accouraient de toutes parts, vieillards, 
femmes et enfants : les uns avec des broches, avec des 
faux, les autres avec des bâtons, des sabres, des mauvais 
fusils, ils allaient comme à la noce; des maris embras- 
saient leurs femmes leur disant : « Eh bien I s'il le faut» 
u nous irons à la frontière tuer ces gueux, ces j... 
« là ; ah t nous l'aurons, ils ont beau faire. » — Ils cou* 
raient aussi vite que. la voiture; ils applaudissaient , ils 
crîaient : Vive la nation 1 J'étais émerv^Ué, attendri de 
ce sublime spectacle. 

« Les courriers se multipliaient , se pressaient, nous 
disaient : Le roi approche. Â une lieue, une lieue et de- 
mie d'Épemay, sur une très-belle route, nous apercevons 
de loin un nuage de poussière, nous entendons un grand 



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212 L£ 20 JUIN 1 Ï92. 

bruit; plusieurs personnes approchent de notre voiture et 
nous crient : Voilà le roi 1 Nous faisons ralentir le pas 
des chevaux; nous avançons; nous apercevons un groupe 
immense; nous mettons pied à terre. La voiture da roi 
s*arréte, nous allons au-devant; l'huissier nous précède 
et le cérémonial s'observe d'une manière imposante. 
Aussitôt qu^on nous aperçoit on s*ëcrie : Voilà les députés 
de r Assemblée nationale! On s'empresse de nous faire place 
partout; on donne des sigruUs d'ordre et de silence. Le 
cortège était superbe : des gardes nationales à cheval , à 
pied, avec uniforme, sans uniforme, des armes de toutes 
espèces; le soleil sur son déclin réfléchissait sa lumière 
sur ce bel ensemble, au milieu d'une paisible campagne; 
la grande circonstance, je ne sais, tout cela était impo- 
sant et faisait naître des idées qui ne se calculent pas ; 
mais que le sentiment était diversifié et exagéré fie ne puis 
peindre le respect dont nous fumes environnés. Quel 
ascendant puissant, me disais-je, a cette Assemblée ! quel 
mouvement elle a imprimé i que ne peut-elle pas iaire l 
Gomme elle serait coupable de ne* pas répondre à cette 
confiance sans bornes, à cet amour si touchant I 

tt Au milieu des chevaux, du cliquetis des armes , des 
applaudissements de la foule que l'empressement attirait, 
que la crainte de nous presser éloignait, nous arrivâmes 
à la portière de la voiture. Elle s'ouvrit sur-le-champ. 
Des bruits confus en sortaient. Là reine « Madame Elisa- 
beth paraissaient vivement émues, éplorées : «Messieurs, 
c dirent-elles avec précipitation, avec oppression, les 
(c larmes aux yeux; messieurs 1 Ah I monsieur Maubouig! 



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L£ 20 JUIN m 

c( en lui prenant la main en grâce; ahl monsieur» pre- 

u naiu aussi la main àBarnave; ah I monsieur. Madame 
a ÉUsabeth appuyant seulement la maîn sur la mienne, 
« qu'aucun malheur n'arrive, que les gens qui nous eut 
tt accompagnés ne soient pas victimes, qu'on n'attente 
<i pas à leurs jours I Le roi n*a point voulu sortir de 
a France l — Non, messieurs, dit le roi , en parlant avec 
a volubilité, je ne sortais pas , je Tai déclaré, cela est 
« vrai. )} Cette scène fut vive, ne dura qu'une minute; 
mais comme cette minute me frappe I Maubourg répon- 
dît ; je répondis par des : Ah ! par des mots insigniHants 
et quelques signes de dignité sans dùreté , de douceur 
sans afféterie, et, brisant ce colloque, prenant le carac- 
tère de notre mission, je l'annonçai au roi en peu de 
mots et je lui lus le décret dont j'étais porteur. Le plus 
grand silence régnait dans cet instant, 

« Passant de l'autre côté de la voiture, je demandai du 
silence, je l'obtins et je donnai aux citoyens lecture de 
ce d^ret; il fut applaudi. M* Dumas prit à l'instant 
le commandement de toutes les gardes qui jusqu'à ce 
moment avaient accompagné le roi. 11 y eut de la part 
de ces gardes une soumission admirable. C'était avec joie 
qu'elles reconnaissaient le chef militaire qui se plaçait à 
leur tête; l'Assemblée l'avait désigné; il semblait que 
c'était pour eux un objet sacré, 

« Nous dîmes au roi qu'il était dans les convenances 
que nous prissions place dans sa voiture, fiarnave et moi 
nous y entrâmes. Â peine y eureru nous mis le premier 
pied que nous dîmes au roi : « Mais« Sire, nous allons 



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214 tO JUIN 1793. 

« votis gêner, voas incommoder; il est impossible que 
tt 0Qu$ trouvions piace ici. » Le roi uous répoudit : « Je 
(c désire qu*aucune des personnes qui m*ont accompagné 
(( ne sorte, je vous prie de vous asseoir, nous allons nous 
« presser, vous trouverez place. » 

« Le roi, la reine, le prince royal étaient sur le der- 
rière. Madame Élisabeth, madame de Tourzel et Madame 
étaient sur le devant. La reine prit le prince sur ses ge- 
noux, Bamave se plaça entre le roi etla reine, madame de 
Tourzel mit Madame entre ses jambes, et je me plaçai 
entre Madame Élisabeth et madame de Tourzel. 

u Nous n'avions pas fait dix pas qu'on nous renouvelle 
les protestations que le roi ne voulait pas sortir du 
royaume et qu*on nous témoigne les plus vives inquié- 
tudes sur le sort des trois gardes du corps qui étaient sur 
le siège de la voiture. Les paroles se pressaient, se croi- 
saient; chacun disait la même chose; il semblait que 
c'était le mot du gué; mats il n*y avait aucune mesure, 
aucune dignité dans cette conversation, et je n'aperçus 
surtout sur aucune des ûgures cette grandeur souvent 
très-imprimante que donne le malheur à des âmes éle- 
vées. 

« Le premier caquetage passé, j'aperçus un air de sim- 
plicité et de famille qui me plut; il n*y avait plus là de 
représentation royale, il existait une aisance et une homu 
hammie domestique : la reine appelait Madame Élisabeth 
ma petite sœur. Madame Élisabeth lui répondait de même. 
Madame Élisabeth appelait le roi mon frère, la reine fai- 
sait danser le prince sur ses genoux. Madame, quoique 



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LE 20 JUIN 1792. 215 

plus réservée, jouait avec son frère; le roi regardait tout 

cela avec un air assQZ satisfait, quoiijue peu ému et peu 
sensible. 

u J'apeii^us, en levant les yeux au ciel de la voilure, un 
chapeau galonné dans le ûlet; c'était , je n'en doute pas« 
celui que le roi avait dans son déguisement, et j'avoue 
que je fus révolté qu'on eût laissé subsister cette trace 
qui rappelait une action dont on devait être empressé et 
jaloux d'anéantir jusqu'au plus léger souvenir, involon- 
tairement, je portais de temps à autre mes regards sur 
le chapeau; j'ignore si on s'en aperçut. 

« Texaminai aussi le costume des voyageurs. U était 
impossible qu'il fût plus mesquin. Le roi avait un habit 
brun peluché, du linge fort sale; les femmes avaient de 
petites robes très-communes et du matin. 

<c Le toi parla d'un accident qui venait d'arriver à uo 
seigneur qui veuait d'èlre égorgé, et il en paraissait très- 
affecté. La reine répétait que c'était abominable, qu'il 
faisait beaucoup de bien dans sa paroisse et que c'étaient 
ses propres habitants qui l'avaient assassiné. 

K Un autre fait rafTectait beaucoup : elle se plaignait 
amèrement des soupçons qu'on avait manifestés dans la 
route contre elle. « Pourriez^vous le croire? nous disait* 
« elle; je vais pour donner une cuisse de volaille à un 
« garde national qui paraissait nous suivre avec quelque 
tt attachement ; eh bien, on crie au garde national ; u I^e 
« manges pas, déOez-vousl » en faisant entendre que 
«cette volaille pouvait être empoisonnée. Oh! j'avoue 
(c que j'ai été indignée de ce soupçon, et à Tinstant j'ai 



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'M LE 20 JUIN 179S. 

(f distribué de cette volaille à mes enfants^ j'en ai mangé 
u moi-même. » 

(1 Cette histoire à peine finie : <r Mesrieurs, noas dit- 
« elle, nous avons été ce matin à la messe à Châlons, 
c( mais une messe constitutionnelle. » Madame Élisabeth 
appuya, le roi ne dit un mol. Je ne pus pas m'euipêcher 
de répondre que cela était bien, que ces messes étaient 
les seules que le rui diit entendre; mais j'avoue que je 
fus très-mécontent de ce genre de persiflage et dans les 
circonstances où le roi se trouvait. 

u La reine et Madame ËlisabetU revenaient sans cesse 
aux gardes du corps qui étaient sur le siège de la voiture, 
et témoignaient les plus vives inquiétudes. 

« Quant à moi, dit madame de Tourzel, qui avait 
(( gardé jusqu*alors le silence, mais avec un ton résolu 
c( et très-sec, j'ai fait mon devoir en accompagnant le roi 
u et en ne quittant pas les enfants qui m ont été conQés. 
u On fera de moi tout ce qu'on voudra, mais je ne me 
(( reproche rien. Si c'était à recommencer, je recommen- 
u cerais encore. » 

<t Le roi parlait très-peu, et la conversation devint plus 
particulière; la reine parlât à Bamave et Madame liîiisa- 
beth me paWa, mais comme si on se fût distribué les 
rôles en se disant : Chargez-vous de votre voisin, je vais 
me charger du mien. 

u Madame Élisabeth me ûxait avec des yeux attendris, 
avec cet air de langueur que le malheur donne et qui 

inspire un assez vif intérêt. Nos yeux se i encan traient 
quelquefois avec une espèce d'intelligence et d'attraction. 



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L£ SU JUIN 1792. 217 

la naît se fermait, la lune coinment^ait à répandre cette 
clarté douce. Madame Elisabeth prit Madame sur ses ge- 
noux, elle la plaça ensuite moitié sur son genou, moitié 
sur le mien; sa tête fut soutenue par ma main, puis par 
la sienne. Madame s*endormit, j'allongeai mon bras, Ma- 
dame Élisabeth allongea le sien sur le mien. Nos bras 
étaient enlacés, le mien touchait sous son esele, je sentais 
des mouveinciiis qui se précipitaient, une chaleur qui tra- 
versait les vêtements; les regards de Madame Élisabetb 
me semblaient plus touchants. J'apercevais un ceriain 
abandon dans son maintien, ses yeux étaient humides, 
la mélancolie se mêlait à une espèce de volupté. le puis 
me tromper, on peut facilement confondre la sensibilité 
du malheur avec la sensibilité du plaisir ; mais je pense 
que si nous eussions été seuls, que si, comme par en- 
chantement, tout le monde eût disparu, elle se serait 
laissé aller dans mes bras et se serait abandonnée aux 
mouvements de la nature. 

« Je fus tellement frappé de cet état que je me disais : 
Quoil serait-ce un artifice pour m'acheter à ce prix? Ma-* 
dame Élisabeth serait-elle convenue de sacrifier son hon- 
neur pour me faire perdre le mien? Oui, à la cour rien 
ne coûte, ou est capable de tout; la reine a pu arranger 
le plan. Et puis, considérant cet air de naturel, Tamour- 
propro aussi ni'insinuant que je pouvais lui plaire, quVile 
était dans cet âge où les passions se font sentir, je me 
persuadais, et j'y trouvais du plaisir, que des émotions 
vives la tourmentaient, qu'elle désirait elle-même qus 
nous fussions sans témoins, que je lui fis ces douces 

13 



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m LE '20 JUIN 1792. 

instances, ces caresses délicates' qui vainquent la pudeur 
sans l'offenser et qui amiuioiiL la défaite sans que la déli- 
catesse s'en alarme, où le trouble et la nature sont seuls 

complices. 

(( Nous allions lentement; un peuple nombreux nous 

accompagnait. Madame Elisabeth m'entretenait des gardes 
du corps qui les avaient accompagnés; elle m'en parlait 
avec un intérêt tendre ; sa voix avait je ne skis quoi de flat- 
teur. Elle entrecoupait quelquefois ces mots de manière à 
me troubler. Je lui répondais avec une égale douceur, 
cependant sans faiblesse, avec un genre d'austérité qui 
n* avait rien de farouche ; je me gardais bien de compro- 
mettre mon caractère ; je donnais tout ce qu'il fallait à la 
position dans laquelle je croyais la voir, mais sans néan- 
moins donner assez pour qu'elle pût penser, même soup- 
çonner, que rien altérât jamais mon opinion, et* je pense 
qu'elle le sentit à merveille, qu'elle vit que les tentations 
les plus séduisantes seraient inutiles, car je remarquais 
un certain refiuidisscment, une certaine sévérité qui 
tient souvent chez les femmes à Tamour-propre irrité. 

« Aous arrivions insensiblement à Dormans. J'obser- 
vai plusieurs fois Barnave, et quoique la demie clarté qui 
régnait ne me permît pas de distinguer avec une grande 
précision, sou maintien avec la reine me paraissait hon- 
nête, réservé, et la conversation ne me semblait pas 
mystérieuse. 

H Nous entrâmes à Dormans entre minuit et une heure; 
nous descendîmes dans l'auberge où nous avions mangé 
un morceau, et cette auberge, quoique très^passable pour 



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LK 20 JUIN 11d2. 



2t9 



un petit eodroit, n'était guère propre à recevoir la famille 
royale. 

tf J'avoue cependant que je n'étais pas fâché que la 
* cour connût ce que c'était qu'une auberge ordinaire. 

« Le roi descendit de voiture, et nous descendîmes 
successivement; il n*y eut aucun cri de : Vive le roi! et 
on criait toujours : Vive la nation ! vive l'Assemblée na- 
tionale 1 quelquefois : Vive Bamavel vive Pétion! Gela 
eut lieu pendciaL toute la route. 

(( Nous montâmes dans les chambres hautes; des senti- 
nelles furent posées à l'instant à toutes les portes. Le roi, 
la reine, Madame Éiisabeth, le prince. Madame, madame 
deTourzel soupèrent ensemble ; MM. Maubourg, Barnave, 
Dumas et moi nous soupâmes dans un autre apparte- 
ment: nous fîmes nos dépêches pour TAssemblée natio- 
nale; je me mis dans un lit à trois heures du matin ; 
Barnave vînt coucher dans le même lit. Déjà j'étais en- 
dormi. iNous nous levâmes à cinq heures. 

(( Le roi était seul dans une chambre où il v avait 
un mauvais lit d'auberge. Il passa la nuit dans un fau- 
teuil. 

« 11 était difiicile de dormir dans l'auberge, car les 
gardes nationales et tous les habitants des environs- 
étaient autour à chanter, à boire et danser des rondes. 

i( Avant de partir, MM. Dumas, Barnave, Maubourg et 
moi, nous passâmes en revue les gardes nationales; nous 
fûmes très-bien accueillis. 

« Nous montâmes en voiture entre ciiiq et six heures, et 
je me plaçai cette fois entre le roi et la reine. Nous étions 



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r 



2S0 LË 20 JUIN 1792. 

fort mal à l'aise. Le jeune prince venait sur mes genoux, 

jouait avec moi; il était fort gai et surtout fort remuant. 

« Le roi cherchait à causer, il me fit d'abord de ces 
questions oiseuses pour entrer ensuite en matière. Il 
me demanda si j'étais marié, je lui dis que oui ; il me 
demanda si j'avais des enfants, je lui dis que j'en avais 
un qui était plus âgé que son fils. Je lui disais de temps 
en temps : « Regardez ces paysages, comme ils sont 
a beaux 1 » Nous étions eu eiïet sur des coteaux admi- 
rables où la vue était variée, étendue; la Marne coulait 
à nos pieds, u Quel beau pays, m'écriai-je, que la 
(( France 1 il n'est pas dans le monde de royaume qui 
(c puisse lui être comparé. » Je lâchais ces idées à des- 
sein ; j'examinais quelle impression elles faisaient sur la 
physionomie du roi ; mais sa figure est toujours froide, 
inanimée d'une manière vraiment désolante, et, à vrai 
dire, cette masse de chair est insensible. 

« 11 voulut me parler des Anglais, de leur industrie, 
du génie commercial de cette nation. 11 articula une ou 
deux phrases, ensuite il s'embarras*sa, s'en aperçut et 
rougit. Cette difficulté à s'exprimer hii donne uul' timi- 
dité dont je m'aperçus plusieurs fois. Ceux qui ne le con- 
naissent pas seraient tentés de prendre cette timidité 
pour de la stupidité ; mais on se tromperait ; il est très- 
rare qu'il lui échappe une chose déplacée, et je ne lui ai 
pas entendu dire une sottise. 

(( 11 s'appliquait beaucoup h parcourir des cartes géo- 
graphiques qu'il avait, et il disait : « Nous sommes dans 
<f tel département^ dans tel district, dans tel endroit. » 



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L£ 20 JUIN 1792. 221 

(( La reine causa aussi avec moi d'une manière mie et 

familière; elle me parla aussi de réducaiion de ses 
enfants. Elle en parla en mère de famille et en femme 
assez instruite. Elle exposa des principes très-justes en 
éducation. Elle dit qu'il fallait éloigner de Foreille des 
princes toute flatterie, qu'il ne fallait jamais leur dire que 
la vérité. Mais j'ai su depuis que c'était le jargon de 
mode dans toutes les cours de l'Europe. Une femme très- 
éclairée me rapportait qu eiie avait vu, et assez familiè- 
rement, cinq ou six princesses qui toutes lui avaient tenu 
le même langage, sans pour cela s'occuper une minute de 
réducation de leurs enfants. 

(( Au surplus, je ne fus pas longteiiips à m'apercevoir 
que tout ce qu'elle me disait était extrêmement superfi- 
ciel, et il ne lui échappait aucune idée loi Le ni de carac- 
tère; elle n'avait, dans aucun sens, ni l'air, ni l'attitude 
de sa position. 

(( Je vis bien cependant qu'elle désirait qu'on lui crût 
du caractère ; elle répétait assez souvent qu'il fallait en 
avoir, et il se présenta une circonstance où elle me tit 
voir qu'elle le faisait consister en si peu de chose que je 
demeurai convaincu qu'elle n'en avait pas. 

« Les glaces étaient toujours baissées ; nous étions cuits 
* par le soleil et étouiiés par la poussière; mais le peuple 
des campagnes, les gardes nationales nous suivant pro- 
cessionnellement, il était impossible de faire autrement, 
parce qu'on voulait voir le roi. 

« Cependant la reine saisit un moment pour baisser le 
sthort. Elle mangeait alors une cuisse de pigeon. Le 



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m LE %0 lUIN 1792. 

peuple murmure; madame Élisabeth fut pour U leoer, la 

reine s'y oppose en disant: a Non, il faut du caractère. » 
Elle saisit Tinstant mathématiqueroii le peuple ne seplai-* 
gnait plus, pour lever elle-même le sthort et pour faire 
croirequ'ellenele levait pas parce qu'on l'avait demandé; 
elle jeta par la portière l'os de la cuisse de pigeon et elle 
répéta ces propres expressions : « Il faut avoir du carac- 
« tère jusqu'au bout. » 

« Cette circonstance est minutieuse, mais je ne puis 
pas dire combien elle m'a frappé. 

a A rentrée de La Ferlé-sous-Jouarre, nous trouvâmes 
un grand concours de citoyens qui criaient : « Vive la 
tt Nation! vive l'Assemblée nationale! vive Barnave! vive 
<( Pétion! » J'apercevais que ces cris faisaient une impres- 
sion désagréable à la reine, surtout à madame Élisabeth. 
Le roi y paraissait insensible, et l'embarras qui régnait 
' sur leurs figures m'embarrassait moi-même. 

« Le maire de La Ferté-sou&-Jouarre nous avait fait 
prévenir qu'il recevrait le roi, et le roi avait accepté cette 
offre. La maison du maire est extrêmement jolie, la 
Marne en baigne les murs. Le jardin qui accompagne 
cette maison est bien distribué, bien soigné, et la ter- 
rasse qui est sur le bord de la rivière est agréable. 

« Je me promenai avec madame Elisabeth sur cette 
terrasse avant le dîner, et là je lui parlai avec toute la 
franchise et ia véracité de mon caractère ; je lui représen- 
tai combien le roi était mal entouré, mal conseillé; je lui 
parlai de tous les intrigants, de toutes les manœuvres 
de la cour avec la dignité d'un homme libre et le dédain 



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LE 20 JUIN 17 92. 



223 



d'un homme sage. Jo mis de la force, de la peisuasion 
dans rexpressioQ de mes sentiments, et l'indignation de 
la vertu lui rendit sensible et attachant le langage de la 
raison; elle parut attentive à ce que je lui disais; elle en 
parut touchée, elle se plaisait à mon entretien, et je me 
plaisais à l'entretenir. Je serais bien surpris si elle n'avait 
pas une belle et bonne âme, quoique très-imbue des pré- 
jugés de naissance et gâtée par les vices d'une éducation 
de cour. 

<c Barnave causa un instant avec la reine, mais, à ce 
qu'il me parut, d'une manière assez indifférente. 

<( Le roi vint lui-même sur la terrasse nous engager à 
dîner avec lui. Nous conférâmes, MM. Maubourg, Bar- 
nave et moi, pour savoir si nous accepterions. «Cette 
(1 familiarité, dit l'un, pourrait paraître suspecte. — 
« Comme ce n'est pas l'étiquette, dit l'autre, on pourrait 
« croire que c'est à Toccasion de la situation malheureuse 
« qu'il nous a invités. » Nous convînmes de refuser» et 
nous fûmes lui dire que nous avions besoin de nous reti- 
rer pour notre correspondance, ce qui nous empêchait de 
répondre à l'honneur qu'il nous faisait. 

<i On servit le roî ainsi que sa famille dans une salle 
séparée; on nous servit dans une autre. Les repas furent 
splendides. Nous nous mîmes à cinq heures en marche. 
£n sortant de La Ferlé, il y eut du mouvement et du 
bruit autour de la voiture. Les citoyens forçaient la garde 
nationale, la garde nationale voulait empêcher d'appro- 
cher. Je vis un de nos députés, Kervelegan, qui perçait 
la foule, qui s'écliautïait avec les gardes nationaux qui 



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m LE SO JUIN 1798. 

cherchaient à l'écarter et qui approcha de la portière en 
jurant, en disant: u Pour une brute comme celle-là, 
a voilà bien dn traîn. » J'avançai ma tête hors de la por- 
tière pour lui parler; il était irès-échauffé ; il me dit: 
« Sont-ils tous là? Prenez garde, car on parle encore de 
« les enlever; vous êtes là environnés de gens bien inso- 
(c lents !» Il se retira et la reine me dit d'un air très- 
piqué et un peu eiiiayé : « Voilà un iiuiuiiie Ijieii mal- 
tt honnête! » Je lui répondis qu'il se fâchait contre la 
garde qui avait agi brusquement à son égard. Elle me 
parut craindre, et le jeune prince jeta deux ou trois cris 
de frayeur. 

«Cependant nous cheminions tranquillement. La reine, 
à côté de qui j'étais, m'adressa fréquemment la parole, 
et j'eus occasion de lui dire avec toute franchise ce que 
Ton pensait de la cour, ce que Ton disait de tous les in- 
trigants qui fréquentaient le Château. 

(c Nous parlâmes de l'Assemblée nationale, du côté 
droit, du coté gauche, de Malouet, de Maury, de Gazalès, 
mais avec cette aisance que l'on met avec ses amis* Je ne 
me gênai eu aucune manière; je lui rapportai plusieurs 
propos qu'on ne cessait de tenir à la cour, qui devenaient 
publics et qui iiidisposaient beaucoup le peuple; je lui 
citai les journaux que lisait le roi. Le roi , qui entendait 
très-bien toute cette conversation, lue dit : u Je vous as- 
<f sure que je ne lis pas plus VAmi du roi que Marat. n 

« La reine paraissait prendre le plus vif intérêt à cette 
discussion; elle l'excitait, elle l'animait, elle faisait des 
réflexions assez fines, assez méchantes. 



LE 20 JUIN 1792. 



225 



« Tout cela est fort bon, me dit-elJe; oo blâme beau- 
(( coup le roi, mais on ne sait pas assez dans quelle posi- 
tt tion il se trouve ; on lui fait à chaque instant des récits 
« qui se contredisent, il ne sait que croire; on lui donne 
« successivement des conseils qui se croisent et se dé- . 
« truisent, il ne sait que faire: comme on le rend mal- 
« heureux, sa posiiion n'est pas tenable ; on ne l'entre- 
« tient en même temps que de malheurs particuliers, que 
« de meurtres; c'est tout cela qui Ta déterminé à quitter 
« la capitale. La couronne, m*ajouta-t-eile, est en suspens 
« sur sa tête. Vous n'ignorez pas qu il y a un parti qui ne 
« veut pas de roi, que ce parti grossit de jour en jour. » 

« Je crus très-disLinctement apercevoir l'intenlion de la 
reine en laissant échapper ces derniers mots; pour mieux . 
dire, je ne pus pas me méprendre sur Tapplication qu'elle 
voulait en faire. 

« Eh bieni lui dis-je, Madame, je vais vous parler avec 
<( toute franchise, et je pense que je ne vous serai pas 
« suspect. Je suis un de ceux que Ton désigne sous le 
u titre de républicains et, si vous le voulez, un des chefs 
« de ce parti. Rar principe, par sentiment, je préfère le 
a gouvernement républicain à tout autre. 11 serait trop 
<( long de développer ici mon idée, car il est telle ou telle 
« république que j'aimerais moins que le despotisme d'un 
<r seul. Mais il n*est que trop vrai, je ne demande pas que 
« vous en conveniez, mais il n'est que trop vrai que 
<( presque partout les rois ont fait le malheur des hommes; 
« qu'ils ont regardé leurs semblables comme leur pro- 
c( priété; qu'entourés de courtisans, de flatteurs, ils 

13. 
» 



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m LE 20 JUIN 1192. 

H échappcnl rarement aux vices de leur éducation pre- 

« mière. Mais, madame, est-il exact de dire qu'il existe 
« maintenant an parti républicain qui veuille renverser 
« la Constitution actuelle pour en élever une autre sur 
<( ses ruines? On se plaît à le répandre pour avoir le pré- 
« texte de former éç^aloment un autre parti hors la Con- 
« stilution, un parti royaliste non constitutionnel, pour 
« exciter des troubles intérieurs. Le piège est trop gros- 
<( sier. On ne peut pas, de bonne loi, se persuader que le 
(( parti appelé républicain soit redoutable; il est composé 
a d'hommes sages, d hommes à principes d'honneur, qui 
« savent calculer et qui ne hasarderaient pas un boute- 
« versement général qui pourrait conduire plus facile- 
(( ment au despotisme qu*à la liberté. 

il Ah ! Madame, que le roi eût été bien conduit, s'il eût 
c( favorisé sincèrement la révolution! Les troubles qui 
« nous agitent n'existera i(;nt pas, et déjà la Constitution 
tt marcherait, les ennemis du dehors nous respecteraient; 
« le peuple n'est que trop porté à chérir et idolâtrer ses 
u rois. » 

« Je ne puis dire avec quelle énergie, avec quelle abon- 
dance d'âme je lui parlai; j'étais animé par les circon- 
stances et surtout par Tidée que les germes de la vérité 
que je jetais pourraient fructifier, que la reine se sou- 
viendrait de ce moment d'entretien. 

u Je m'expliquai eniin très-clairement sur l'évasion du 
roi. La reine, Madame Élîsabeth répétaient souvent que le 
roi avait été libre de voyager daiis le royaume, que son 
intention n'avait jamais été d'en sortir. 



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LE 20 JUIN 1792. 227 

« Permettez-moi. disais-je à la reine, de ne pas pûné- 
« trer dans cette intention. Je suppose que le roi se fût 
(c arrêté d'abord sur la frontière; il se serait mis dans 
« une position à passer d'un instant à l'autre chez Té- 
<( tranger; il se serait peut-être trouvé forcé de le faire, et 
(( puis, d'ailleurs, le roi n'a pas pu se dissimuler que son 
a absence pouvait occasionner les plus ^a\^nds désordres. 
(( Le moindre inconvénient de son éloignement de l'As- 
« semblée nationale était d'arrêter tout coari la marche 
« des affaires. » 

« Je ne me permis pas néanmoins une seule fois de 
laisser entrevoir mon avis sur le genre de peine que je 
croirais applicable à un 'délit de cette nature. 

« A mon tour je mis quelque alïcctation à rappeler le 
beau calme qui avait existé dans Paris à la nouvelle du 
départ du roi. Ni la reine, ni Madame Elisabeth ne répon- 
dirent jamais un mot sur cela. Elles ne dirent pas que 
rien n'était plus heureux; je crus même apercevoir qu'elles 
en étaient très-piquées; elles eurent au moins la bonne 
foi de ne pas paraître contentes. 

« Nous arrivâmes à Meaux de bonne heure. Le roi, sa 
famille et nous, nous descendîmes à l'évêché. L'évêque 
était constitutionnel, ce qui ne dut pas beaucoup plaire 
au roi ; mais il ne donna aucun signe de mécontentement. 
Des sentinelles furent posées à toutes les issues* 

« Le roi soupa très-peu, se retira de bonne heure dans 
son appartement. Comme il n'avait pas de linge, il em- 
prunta une chemise à Thuîssier qui nous accompagnait, 

(( Nous nous fîmes servir dans nos chambres; nous 



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m LE 20 JUIN 1791 

mangeâmes à la hâte un morceau et nous f!mes nos dé- 
pêches. Nous partîmes de Meaux à six heures du matin. 

« Je repris ma place première, entre Madame Élisabeth 
et madame de Tourzel , et Bariiave se plaça entre le roi 
et la reine. Jamais journée ne fut plus longue et plus fati- 
gante. La chaleur fut extrême et des tourbillons de pous- 
sière nous enveloppaient. Le roi m'offrit et me versa à 
boire plusieurs fois. Nous restâmes cinq heures entières 
en voiture sans descendre un moment. Ce qui me surprit 
beaucoup, c'est que la reine» Mademoiselle, Madame 
Élisabeth et Madame de Tourzel ne manifestèrent aucun 
besoin. 

tt U jeune prince lâcha deux ou trois fois de Teau. 
GMlait le roi lui-même qui lui déboutonna sa culotte et 
qui le faisait pisser dans une espèce de grande tasse d'ar- 
gent. Barnave tint cette tasse une fois. 

« On a prétendu que la voiture renfermait des espèces 
de commodités à l'anglaise. Gela peut être, mais je ne 
m'en suis pas aperçu. Une chose que je remarquai, c'est 
que Mademoiselle se mit constamment sur mes genoux 
sans en sortir, tandis qu'auparavant elle s'était placée 
tantôt sur madame de Tourzel, tantôt sur Madame Éli- 
sabeth. 

« Je pensai que cet arrangement était concerté; qu'é- 
tant sur moi on la regardait comme dans un asile sùr 
et sacré que le peuple, en cas^de mouvement, res- 
pecterait. 

tt Nous marchâmes tranquillement jusqu'à Pantin. La 
cavalerie qui nous avait accompagnés depuis Meaux et un 



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LE 20 iOIN 1792. m 

détachement de celle de Paris nous servaient d'escorte et 

environnaient la voiture. 

(( Lorsque la garde nationale à pied nous eut joints, 
un peu au-dessus de Pantin , il y eut un mouvement qui 
menaçait d'avoir des suites. 

« Les grenadiers faisaient reculer les chevaux , les ca- 
valiers résistaient; les chasseurs se réunissaient aux gre- 
nadiers pour éloiguer la cavalerie. La mêlée devint vive; 
on lâcha de gros mots, on allait en venir aux mains; les 
baïonnettes roulaient autour de la voiture, dont les glaces 
étaient baissées. Il était très-possible qu'au milieu de ce 
tumulte des gens malintentionnés portassent quelques 
coups à la reine. J'apercevais des soldats qui paraissaient 
très -irrités, qui la regardaient de fort mauvais œil. 

Bientôt elle fut apostrophée : a La b de g...., la p « 

« criaient des hommes échauffés , elle a beau nous mon- 
« trer son enfant, on sait bien qu'il n'est pas de lui. » 
Le roi entendit très-4istinctement ces propos. Le jeune 
prince, effrayé du bruit, du cliquetis des armes, jeta 
quelques cris d'effroi; la reine le retint, les larmes lui 
roulaient dans les yeux. 

(( Bamave et moi, voyant que la chose pouvait devenir 
sérieuse , nous mimes la tête aux portières ; nous haran- * 
guâmes, on nous témoigna de la confiance. Les grena- 
diers nous dirent : « ISe craignez rien, il n'arrivera aucun 
« mal, nous en répondons, mais le poste d'honneur nous 
(( appartient. » C'était en effet une querelle de préémi- 
nence, mais qui pouvait s'envenimer et qui aurait pu 
conduire à des excès. 



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330 



LE 20 JDIN 1792 



« Lorsqae ces postes furent une fols remplis par les 
grenadiers, il n'y eut plus de dispute; nous marchions 
sans obstacles, à ia vérité très-lentement. An Heu d'en- 
trer dans Paris par la porte Saint-Denis, nous fîmes le 
tour des murs et nous passâmes par la porte de la Gon- 
férence. 

a Le concours du peuple était immense, et il semblait 

que tout l'aris et ses environs étaient réunis dans les 
€hamps-Éiysées. Jamais un spectacle plus imposant ne 
s'est présenté aux regards des hommes. Les loits des 
maisons étaient couverts d'hommes, de femmes et d'en- 
fants; les barrières en étaient hérissées, les arbres en 
étaient remplis ; tout le monde avait le chapeau sur la 
tète, le silence le plus majestueux régnait: la garde na- 
tionale portait le fusil ia crosse en haut. Ce calme éner- 
gique était quelquefois interrompu par les cris : Vive 
la Nation! Le nom de Barnave et le mien étaient quel- 
quefois mêlés à ces cris, ce qui faisait l'impression la 
plus douloureuse à Madame Élisabeth surtout. Ce qu'il y 
a de remarquable, c'est que nulle part je n'entendis pro- 
férer une parole désobligeante contre le roi; on se con- 
tentait de crier : Vive la Nation! 

<( Nous passâmes sur le punt tournant, qui lut fermé 
aussitôt, ce qui coupa le passage; il y avait néanmoins 
beaucoup de monde dans les Tuileries, des gardes natio- 
naux surtout. Uue partie des députés sortit de la salle 
pour être témoin du spectacle. On remarqua M. d'Orléans, 
ce qui parut au moins inconsidéré. Arrivés en face de la 
grille d'entrée du Château et au pied de la première ter- 



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LE 20 JUIN 1792 



231 



rasse, je crus qu'il allait se passer une scène sanglante. 
Les gardes nationaux se pressaient autour de la voiture 
sans ordre et sans vouloir rien entendre. Les gardes du 
corps qui étaient sur le siège excitaient Tindignation, la 
rage des speclaleurs. On leur présentait des baïonnettes 
avec les menaces et les imprécations les plus terribles. Je 
vis le moment où ils allaient être immolés sous nos yeux. 
Je m'élance de tout mon corps hors de la portière ; j'in- 
voque la loi; je m'élève contre l'attentat aiïreux qui va 
déshonorer les citoyens; je leur dis qu'ils peuvent des- 
cendre ; je le leur commande avec un empire qui en 
impose ; on s'en empare assez brusquement, mais on les 
protège et il ne leur est fait aucun mal. 

u Des députés fendent la fouie, arrivent, nous secon* 
dent, exhortent, parlent au nom de la lof. 

(( M. de La Fayette, dans le même moment, paraît à 
cheval au milieu des baïonnettes, s'exprime avec chaleur; 
le calme ne se rétablit pas, mais il est facile de voir qu'il 
n'existe aucune intention malfaisante. 

« On ouvre les portières; le roi sort, on garde le si- 
lence; la reine sort, on murmure avec assez de violence; 
les enfants sont reçus avec bonté, même avec attendris- 
sement ; je laisse passer tout le monde, les députés accom- 
pagnaient, je clos la marche. Déjà la grille était fermée ; 
je suis trèS'froissé avant de pouvoir entrer. Un garde me 
prend an collet et allait me donner une bourrade, ne me 
connaissant pas, lorsqu'il est arrêté tout à coup, on dé- 
cline mon nom , il me fait mille excuses. Je monte dans 
les appartements. Le roi et sa famille étaient là dans la 



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232 



LE 20 JUIN 1 792. 



pièce qui précède la chambre à coucher du roi, comme 
de simples voyageurs fatigués, assez mal eu ordre; ap- 
puyés sar des meubles. 

<i Une scène très-origiuaje et très-piquante, c'est que 
Corollaire^, s'approchent du roi et prenant le ton docto- 
ral, mitigé cependant par un peu de boaié, le répriman- 
dait comme un écolier. « N*avez-vous pas fait là, lui 
« disait-il, une belle équipée? Ce que c'est que d'être mal 
a environné I Vous êtes bon, vous êtes aimé ; voyez quelle 
« affaire vous avez là! n Et puis il s'attendrissait; on ne 
peut se faire une idée de cette bizarre mercuriale ; il faut 
l'avoir vue pour la croire, 

a Quelques minutes écoulées^ nous passâmes, Mau- 
bourg, lidnidve et moi, dans l'appartement du roi; la 
reine. Madame i^isabeth y passèrent également. Déjà 
tous les valets y étaient rendus clans leur costume d'usage. 
11 semblait que le roi revenait d'une partie de chasse; on 
lui fit la toilette. En voyant le roi, en le contemplant, 
jamais on n'aurait pu deviner tout ce qui venait de se 
passer: il était tout aussi flegme, tout aussi tranquille que 
si rien eût été* 11 se mit sur-le-champ en représentation; 
tous ceux qui Tentouraient ne paraissaient pas seulement 
penser qu'il fût survenu des événements qui avaient éloi- 
gné le roi pendant plusieurs jours et qui le ramenaient. 
J'étais confondu de ce que je voyais. 

« Nous dîmes au roi qu'il était nécessaire qu'il nous 

1. Note en mai^, d'une antre écriture : Cest sans dofute CoroUer 

du Moustoir, député de la province de Bretagne. 



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L£ 20 JUliN 1792; 



233 



donnât les noms des trois gardes du corps; ce qu'il fit. 

u Comme j'étais excédé de fatigue et que je haUais de 
soif, je priai Madame Elisabeth de vouloir bien me faire 
donner des rafraîchissements , ce qui fut fait à l'instant. 
Nous n'eûmes que le temps de boire deux ou trois verres 
de bière. Nous nobs rendimes ensuite auprès des gardes 
du corps, que nous mîmes dans un état d'arrestation. 
Nous donnâmes ordre à M. de La Fayette de faire garder 
à vue madame de Tourzel; nous confiâmes à sa garde la 
personne du roi. Il nous dit qu'il ne pouvait répondre 
de rien s'il ne pouvait mettre des sentinelles jusque 
dans sa chambre. Il nous fit sentir la nécessité que l'As- 
semblée s'expliquât clairement^ positivement à ce sujet. 
Nous le quittâmes en lui disant que c'était juste, et nous 
fCimes sur-le-champ à l'Assemblée pour lui rendre un 
compte succinct de notre mission. » 



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II 



INTERROGATOIRE D*ÀNDRÉ GUÉNIER. 

( Voir page 58. ) 



Le dix-huit vantus l'au second de la République fran- 
çaise une et indivisible ^ 

En vertu d'une ordre de comité de sûreté générale du 
quatorze vantose qnll nous a présenté le dix-sept de la 
même anée dont le citoyen Guenot est porteur de laditte 
ordre, apprest avoir requis le membre du comité révolu- 
tion et de surveillance de laditte commune de i'assy les 
Paris nous ayant donné connaissance dudit ordre dont 
les ci-dessus étoit porteurs, nous nous sommes Uanspor- 
tés, maison quaucupe la citoyene Piscatory ou nous avons 
trouvé un particulier à qui nous avons mandé quil il était 
et% le sujest quil Tavoit conduit dans cette maison ; il 
nous a exileée sa carte de la section de Brutus en nous 
disant qu'il retournaistapparis, et qu'il était Bon citoyent 
et que cetoit la première foy quil venoit dans cette mai- 

I. Le 18 ventôse an n répond au 8 mars 1794. 



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336 



LE 20 JUIN 1792. 



son , qail étoit a compagnier d'une citoyene de Versaille 
dont il devoit la conduire audit Versaille apprest avoir 
pris une voiture au bureaux du cauche il nous a fait cette 
de claration à dix heure moins un quard du soir à la 
porte du bois de Boulogne en face du ci-devant châteaux 
de Lamuette et apprest lui avoir Jait la demande de sa 
démarche nous ayant pas répondu positivement nous 
avons décidé quil seroit en arestation dans laditte maison 
jusqua que ledit ordre qui nous a été communiqoié par 
le citoyent Genot ne soit remplie mais ne trouvant pas ia 
personne dénomé dans ledit ordre , nous lavons gardé 
jusqua ce jourdhuy dix huit. Kt aprest les réponse 
du citoyent Pastourei et Piscatory nous avons présumé 
que le citoyent devoit estre Interrogés et apprest son 
interrogation estre conduit apparis pour y estre détenue 
par mesure de surettë générale et de suitte avons inter- 
pellé le citoyent Chenier denous dire cest nomd et sur- 
nomd âges et payi de naissance demeure qualité et moyen 
de subssittée ^ 

i. Par la teneur même de cet interrogatoire, que la aingalarité de aon 
orthographe et de son français rend parfois si difficile à comprendre, 
on voit que I*agent du comité de surreilhuice n*avait ni ordre ni 
mandat pour se saisir de la personne d'André Chénier, mais que fai- 
sant une visite domiciUaire chez M"* Piscatory, beUe-sœur de M. de 
Pastoret, ancien procureur général syndic du dupartcmoiit de Paris, 
ancien député à rAsscniblée législative, et, ne trouvant pas la personne 
qu'il y cherchait, il arrêta André Chénier comme suspect, — c'était 
le grand mot du moment, — et ramena à Paris pour être écroué par 
mesure de sûreté générale. 

Les pourvoyeurs du trihunal révolutionnaire ayant mis la main 
sur une si belle proie se gardèrent bien de la Iftcher. 



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LE 20 JUIN 119% 



237 



INTERROGATOIRE. 

A lui demandé commant il sapelioit 

A répondu quil senomoit André Ghenier natife de Gon- 

stentinoble âgé de trente et un ans demearant à Paris rue 

de Glairy section de Brutus 

A lui demandé de quelle ané il deuieuroit rue de Glairy 
A lui répondue depuis environ mil sept cent quatre 

vingt douze au moins 
A lui demandé quel son ses moyent de subsisté 
A lui répondu que de puis quatre vingt dix quil vie que 

de que lui fait son père 
A lui demandé combien que lui faîsoit son père 
A répondu que son père lui endonnoit lorsquil luy en- 

demandoit 

A lui demandé s'il peut nous dire a combien la somme 
quîl demande à son père par an se monte 

A répondu quil ne savoitpas positivement mais environ 
huit cent livre à mille livre par année 

A lui demandé si! na auttre chose que la somme qu'il 
nous déclare cy-dessus 

A repondu qu'il na pas d'auttre moyen que ce quil nous 
a déclarée 

A lui demande quelle manierre il prend son exislance 
A repondu tenteau chez son père tentcau chez ses amis 
et tel) lot chez des resteaura leurs 
A lui demandé quel sont ses amis ou il va mangé ordi^ 

iiairement 



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m 



LE 20 JUIN 1192. 



A répondu que cetoit chez plusieurs amis dont il ne 
croit pas nécessaire de dire lenom 

 lui demandé s'il vien mangé souvent dans la maison 
ou nous lavons aretté 

A repondu qu'il ne croyoit n'avoir jamais mangé dans 
cette maison on il est aresté, mais il dit avoir mangé 
quelque foy avec les mêmes personnes apparis chez eux 

A lui demandé sil na pas de correspondance avec les 
ennemis de la République et la vons sommé de nous dire 
la vérité 

A repondu au cune 

A lui demandé sil na pas reçue des lettre danglaitaire 
depuis son retour dans la République 

A repondu quil en a reçue une ou deux ducitoyent Bar- 
thélémy alorse ministre plénipotensière en Anglaitaire et 

nén avoir pas reçue dauttre 

A lui demandé à quelle épocque il a reçue les lettre 
désigaiés sy desiîus sommé a lui denous les représentés 

A répondue quil ne les avoit pas 

A lui demandé ce quil en à fait et le motife quil lat 
engagé à seodeffaire 

A repondu que ce uetoit que des lettre relative à ses 
interrest particuUier, comme pour faire venire ses livres 
et auttre effest laissé en Augldiidiie et du genre de celle 
que personne ne conserve 

A lui deaiaiidé quel sorte de genre que personne ne 
conserve et surtout des lettre portant son interest person- 
nelle sommé de nous dire la vérité 

A repondu il me semble que des lettre qui énonce 



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I 



LB 20 JUIN un. m 

l'arrivé des eflPest dësignîés cy- dessus lorsque ses effets 

son reçue ne son plus d'aucune valeure 

A lui refNTésenté quil nest pas juste dans faire réponse, 
dautant plus que des lettre personnelle doive se conser- 
ver pour la justification de celui qui à En voyé les effet 
comme pour celui qui les à reçue 

A repond quil persiste à pensé quand des particulier 
qui ne mettre pas tant dexacLitude que des maison de 
commerce lorsque la réception des fait demandé est 
accusé toute la correspondance devient inutisle et quil 
croit que la plus part des particuliers en use insy 

A lui représenté que nous ne fond pas des demande 
de commerce sommé à lui de nous répondre sur les mo- 
tifes de son arestation qui ne sont pas affaire de com- 
merce 

A repondu quil en ignorest du faite 

A lui demandé pourquoy il nous cherche des frase et 
surquoy il nous repond cathegoriquement 

A dit avoir repondue avec toute la simplicité possible 
et que ses réponse contiene lexacte veritté 

A lui demandé sil y à longtemps qu'il conoit les 
citoyent ou nous Favons aresté sommé a lui de nous dire 
depuis quel temps 

A repondu quil les connaissoit depuis quatre ou cinqt 
ans 

A lui demandé comment il les a voit conu 
A repondu quil croit les avoir connu pour la première 
fois chez la citoyene Trudenne 
A lui demandé quel rue elle demeuroit alors 



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m L£ 2U JUIN 1798. 

 repondu sur la place de la Revolutioa la maison à 
Gottée 

A lui demandé comment il connoit la maison à Cottée ' 

et les dtoyent quil demearoit alors 
 répondu quil est leurs amie de Tanfance 
A lui represanté quil nest pas juste dans sa réponse 

attendue que place de la Révolution il ny a pas de maison 

qui se nome la maison à Gottée donc ii vien de nous 

déclarés 

A repondue quil entandoit la maison voisine du citoyent 

Letems 

A lui représentes quil nous fait des frase attendue quil 

nous a repettes deux fois la maison à Cottée 

A repondue quil a dit la vérité 

A lui demandée sil est seul dans lappartement qu'il 
occuppe dans la rue de Glairy ïï° quatre vingt dix 
sept 

A repondue quil demeuroit avec son père et sa mère et 
son frère ainée 

A lui demandée sil na personne pour le service 

un eal impoBBBible de relever une à une toutes lee balourdises 
qui abondent àim les «piestions <iae le commissaire interrogateur 
fait au malheureux André Chénier et atnuittélles celui-ci répond avec 
une fine et douce ironie. Hais celle-ci passe toute croyance. Le com- 
missaire prund 1 expression de maison à cottée ^ dont se sert André 
Chénier en parlant de l'hôtel de M""* Trudainc qui était contigu à 
celui de M"" de Pastoret, sur la place Louis XV\ pour la désignation 
d*une habitation dont le propriétaire se nommait à cottée. Cela rap» 
pelle le singe de La Fontaine qui prend le nom du Pirée pour un 
nom d*iiomme. 



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LE 20 JUIN 1792. «41 



11 y a ua domestique commun pour les quatre qui les 
sere 

A lui demandœ ou il étoit a lepoque du dix aoust mil 
sept cent quatre vingt douze 
A repondue a paris malade d'une colique nefretique 
A lui demandée sy cette colique le tient continuelle- 
ment et sil elle tenoit le jour da dix aoust quatre vingt 
douze 

A répondue qui! se rétablissoit a lors d'une attaque et 

que cette maladie le tiend presque continuellement 
depuis lage de vingt ans plus ou moins fortes 

A lui demandés quelles est cette malady et quelle est 
le chirurgien quil le traitoit alors et sy cest le même qui 
letraitte en core 

A répondu le médecin Joffroy latraitté au commance- 
ment de cette maladie et depuis ce temps jai suis un 
régime connue pour ses sorte de meaux 

A lui demandée quelle différence il fait d'une attaque 
de meaux ou de maladies^ 

A repondue quil entendoit par attaque lorsque le mal 
est un (peu) plus violent et empêche dagire 

1. Ici lu boulVonnerie est à son comble, et la demande du commis- 
saire qui veut qu'on lui explique la différence qu il y a entre une 
attaque de meaux et une maladie, dépasse tout ce qu'a pu inventer 
Molière. On serait tenté de rire de toutes ces sottises débitées avec 
un imperturbable aplomb, si on ne se rappelait aassitftt que Ton va 
envoyer à la guiUotine celai qui a eu Taudace de &*en moquer. N*a- 
t-on pas raison de dire que Thistolre de la Révolution ressemble aux 
drames de Shakespeare, où le burlesque se mêle si souvent à Thor- 
rible ? 

i4 



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242 



LE 20 JUIN 1792. 



A lui demaadée a quelle époque il apris le médecin 
donc il vien de nous parllee et à quelle époque il a quitté 
sommé de nous endonné des certificats 

A répondue que sa famille le certifira que cettoit de 
tout temps le médecin de la maison 

À lui demandé sy il montoit sa garde le dix aoust mil 
sept cents quatre vingt douze 

A repondue quîl la montoit lorsque sa senté le par- 
metoit 

A lui demandée sy iors du dix oust quatre vingt douze 
lorsqu'il à enitandue battre la générale sy il apris les 
armes pour vollaire au secours de ses concitoyent et pour 
sauvé la patrie 
A repondue que non qu'il étoit en core trop foible 
A lui demandée quelle est le motife qui lui en a em- 
pêchée 

A répondue la faiblesse de sa santée dans ce moment 
A lui demandée de nous en donnée les preuves par les 
certificat signiée du cherugien et de la section vue qu*il 
n'est pas juste dans ses reponce 
A repondue quil na nent point 
A lui demandée que veux dire cemot a nous est comme 
quil nen a point 
A repondue quil na point de certilicatcy dessus énoncés 
A lui représentés quil est un mauvais cîtoyent de 
navoir point concourue à la défense de sa patrie vue que 
les boiteux et infirme on prie les armes et se sont unie 
sur la place avec tous les bons citoyen t pour y défendre 
contre les courtisans du cidevant Gapet et royaUiste 



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LE 20 JUIN 1792. 243 

A repondue quil navoit point assée de force de corp 
pour le pouvoir 

A lui demandée sy lord de ceste époque ses frère et son 
pere sy etoit rendue avec les citoyent de leur section sur 
les places defansifs contre les tiiaad de la Republique 
sommé de nous dire la vérité 

A repondue que son pere etoit vieux et étoit employée 
a sa section et que son frère etoit vice-consuite en Es- 
pagne les auttres ne demeurant point a )a maison il y 
gnoroit ou ils étoils 

A lui demandée ou etoit le domestique quil les servoit 
ou etoit il le dix oust 

A repondue quil lîgnoroit 

A lui représenté qua iepoque d^ cette journée que touts 
les bons citoyent ny gnoroit point leurs existence et 
quayant enliendu batte la générale cettoit un motife de 
plus pour reconnoitre tous les bons citoyent et le motife 
au quelle il setoit employée pour sauvée la Republique 
A repondue quil avoit dit Texate veritée 
A lui demandée quel etoit Texatte veritée 
A repondue que cetoit toutes ce qui etoit cy dessue 
Et apprest avoir fait la lecture du procest verbale et 
lavon cleau et signiée et le citoyent Chenier a déclarée 
quil ne vouloit pas signiée 

Signé : Gennot, Gramoisiin , Boudgoust, 

DUGHESNE. Comisaire 



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SANTKHRE GÉNÉRAL ET BRASSEUR 

(( Voir page 74. ) 

Après le 10 août, Saoterre se fit délivrer un brevet de 
général employé dans Tarmée ; maïs il n*en continua pas 
moius son commerce de brasseur. Seulement il eut soin 
de se faire remettre par la république les dettes qu*îl 
avait contractées sous la royauté; nous n'en voulons pour 
preuve que la pièce suivante : 

Extrait des registres du conseil exécutif provisoire, 
sèoiice du 6 avril 1793. 

« Le ministre des contributions a exposé au conseil les 
réclamations du citoyen Santerre, maréchal de camp et 
commandant général de la garde nationale parisienne. 

« Le citoyen Santerre est débiteur à la nation du droit 
sur les bières fabriquées dans ses brasseries pendant les 
années 1789 et 1790 et les trois premiers mois de 1791, 

14. 



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240 



LE 30 JUIN 1792. 



époque à laquelle le droit a été supprimé 

« Le débet du citoyen Santerre s'élève à 69,603 îiv. 
16 s. 6 d. 11 ne le conteste pas; mais il prétend qu'il doit 
en être déchargé parce que le peuple a consommé la plus 
grande partie de ces bières à Toccasion des mouvements 
auxquels la révolution a donné lieu; qu*it n*en a retiré 
aucun argent et qu'il n'est pas juste qu il paye des droits 
sur une boisson qu'il n'a pas vendue. 

« En elîet, les pièces justilicatives que le citoyen San- 
terre produit, les enquêtes qui ont été faites à sa réqui- 
sition et le témoignage rendu par la voix publique, ne 
permettent pas de douter de la vérité des motifs qu'il 
allègue pour obtenir sa libération 

« Le ministre des contributions publiques propose 
donc au conseil d'arrêter que, sur la demande du citoyen 
Santerre, aux Fins d'être déchargé des droits répétés 
contre lui par les commissaires liquidateurs de la ferme 
générale, pour raison des quantités de bières fabriquées 
par le citoyen Santerre, dans les années 1789 et 1790 et 
les trois premiers mois de Tannée 1791, et, vu la con- 
sommation des dites bières faites par le peuple et dans 
les corps de garde, sans que le citoyen Santerre en ait 
retiré aucun payement, il demeure bien et valablement 
déchargé desdits droits; laquelle décharge tiendra lieu 
audit citoyen Santerre de toutes les répétitions qu'il a 
faites ou pourrait faire pour raison des autres dépenses 
que son dévouement pour la révolution lui a occasionnées 
pendant les suî-diles années. 

« Le conseil a adopté les propositions faites par le 



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LE 20 JUIN i79S. 

ministre des contributions et Ta autorisé à prendre les 

mesures nécessaires pour en assurer l'exécution. 

(( Signé : Clavière, Lebrun, Garât, Gohier, 
Grouvellb, secrétaire. r> 

Santerre fut employé pendant quelques mois dans la 
guerre de Vendée; mais tous les récits du temps s'accor- 
dent à dire qu'il y joua un rôle très-peu brillant. Durant 
les derniers mois de la Terreur, Santerre ne se trouvait 
plus à la hauteur des principes; il fut arrêté quelque 
temps avant le 9 thermidor. Relâché après la mort de 
Robespierre, mais dégoûté des honneurs militaires qui 
avaient failli lui coûter la vie, il donna sa démission le 
13 thermidor an n, à sa sortie de prison. 

Rentré dans la vie privée, il reprit son commerce ; mais 
les jours de sa gloire et de sa popularité étaient passés : 
il vit péricliter ses affaires, et de nouveau sollicita les 
faveurs de l'État. Santerre s'adressa au ministre de Tin- 
térieurpour obtenir un prêt de 25,000 francs, lui expo- 
sant « qu'ayant été Tagent de la loi dans les temps ora- 
geux, cela lui a retiré toutes ses connaissances riches et 
ôté toute ressource. » 

Plus tard il écrivit au premier consul la lettre suivante, 
où l'on voit que l'eiHïommandant général de la force 
armée, au 21 janvier 1793, savait, comme bien d'autres 
de ses pareils, se plier aux circonstances, et parler, 
quand il le jugeait utile, le langage de la flatterie. (Nous 
avons religieusement respecté l'orthographe du brasseur 
devenu général.) 



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24& 



LE 20 JUIN 1792. 



« Santerre, général divisUmmire, au, gènértU Bonaparte, 

premier comul de la République* 

a J'ai 6u l'honneur de vous demander ^akr à Tarmée 

de réserve partager vos dangers; vous avez eu la bonté 
de renvoyer ma demande au général Berthier, alors 
ministre; son départ précipité m*a privé de cet avanlagc. 

a J'ai demandé au ministre actuel à être employé; sans 
votre ordre il n*a put probablement le faire, il s'est 
cependant trouvé des places dans les directoires près les 
hôpitaux uiiliLairL's ei dans les villes fortes. 

a Je vous ai offert, en vendémiaire an iv, mes ser* 
vices ; vous ne les dédaignâtes pas. 

a J'ai presque tout perdu au service de la république, 
je ne puis maintenant me passer de vous demander une 
place. L'on m'a offert le traitement de réforme. J'avais 
alors de la fortune, je n'ai pas cm devoir être payé sans 
servir. Depuis Ton m'a interdit politiquement mon habi- 
tation au faubourg Antoine, ce qui m'a 6té mes resowrces 
commerciales. Conséquemment, si le gouvernement ne 
m'emploie pas, malgré mon désir de servir, ayant déjà 
servi avec succès au 14 jujllet, au 10 août et dans plu- 
sieurs batailles que j'ai commandées en la Vendée, Je 
vous demande le traitement de réforme, sans pour cela 
cesser d'être au service de notre patrie. 

u Salut, respect et admiration, 

« Sam L HUE, 
« £actoB du Temple, à Paris, ce 16 meaûdor an vin. 



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LE 20 JUIN 1792, 



249 



« P. S. Je ae joius à cette lettre aucun compliment ni 
éloge, je ne pourrais rien ajouter à celui de dire ; Bona- 
parte était à Marengo l » 

Ou conçoit sans peine que le général Bonaparte se sou- 
cia peu d'employer activement le général Santerre. Il 
avait mieux que lui SOus la main. Mais il eut pitié de sa 
misère; fit réintégrer Santerre dans son grade et l'admit 

au traitement de réforme par un arrêté ainsi conçu : 

HÉPUBLIQUE FRANÇAISE. 

Liberté. Égalité» 

DÉPARTEMENT DE hh GUERRE. 

u Au nom du peuple français. 

« Du 9 thermidor, Tan vm'^ de la République 
une et indivisible. 

« Bonaparte, premier consul de la République, sur la 

proposition du ministre de la guerre, arrête : 
« La démission offerte par le général de division San^ 

terre des fonctions de son grade, et acceptée le 11 ther- 
midor an H par le comité de salut public, est annulée ; ce 
général est réintégré et adaus à jouir du traitement de 
réforme affecté à son grade. 

« Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du 
présent arrêté, qui ne sera pas imprimé. 

u Signé : Bonaparte. 

« Par le premier consul, le secrétaire d'État, 

m Signé: Hugues Margt. » 

Santerre mourut le 6 février 1806, laissant après lui un 



3à0 Lt 20 JUIN 1792. 

nom entouré d une effrayante renommée,, que très-pro- 
bablement au fond il ne méritait pas. Il avait peut-être 
rêvé le rôle d'Arteveld , et il ne fut qu'un instrument 
docile entre les mains de Danton et de quelques autres 

meneurs habiles. 



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IV 

ASSASSliNAT DU DUC DE LAUOCHEKU L CAL LD. 

( voir page 18a. ) 

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉUBÉRATIONS 

DK LA COMMUNE DE GISOBS. 

« Du mardi quatrième jour de septembre 1792, Tan iv 
de la liberté et le i^^de l'égalité. Le conseil général perma* 
nent, ouï le procureur général, a arrêté que, outre Tëtape 
accordée aux quatre gendarmes nationaux de Gournay, 
compris le lieutenant, il sera accordé Tétape pour un 
jour aux six gendarmes arrivés de Paris, compris le 
maréchal des logis, et qu'ils seront logés chez le sieur 
Louis Àsseline. 

« Par le procureur de la commune a été dit que le 
sieur de La Rochefoucauld, ayant été arrêté à t oi j^cs-ifs-. 
* Eaux, est actuellement, quatre heures après midi, logé 
en l auberge de l'Écu de France et qu'il est instaiit de lu 
faire partir à Dangu, et de là à Yernon, à l'aide de la 



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252 L£ 20 JUli>i 179:i. 

geadarmerie tant de cette ville que de Paris et d'un déta- 
chemeDt de la garde nationale de cette dite ville, accom- 
pagné du sieur Jeaa -Baptiste Boulîart, auquel il a été 
remis par les mains des sieurs Parain et Gorchand, com- 
missaires nommés par le puiivoir exécutif à Teffet de 
faire auprès des municipalités, districts et départements, 
telles réquisitions qu'ils jugeront nécessaires pour le salut 
public et exécution des lois, suivant les commiissions qui 
leur ont été délivrées et dont ils sont porteurs» scellées 
du sceau de l'État. Ledit sieur Bouffart muni d'un ordre 
du comité de surveillance, signé, Merlin, Bazire et Le- 
cointre, qui autorise le sieur Bouffart à faire arrêter 
M. de La Rochefoucauld partout où il se trouvera, ledit 
ordre, scellé du sceau du comité de surveillance, à 
l'instant remis audit sieur Bouffart. 

tt L'Assemblée, ouï de nouveau le procureur de la com- 
mune, a arrêté que ledit sieur Bouffart fera partir, heure 
présente, ledit sieur La Hociiefoucauld, à Taide des douze 
gendarmes nationaux tant de Gournay que de Paris, et 
du détachement de gardes nationaux de cette ville, étant 
de présent en activité, composé d'environ cent hommes, 
commandé par M. Pantin et accompagné du conseil géné- 
ral de la commune, qui ne cessera sa conduite qu'aux 
dernières maisons de cette ville pour veiller à la sûreté 
de la personne dudit sieur de U Rochefoucauld, et au 
même instant le conseil général s'est transporté à l'au- 
berge de rÉcu de France, où était détenu ledit sieur La 
Rochefoucauld, et a donné l'ordre d'apprêter la voiture 
qui devait le conduire, ainsi que sa femme, sa mère et 



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ll: 20 JUIN 1702. 25;; 

M""® d'Astorg, et à la gendannci ie et à la i^ai de nationale 
de protéger ces voyageurs. 

« Le conseil général et le corps municipal environ- 
naient le sieur La Rochefoucauld à pied et les autres per- 
sonnes étaient montées dans un carrosse à six chevaux. 
Nous, officiers municipaux et notables soussignés, ainsi 
que la troupe, étions suivis et entourés de plus de trois 
cents volontaires, tant du département de TOrne que de 
la Sarthe, qui étaient logés en cette ville. Nous les avons 
entendus faire de violentes menaces contre la vie du 
sieur de La Hochefoucauid en disant : a Nous allons 
« avoir sa tête, et rien ne sera capable de nous en empê- 
u cher. » Les uns étaient armés de sabres, pistolets, 
bâtons, et d'autres, de massues et de pierres. Dans le 
cours de sa conduite, malgré la protection qu'on désirait 
procurer à la personne de La Rochefoucauld, et les repré- 
sentations qui ont été faites auxdits volontaires, il a été 
atteint d'un coup de pierre à la tempe qui l'a fait presque 
tomber, lorsque le sieur Bouffart le tenait dans ses bras, 
et, au même instant, il en a été arraché par plusieurs 
volontaires qui lui ont port<î plusieurs coups de bâtons et 
de sabres, qui Tont mis à mort; ils lui ont en outre, 
après qu'il a été ainsi sacrifié, donné boducoup d'aiitres 
coups de sabres, bâtons et pierres, que l'on n'a pu empê- 
cher, malgré que le sieur Bouffart, accompagné du corps 
municipal, formassent un rempart qu'ils croyaient propre 
à le défendre, et que la troupe ait fait tous ses efforts 
pour le sauver du danger; et comme le meurtre a été 
commis vis-à-vis de la chaussée de Gantiers et qu'il était 

15 



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25i 



LE 20 JUIN 1792. 



impossible de donner aucun soulagement audit sieur La 
Uochcfoucauld, puisqu^ll n'avait en conséquence aucun 
signe de vie, le corps municipal a fait sauver la voiture 
qui renfermait les femmes, et le sieur iiouiïart a donnd 
ordre aux gendarmes de Paris de les escorter jusqu'à 
Dangu, en leur observant qu'ils répondaient d'elles per- 
sonnellement jusqu'à ce qu'il les ait rejoints. Ensuite le 
corps a été enlevé, assisté du sieur Boulfart et de deux 
officiers municipaux, et déposé en l'auberge de rÉcu« 
dans une chambre sur le derrière, où, en présence du 
peuple, la municipalité entière a fait perquisition dans 
les poches du sieur La Rochefoucauld ; il à été trouvé 
deux montres à boîte d'or avec une chaîne d'acier, à 
répétition, et l'autre marquant les cantièmes, garnies 
d'un cordon de cuir; une bourse en maroquin rouge, 
dans laquelle était un louis en or de 2k livres, huit pièces 
de 15 sols, pour sept livres douze sols de pièces de deux 
sols, cinq livres deux sols en pièces de six liards, plus un 
paquet contenant un assignat de 100 livres, quatre de 
50 livres, dix-neuf assignats de 5 livres, quatre billets 
patriotiques de 50 sols et un de 20 sois; plus une taba- 
tière d*écaille à cercle d'or ; un canif à manche d'ivoire ; 
un couteau h deux lames dont une d'or, le manche en 
écaille garni en or; un cachet remis audit sieur Bouffart; 
une petite boîte d'argent et un cordon de soie. Il a été 
remis, par un citoyen, la canne, dont le défunt était 
saisi, à deux poignards; deux mouchoirs blancs; lesquels 
eiïeis sont restés entre les mains du procureur de la 
commune, chargé d'en faire le dépôt au greffe. La redin- 



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LJ:; 20 JUIN ilQt. 25â 

guLe et veste, ainsi que la culotte et bottes, bas, chemises, 
chapeau, laissés à la disposition des nommés Lherbier et 
Lebel, gardes nationaux qui gardent le corps; dont et 
du tout ce que dessus le présent procès-verbal a été fait 
et rédigé en l'hôtel commun, en piusoncc des officiers 
municipaux, notables et autres soussignés, lesdits jour 
et an. 

a Signé: BouFfAai; Bibas; Peron, lieutenant; 
Laniesse ; ViNOT, maire ; Lefevre, le jonnc ; 
Henri Psirr ; Meunieb ; Denàijsvillë ; BLor^- 
DEL, capitaine; Pantin, commandant. » 



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TABLH. 



1. 


Klat de la France en 1792.— Louis XVI et Maric-Aiitoi- 






nette. — Les partis 


l 


11. 




M 


111. 


Pulénii(|ue îi l'occasion de la fùtc à eux offerte. — Ar- 








21 


IV. 


La f(Me est résolue et dédiée à la Liberté 


31 


V. 


Les Suisses de Châteauvieux admis par rAssembléc 








ai» 


VI. 


Derniers préparatifs. — Article du Père Duchesne . . . 


4() 


VII. 


Description de la fétc de la Liberté (15 avril 1792). . . 


50 


VIII. 


Sa si^nifiration. — L<'s ïambes d'André Cbénier. . . . 


5r. 


IX. 




r»9 


s. 







258 LE 20 JUIN 1792. 

XI. Les conciliabules do la brasserie Sdiiterrc (10 juin) . . 73 

lUL Les incertitudes du maire de Paris . lii 

XIII. Confcrences des chefs de bataillon 83 

XIV. Le département interdit les rassemblements armés. . . 89 

XV. La niatinte du 20 juin 93 

XVI. Les faubourgs s'ébranlent 90 

xvit. L'Assemblée nationale les Tcccvra-t-elle? 100 

xviii. L^arbre de la liberté planté dans le potager des Capu- 
cins. — La terrasse des Feuillants envahie LCi 

MX. La pétition de rémeute il7 

XX. La pétition do l'ordre 120 

XXI. Les faubourgs défilent à travers l'Assemblée 123 

XXII. Invasion de la place du Carrousel 12;» 

xxiii. La porte de la cour Royale est forcée 131 

XXIV. Irruption de la foule dans les Tuileries 135 

XXV. La royauté en face de Témeutc 139 

XX Vf. L*Assemblée envoie une députation pour protép:cr le 

roi. ■ ■ ■ Ui 

xxvii. Intervention tardive du maire de Paris ii7 

xxviii. Le roi peut entrer dans ses appartements 15i 

xxix. Défilé devant la reine et le prince royal • . . . ITH» 

\\x. Le Château évacué. — Séance du 20 juin au soir. . . . 1(U) 

XXXI. Séance du 21 juin. — Dialogue entre le roi et le maire. W 
wxii. Adresse de Louis \Vl aux Français. — Acti- du corps 

législatif. — Protestations contre le 20 juin . ... 170 

xxxiii. Enquête sur la conduite du maire 177 

xxxiv. Suspension du maire et du procureur de la commune. . 181 

XXXV. Indécision du roi. — Agitation populaire 187 

wxM. Le roi ronlirnii! la suspousion, la Lt'gisliitive la lève. . l''2 



TABLK. *2:yj 

xxxvii. Rùinstallation do Potion et de Manuel lUO 

wwiii. La deuxi(>mc fédération (14 juillet 170'2]. — Triomphe 

éphémère de Pétion t^Oj 



L Le retour de Varcnncs raconté par Pétion "101 

u. Interrogatoire d'André Chénier 2.']r> 

>ii. San tërrc général et brasseur 'it^r> 

11^ Assassinat du (hir ilc La noclicfoucanld 'i.M 



i vni- iMruniKRTi; Dr. j. cl.vyi:, niir saint-^knoit , 



O.&rûellerEeliear 
Âoat mb